Le poète allemand Friedrich Hölderlin avait raison. Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. L’adresse du député Letchimy au ministre de l’Intérieur n’avait rien d’un dérapage répondant à un autre dérapage. Bien au contraire. Elle est à l’honneur de son auteur qui en digne successeur d’Aimé Césaire a su rappeler à la métropole endormie qu’il était temps de s’élever contre une "France obscure qui cultive la nostalgie".
Courage Fillon. Qu’a dit en l’espèce Serge Letchimy pour susciter le départ de l’hémicycle de François Fillon et des députés UMP : « Non, M. Guéant, ce n'est pas “du bon sens”, c'est simplement une injure qui est faite à l'homme. C'est une négation de la richesse des aventures humaines. C'est un attentat contre le concert des peuples, des cultures et des civilisations. Aucune civilisation ne détient l'apanage des ténèbres ou de l'auguste éclat. Aucun peuple n'a le monopole de la beauté, de la science du progrès ou de l'intelligence. Montaigne disait “chaque homme porte la forme entière d'une humaine condition”. J'y souscris. Mais vous, M. Guéant, vous privilégiez l'ombre. Vous nous ramenez, jour après jour, à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial. Le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ? La barbarie de l'esclavage et de la colonisation, était-ce une mission civilisatrice ? ».
Des mots insupportables à entendre pour un chef de gouvernement qui, sous sa mèche bien coiffée, aura cautionné de A à Z la dérive idéologique de Nicolas Sarkozy : des Roms, au débat sur l’identité nationale en passant, par le mépris affiché à l’égard des résistants du plateau des Glières.
Ce matin, dans les colonnes du Figaro, on apprend que le Premier ministre "prend ses distances avec Claude Guéant". Un revirement qui a posteriori donne raison au député apparenté socialiste. François Fillon s'est vraisemblablement rendu compte que "son" ministre était allé un mot trop loin.
L'empressement de Matignon à faire connaître la désolidarisation partielle de François Fillon est le signe tangible que les propos du maire de Fort-de-France ont tapé juste. Appelé en assistance au déminage, Le Figaro, c'est pour le moins singulier, communique aujourd'hui avec empressement sur un entretien accordé par le Premier ministre au journal Le Monde qui sera publié dans l'édition daté de ce mardi.
Si Serge Letchimy est coupable, c’est de nous avoir mis face à nos responsabilités, à nos petites lâchetés devant l’abaissement national dénoncé à maintes reprises par Vincent Peillon.
Il n’y avait pas de point Godwin dans les propos du député comme ont tenté de le faire croire des observateurs incultes. Homme de lettres et de culture, Serge Letchimy ne faisait que reprendre la théorie formalisée iun demi-siècle plus tôt par Aimé Césaire quand ce dernier démontrait admirablement que le colonialisme était un poison lent qui avait concouru à l’ensauvagement de notre continent et à l’avènement du nazisme. Le poète concluait son Discours sur le Colonialisme de 1950 par cette mise en garde : "Chose significative : ce n'est pas par la tête que les civilisations pourrissent. C'est d'abord par le cœur".
Merci à Serge Letchimy d’avoir mis notre pays face à un miroir. Face à ce qu’il est devenu et non à la façon dont nous nous le représentons. Une France rabougrie, rétrécie, qui s’est éloignée de la philosophie des Lumières pour s’enfoncer lentement mais sûrement dans une xénophobie d’Etat.