Cher Chuck Yeager,
Pour être politiquement correct, je devrais sans doute m’adresser à vous en utilisant votre grade et en disant: Cher General.
Mais vous m’êtes familier. Vous m’avez accompagné depuis qu’un ami
m’avait prêté votre autobiographie, voici plus de vingt ans. Puis était
venu le film de Philip Kaufman, “L’Etoffe des héros”, inspiré du formidable livre éponyme de Tom Wolf, sur les origines de la conquête spatiale américaine.
Dont vous aviez donné le coup d’envoi en devenant, le 14 octobre 1947,
le premier homme à franchir le mur du son à bord d’un drôle de cigare,
le Bell X-1.
Certains contrediront peut-être cette affirmation, mais vous êtes
pour moi le plus grand pilote de l’histoire de l’aviation. Vous avez 90
ans aujourd’hui, et il y a environ trois ans, vous avez une nouvelle
fois fait “bang” dans un meeting aux Etats-Unis à bord d’un F-16. Le vol
était en doubles commandes, mais je n’ai aucun doute que c’était bien
vous qui étiez aux manettes pour amener l’oiseau à Mach 1. Toujours “The Right Stuff !”
Vous êtes né Charles Elwood Yeager le 13 février 1923 dans
la petite ville de Hamlin, en Virginie occidentale. Dans votre
autobiographie, vous racontez votre enfance et votre jeunesse là-bas, et
votre témoignage me touche et me parle. Les hasards du reportage m’ont
emmené un jour dans ce coin des Appalaches. La vie y semblait âpre, et
je pense qu’elle l’est encore aujourd’hui. C’est une région pauvre, que
vous avez connue frappée par la crise des années 30. Encore gamin, vous
preniez votre carabine pour chasser des lapins et des écureuils qui
permettaient d’apporter un peu de protéines sur la table familiale.
Adolescent,
vous aidiez votre père, qui réparait des pompes sur un site
d’exploitation gazière, et c’est ainsi que vous vous êtes familiarisé
avec la mécanique, votre “point d’entrée” dans l’aviation. Car voler
était votre souhait, votre désir, votre obsession. Mais pour un
“Hillbilly” tel que vous, privé d’études, c’était presque un rêve
impossible.
Vous y êtes arrivé, et vous avez réussi au-delà de tout, pilotant
tous les types d’avions imaginables durant des décennies. Car vous
possédiez “the right stuff”, un ensemble de qualités et de
dispositions (courage, pugnacité, rigueur, sens de l’attaque et de
l’esquive) qui forcent l’admiration. Vous aviez ce qu’il fallait pour
faire face au danger et à toutes les situations qui vous attendaient.
Mais ce n’était pas venu tout seul. Vous avez acquis tout cela durement.
Et vous vous êtes engagé durant la guerre comme pilote de combat, vous
retrouvant basé à Leiston, en Angleterre. Vous avez été abattu au-dessus
de la France le 5 mars 1944, et avez pu vous réfugier en Espagne en
traversant à pied les Pyrrénées. Vous avez ensuite repris le combat
jusqu’au 15 janvier 1945, totalisant soixante et une missions et 12,5
victoires contre les appareils allemands. Contrairement à beaucoup de
vos camarades, vous êtes rentrés vivant aux Etats-Unis. Vous avez eu de
la chance. Et vous avez continué à en avoir dans vos nombreux exploits
par la suite. “The right stuff” est quelque chose qui aide, mais je suis sûr que vous croyez aussi qu’il faut aussi qu’un peu de chance l’accompagne…
Vous m’avez accompagné sans le savoir ces trois dernières années,
alors que j’écrivais un roman sur la vie d’un très jeune pilote fictif,
lui aussi obsédé par le vol et le ciel, qui venait également d’un lieu
où parvenir à concrétiser son rêve d’aviateur était improbable:
Browning, Montana.
Il se trouve que j’ai en partie “modelé” ce garçon, John Philip
Garreau, surnommé Little Eagle en raison de l’exceptionnelle acuité
visuelle qui vous relie entre la réalité et la fiction. Je lui ai
attribué les qualités de pilote exceptionnelles qui étaient les vôtres à
bord de votre Mustang P-51, ainsi que l’état d’esprit qui vous habitait
et que vous avez résumé dans plusieurs passages de votre
autobiographie. Comme celui-ci, révélateur de votre attitude dans le
combat aérien:
“C’est presque impossible de décrire ce sentiment. C’est comme si
vous ne faisiez qu’un avec ce Mustang, comme si vous étiez une
extension de la manette des gaz. (…) Vous étiez tellement lié à cet
engin que vous le poussiez aux limites de ses possibilités. (…) Vous
sentiez ce moteur vibrer dans toute votre ossature (…), les gaz ouverts à
fond, acquérant sa meilleure performance de maneuvrabilité. (…) Vous
obteniez tout cela grâce à une manière instinctive de voler : vous
connaissiez votre cheval. (…) En combattant là-haut, vous vous
connectiez à vous-même. (…) Avec de l’expérience, vous saviez avant de
descendre un ennemi exactement quand vous alliez le faire. Une fois que
vous l’aviez placé dans votre viseur, vous commenciez à déjouer ses
plans tout en vous en rapprochant, vous deveniez un chat pourchassant sa
souris. Vous l’attaquiez, et c’était sans issue : vous saviez tous deux
qu’il était fini. (…) Quand son avion explosait, c’était un beau
spectacle. Il n’y avait aucune joie à avoir tué quelqu’un, mais une
vraie satisfaction à l’idée d’avoir été meilleur que l’autre gars et
d’avoir détruit sa machine. (…) L’excitation du combat aérien n’a jamais diminué en moi. Pour moi, le combat reste l’ultime expérience du vol. »
Mais au-delà des poussées d’adrénaline, vous étiez lucide. Au sujet
de votre formation finale sur la base de Tonopah, dans le Nevada, vous
avez écrit: “La mort était notre nouveau métier. Nous nous entraînions à devenir des tueurs professionnels.” C’était la guerre. En vol, en combat, face à l’adversaire, c’était toujours “lui ou moi”.
Vous êtes un héros, vous avez été un pilote exceptionnel, mais vous avez – et êtes encore, j’en
suis sûr - un homme qui aime la vie, les randonnées dans la nature, la
pêche et la chasse. Une récente visite de votre site m’a ainsi appris
que vous étiez, en novembre denier, en Namibie pour un safari.
En ce jour anniversaire, je me devais de vous transmettre mes meilleurs voeux et vous dire: “Keep going, Chuck !” Euh… General, pardon.
Florian Rochat texte d'origine publié sur http://www.florianrochat.com/blog.htm Site officiel Chuck Yeager : http://www.chuckyeager.com/