Retour sur notre dernier voyage à Sulawesi. Nous sommes le 12 octobre 2011 et nous débarquons aux Togian, un chapelet d’îles isolées situé dans la province de Sulawesi Centre. Difficile de mettre des mots sur les moments extraordinaires vécus là-bas… Je me lance donc avec une photo qui résume assez bien mon sentiment sur les Togian.
Ce n’est certes pas la première fois que j’ai l’impression de toucher le bout du monde, mais ici, il y a quelque chose en plus. Un anachronisme encore plus frappant que d’habitude. J’hésite entre « pince-moi, je rêve » et « on est arrivés au paradis, on n’est pourtant pas morts ! ». Difficile de décrire cette sensation d’ultime éloignement et de liberté. Cette cahute en bambou baptisée « Hotel California », sur laquelle nous avons fait une pause entre deux plongées, est perchée sur pilotis au milieu de la mer. Elle sert d’abri aux pêcheurs. Parfois ils y passent la nuit, à même le sol, font griller leur poisson sur les pierres du « coin cuisine », ou se reposent quelques heures avant de repartir en mer. Une cabane isolée, modeste, authentique, aux structures branlantes, et pourtant tellement belle dans le paisible bleu turquoise qui l’entoure.
En regardant ces photos, les sentiments éprouvés ce jour-là remontent, intacts : sérénité, calme, extase. Égoïsme aussi : toute cette beauté rien que pour nous ! Il y a un je-ne-sais-quoi de noble dans ce cabanon bancal : le côté refuge sans doute, qui protège dans la simplicité, comme le gîte et le couvert qu’on offre au voyageur égaré. Et ça me rappelle cette sagesse que j’apprécie tant dans les villages reculés d’Asie du sud-est. Celle qu’on a un peu perdue en Occident et que j’ai plaisir à retrouver en Indonésie. L’hospitalité toute naturelle, la curiosité des locaux envers les étrangers, la simplicité, la bonté, la générosité, le sourire franc. Bref, une grande dose d’humanité à l’état pur. C’est un peu tout ça les îles Togian.
Le temps s’est arrêté
Nous avons prévu de passer dix jours dans l’archipel, en changeant d’île au moins une fois. Mais l’île de Tomken, sur laquelle on échoue en premier, aura raison de nous. Pour la première fois nous restons deux semaines au même endroit, sans penser à la date du départ, en regardant les jours s’écouler au rythme des marées, des bateaux qui passent, des quelques touristes qui vont et viennent.
On pensait faire escale cinq jours sur Tomken, et se poser ensuite sur Malenge ou Kadidiri, deux autres îles de l’archipel. Mais au bout du compte, on ne trouve aucune raison valable de quitter les lieux. Alors voilà, c’est décidé, exit Malenge ou Kadidiri, exit aussi le Lac Poso, où l’on devait se rendre avant de remonter sur Luwuk pour s’envoler vers le nord. On va rester ici, car on s’y sent chez nous, et on rejoindra le nord de Sulawesi par voie maritime, en ferry.
La décision n’est pas très difficile à prendre d’ailleurs : Fadhila Cottages, l’établissement qui nous héberge, a tout de la carte postale exotique : la plage et le banc de sable blanc, le ponton solitaire qui s’étend sur l’eau comme dans une vieille pub pour Fahrenheit, les cocotiers, les bungalows en bois et les hamacs. Ajoutez à cela le sourire du personnel et la délicieuse cuisine : pourquoi irait-on voir ailleurs ?
Fadhila ou la vie de famille
Il règne une ambiance très bon enfant ici. L’établissement est tenu par une famille adorable, celle de Jafar, le propriétaire. Lui ne travaille plus ici, mais il a confié Fadhila à son frère Saiful, et revient une à deux fois par mois seulement. Nous avons eu la chance de le rencontrer. Un homme adorable, qui nous raconte l’histoire de sa vie avec beaucoup d’humilité.
La cuisine est gérée par l’équipe des femmes, qui se relaient selon les moments de la journée. On n’a jamais aussi bien mangé en Indonésie qu’à Tomken. Évidemment le poisson, le riz et les légumes sont la base de tous les repas, mais les épices varient très souvent, donnant des saveurs exquises à certains plats. Et puis à Fadhila, on peut même manger du pain maison, et de la pizza à la mode indonésienne, faite avec la pâte à pain. Délicieux ! Les repas sont copieux et vue la durée de notre séjour, Saiful demande aux cuisinières de varier un peu plus les plaisirs pour ne pas qu’on se lasse !
Quant aux hommes et aux garçons, ils s’occupent du reste. Le vieux Nahar, sur ses frêles gambettes, balaie la plage tous les matins, du lever du soleil à midi, tandis que Fais, Mansur, Ino et Upil passent derrière lui pour mettre les tas de déchets dans des sacs poubelles. Adi gère la réception, le ménage dans les chambres et le bar. Mansur et Arman pilotent le bateau qui nous emmène en plongée.
Upil gère le matériel de plongée et nous guide parfois sous l’eau. Saiful s’occupe des plongées et de la gestion globale de Fadhila. Et tous se relaient dans différentes tâches : aller chercher les touristes à Katupat, faire les courses, servir les repas avec les femmes, entretenir le lieu, s’occuper du bateau. Ino, Mansur et Fais sont les seuls à dormir sur l’île, ils doivent donc veiller chaque soir, jusqu’à ce que tous les clients soient couchés, pour couper le groupe électrogène.
Et bien sûr, ils participent tous à la relation avec les clients. Prévenants, souriants, drôles, ils se donnent du mal pour nous traiter aux petits oignons. Ils s’accordent des moments de détente et travaillent à un rythme qu’on pourrait qualifier de nonchalant. Mais on n’est pas en Europe ici, et la terre ne s’arrêtera pas de tourner si l’un des employés fait la sieste. Ils vivent au rythme qui est le leur, celui qu’on vient chercher en voyage car il manque cruellement chez nous. Soulignons quand même qu’ils travaillent 7 jours sur 7, alors les petites siestes, parties de ping-pong et d’échecs, ou les moments de glandouille en général sont bien mérités.
C’est en partie grâce à eux que nous avons eu envie de rester si longtemps. Au bout de quelques jours, on a l’impression de faire déjà partie des meubles. Tout le monde connaît nos prénoms, on vient nous faire la causette sur la terrasse du bungalow, moitié en anglais, moitié en indonésien. On redouble de bonnes intentions à notre égard. Vers la fin du séjour, Adi, le réceptionniste, m’avouera : « J’ai su que vous étiez des gens bien dès le premier jour, et je ne me suis pas trompé. » Merci Adi, sentiment plus que partagé !
Le petit tableau familial de Fadhila ne serait pas complet si je ne citais pas nos deux stars à poils : Maik (prononcez « Mike ») et Bomber, les deux chiens qui, eux aussi, nous ont adoptés si facilement. Pendant deux ou trois jours, nous sommes les seuls clients à Fadhila. Je crois que c’est à ce moment-là que Maik et Bomber élisent domicile sur notre terrasse la nuit. Chiens de garde ou fidèles compagnons ? Peu importe, ça nous fait chaud au cœur, on adore ces toutous au pelage roux !
La vie est un long fleuve tranquille
Mais qu’est-ce qu’on a bien pu faire pendant 15 jours aux Togian ? C’est simple, on s’est laissés aller. Farniente était le mot d’ordre, pour récupérer d’une année difficile. Évidemment on a beaucoup plongé, mais pas tous les jours, histoire de ne pas se coller trop de contraintes. Oisiveté, paresse, fainéantise… Hmmm, que de synonymes exquis ! Séances hamac à toute heure, lecture, beaucoup de lecture, siestes, soirées calmes et tranquilles lorsque nous sommes les deux seuls clients à bord.
Et puis des heures à observer : la nature, la vie qui s’écoule lentement. Et penser aussi, laisser vagabonder son esprit, au rythme du clapotis de l’eau. S’amuser avec les chiens, faire une partie de dames, jouer aux cartes, se poser tous les soirs sur le ponton et admirer le coucher du soleil qui embrase le ciel.
C’est vrai qu’on n’est pas vraiment du genre à speeder en voyage, mais c’est une première pour nous de s’attarder à ce point-là. Quel bonheur de laisser le temps passer, de lâcher prise complètement, d’être retiré dans un endroit aussi beau. A Tomken, comme partout aux Togian, pas d’Internet, pas de téléphone portable, ni même de ligne fixe ! C’est l’isolement complet, la coupure radicale avec le monde : de VRAIES vacances !
Mais attention isolement ne signifie pas retraite silencieuse. On a aussi beaucoup parlé. D’abord avec le personnel, ce qui m’a permis de faire des progrès considérables en indonésien : échange de bons procédés, cours d’anglais contre cours d’indonésien, ça marche pas mal ! On a aussi tchatché avec les autres touristes : ah les fameux échanges d’expériences ! D’ailleurs il y a beaucoup de Français à Fadhila. Pas au moment de notre arrivée, mais un peu plus tard, les Frenchies ont commencé à débarquer les uns après les autres. On n’est pas toujours super fans des regroupements compatriotes, mais franchement on a formé une belle équipe tous ensemble. Je crois que l’affluence des Français est liée au site de Frédéric, réalisé après son séjour en 2006 pour faire de la pub à Fadhila. Il le met à jour régulièrement avec les infos que lui envoient les voyageurs. En tout cas, les gens de Fadhila adorent les Français !
Dur dur le départ…
L’avant-veille du départ, le staff prépare un grand feu de joie sur la plage. Je le vois comme une chouette célébration des instants vécus ensemble. Tout le monde est là réuni sur le banc de sable, à regarder le feu qui s’élève vers le ciel par un soir de grand vent : un bel hommage de chaleur et de lumière.
Je garde un souvenir émerveillé de ces deux semaines passées sur notre banc de sable. Des paysages somptueux, des moments de grande détente, mais ce qui me reste avant tout, ce sont les belles rencontres. Nous quittons Tomken le cœur serré, après quelques sincères accolades. Je crois qu’il est aussi difficile de quitter les Togian qu’il est compliqué d’y accéder ! Là sur le beau ponton, à 6h du matin, tout notre petit monde est réuni pour nous dire au revoir, la larme à l’œil. Quant à moi, assise sur le toit du bateau avec Jean-François, je regarde s’éloigner le joli banc de sable, le regard un peu brouillé…
Et je repense à Saiful, notre guide de plongée, qui « jouait de la guitare » à Hotel California en fredonnant la chanson des Eagles. Me reviennent à l’esprit les dernières paroles : « You can check out any time you like, but you can never leave… ».
Bientôt de nouveaux articles sur la plongée et les activités aux Togian…
⊕ Infos pratiques
• Bungalow à Fadhila Cottages, salle de douche privée, en demi-pension : 200 000 Rp / personne / jour
• Ferry Ampana – Katupat : 5h30 (dont 1h d’escale à Wakai), 45 000 Rp / personne, tous les jours à 10h sauf le vendredi