Des machines et des hommes... presque parfaits

Publié le 17 février 2012 par Philippe Laurent

  

Il y a quelques années, le président de Boeing, après une tragédie qui avait touché un vol d'un de ses avions, disait à peu près ceci : un accident d'avion est presque toujours le résultat d'un enchainement de faits et d'actions, mais l'erreur à retenir n'est pas obligatoirement la dernière de ces actions : mais celle qui, une fois faite, rend impossible toute correction efficace, quelle que soit la ou les tentatives mises ensuite en oeuvre pour tenter de sauver l'appareil en perdition.

Soit, mais au-delà de ce raisonnement de bon sens, on peut craindre que le ou les pilotes soient rendus "définitivement" grands et uniques responsables de l'accident qu'ils auront "forcément" provoqué. Pourtant, bien d'autres acteurs peuvent être responsables d'accidents, tels les concepteurs et constructeurs évidemment, mais pas seulement: essayeurs, certificateurs, formateurs à l'utilisation et à la maintenance, etc...  


Pour ma part, je pense qu'au delà des "faits", la justice reste la mieux placée pour aller au fond des choses, poser les vraies questions et exiger des spécialistes parfois un peu trop "le nez dans le guidon", et peut-être aussi soumis aux dictats de quelques chefs de bandes trop ambitieux, des explications: les pilotes ne se sont pas "suicidés" avec leurs passagers et équipages, non bien sûr ! Mais ils ont fait des erreurs, alors :

- étaient-ils bien formés, et suffisamment entraînés et suivis (au pilotage en général ? et sur le type d'avion    concerné, en particulier?), et conscients de leurs responsabilités collectives et individuelles : responsabilités? - procédures, (formation, surveillance administrative des hommes et des machines, enregistrements à réaliser, etc...), incomplètes ou inexistantes: responsabilités? - acceptation collective de principes nouveaux ...mais insuffisamment aboutis, existence de croyances nouvelles de type "modes", auxquelles il serait maladroit, professionnellement, de vouloir résister. Exemple: "cet avion ne peut ni décrocher, (au sens "basculement brutal vers l'avant et le bas"), ni s' "enfoncer". Affirmation qui ne pourrait être que le résultat d'espoirs infondés: d'une part dans la perfection de nos technologies, et d'autre part dans celle du comportement humain lorsqu'on se retrouve aux commandes de telles "merveilles"? Un ami brillant officier de la marine nationale me rappelait: le Titanic, avec sa double coque hydrodynamique, ne pouvait pas couler. Son capitaine pensait pouvoir battre un record de temps de traversée avec une telle machine,...dès son premier voyage...On sait ce qu'il en advint. Responsabilités ?   - choix conceptuels majeurs des actuels constructeurs d'avions, peut-être à remettre en cause...ou pour le moins à "travailler".    Exemple: les avions modernes, gros et petits d'ailleurs, s' "enfoncent"en cas de portance insuffisante...on les conçoit comme cela, ...c'est "la mode",...et l'électronique permet de les piloter ainsi, pour les plus gros et les plus rapides. Mais pourquoi le fait-on ? Probablement parce que cela est vécu, par beaucoup de pilotes, comme "plus sécurisant" qu'un brutal décrochage vers l'avant: apparente mais fausse sécurité,...car la perte d'altitude risque d'être humainement détectée plus tard, et risque fort, d'autre part, d'être prise en compte avec action corrective appliquée...trop sereinement. Aussi, après l' "enfoncement" du Rio-Paris, je m'étonne donc de n'avoir vu apparaitre aucun questionnement sur le "centrage du type de l'avion", (celui qui est recommandé ou obligatoire pour le type considéré): sur celui du Rio-Paris, (au décollage et au moment de l'accident), et aussi sur celui des avions de ligne actuels en général, (en effet, un centrage "arrière" réduit la charge sur la voilure, de la légère charge aérodynamique verticale et dirigée vers le haut qui s'exerce sur le plan horizontal arrière de l'avion, à l'inverse de celle qui s'exerce, vers le bas, lors d'un "centrage avant". Ainsi, avec un centrage arrière, la voilure est un peu moins chargée, et on réduit donc la trainée de l'avion:qui peut ainsi emporter quelques passagers de plus, et voler un peu plus vite...Et voilà...c'est économique, et c'est donc une excellente raison de le faire.(Et la concurence le fait aussi, bien-entendu). Responsabilités ? - bien-entendu: ergonomie du poste de pilotage, clarté des affichages et des alertes et messages automatiques. Responsabilités ? - règles et procédures d'exploitations des messages de tous types? Règles du pilotage en "équipe", phases diverses, cas de figure présent et respect de celles-ci? Responsabilités: des règles établies, de leur contrôle, de leur opportunité...? - gestion de l'immense chaîne des intervenants de tous types, et risque d' "acceptation-imposition" aveugle de procédures et règles diverses contraires à l'expérience et aux "règles de l'art". (Exemple : 1 école de pilotage, interne ou pas à un exploitant, a-t-elle pu accepter de ne rien enseigner en matière de "décrochage ou enfoncement". Et si oui, normal ?). Responsabilités ?
Le nécessaire "progrès permanent" ne peut passer que par une volonté organisée d'aller vraiment au fond des choses. L'aéronautique a fait de cela l'un de ses principes essentiels, et les résultats sont là, en matière de sécurité: le mode de transport apparemment le plus "risqué", est devenu en 50 ans le moins dangereux, au km x passager. Cette sécurité est pourtant probablement encore perfectible, et est aujourd'hui au service du plus grand nombre. Techniciens, scientifiques, ingénieurs s'y consacrent directement, sans relâche. Tout accident donne lieu à enquêtes techniques très approfondies, et les conclusions doivent aboutir avec l'arbitrage d'une justice impartiale, éloignée des considérations politiques et économiques du moment. Je reste persuadé que la méthode qui consisterait à régler les problèmes à court terme, si la priorité n'était pas toujours donnée d'une part aux lois de la physique et d'autre part à celles du comportement humain, réserverait toujours de bien mauvaises surprises. Nous avons parlé du Titanic ; aujourd'hui, d'immenses navires à fond plat, faible tirant d'eau, super-structures hautes et verticales, stabilisés en roulis et en tangage par des ailerons sous-marins pilotés électroniquement, emportent des milliers de passagers. Une avarie sur la partie de coque immergée, et le navire se couchera sur le côté, avant de probablement se retourner. Les chaloupes n'auront pu être toutes mises à la mer avant qu'il s'incline... Un scénario voisin est déjà arrivé, celui-là suite à l'inconscience de certains marins, semble-t-il ; mais imaginez l'impossible évacuation de milliers de gens, en plein océan, par forte houle et vents forts, peut-être un temps prisonniers sous une coque retournée ? Impossible ? Et si une collision d'un de ces immenses navires à l'équilibre précaire et "électronique" se produisait, par exemple avec un corps flottant semi-immergé ou totalement immergé ? Croit-on à ce point à la perfection de nos machines et de leurs pilotes ? Bon, ça n'arrive qu'aux autres, et pas fréquemment... Et puis, à être un peu trop pessimiste, on ne ferait plus rien ?