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Libéralisation à l’italienne

Publié le 18 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Il semble que le nouveau gouvernement italien ait compris que les politiques conjoncturelles ne servaient à rien et que seules des politiques structurelles pourraient favoriser la croissance. Mais alors qu’en Italie on aime changer d’air, en France on reste droit dans ses bottes.
Par Jean-Yves Naudet
Publié en collaboration avec l’aleps

Libéralisation à l’italienne

L’Italie a-t-elle enfin trouvé le chemin des réformes ? On peut se poser la question après l’annonce de mesures structurelles par Mario Monti, pour renforcer la concurrence et faire disparaitre les lois inutiles. Certes, le pays est bien malade, avec une dette publique de 1900 milliards, des dépenses publiques excessives, une économie souterraine de 21% du PIB, et d’autres signes de faiblesse. Mais il semble que le nouveau gouvernement ait compris que les politiques conjoncturelles ne servaient à rien et que seules des politiques structurelles pourraient favoriser la croissance.

Politique conjoncturelle ou réformes structurelles ?  

Face à la crise des subprimes de 2008, à la récession de 2009, la plupart des pays ont réagi en appliquant la vulgate keynésienne : en cas de récession, il faut relancer la demande par les dépenses publiques. Il en est résulté une explosion de la dette publique, s’ajoutant à des années de déficits excessifs, ce qui a provoqué la crise des dettes souveraines. Résultat : la récession est toujours là et d’un côté on bricole à la va-vite des plans de rigueur ou d’austérité, tandis que de l’autre on veut relancer en faisant pression sur la banque centrale européenne pour qu’elle ouvre largement le robinet du crédit. On fait de la déflation et de l’inflation à la fois. C’est dire que l’on ne sort pas de la politique conjoncturelle.

Or les pays les moins touchés sont ceux qui ont fait des réformes structurelles fortes, notamment en ce qui concerne le marché du travail, comme l’Allemagne à l’époque de Schröder, ou le Danemark ou les Pays-Bas avec la « flexisécurité », ou encore la Suède avec les privatisations et le recul de l’État-providence. Mais ces réformes n’attirent pas les hommes politiques, parce qu’elles ont un effet à long terme, alors qu’ils ont l’œil fixé sur la prochaine échéance électorale.

430 000 textes abrogés

Le gouvernement italien de Mario Monti, qui n’est pas soumis aux mêmes contraintes électorales à court terme, a retenu la leçon et lancé des réformes de fond. On peut en prendre pour exemple l’allégement de la réglementation publique et le renforcement de la concurrence. Le plus spectaculaire s’est produit le 27 janvier, lorsque le Conseil des ministres a aboli d’un coup 333 lois et un ensemble de 430 000 décrets, circulaires et textes réglementaires divers ! L’Italie ne s’est pas effondrée pour autant et les Italiens, réalisant l’ampleur de la réglementation qui les paralysait, se demandent encore comment une vie économique pouvait exister avec une réglementation aussi envahissante.

Ces textes étaient évidemment inutiles, parfois on ne se souvenait même plus de leur raison d’être, et les entreprises italiennes devaient faire preuve de beaucoup d’habileté pour les appliquer ou pour les transgresser. Le ministre du développement économique, Corrado Passera, a expliqué qu’il avait simplement écouté les suggestions des chefs d’entreprise et des consommateurs.

Pour ne prendre que quelques exemples, on pourra désormais obtenir un acte d’état civil ou proroger sa carte d’identité en temps réel par internet. Les agriculteurs pourront vendre leurs produits directement sur les marchés, les chefs d’entreprise n’auront plus à faire la queue des heures pour certifier qu’ils respectent bien les règlements sanitaires, un boulanger pourra fabriquer du pain le dimanche et un commerçant ouvrir son magasin quand il le souhaite. Plus incroyable : les administrations pourront correspondre entre elles par internet au lieu de le faire par courrier postal ! On se demande comment le pays a pu fonctionner avec de tels carcans. La France pourrait s’inspirer de ce décret abolissant 430 000 textes, dont le nom est tout un programme : « Libérer l’Italie ».

Libéralisation à l’italienne

Ouverture à la concurrence des professions fermées

Il s’agit non seulement de libérer des entreprises des contraintes inutiles, mais aussi de renforcer la concurrence. Le nouveau gouvernement s’attaque à un bastion, celui des professions fermées. Toutes seront ouvertes à la concurrence, et les experts attendent de cette libération de l’offre deux points de PIB en plus ! Voilà les gisements de croissance durable. Quelques exemples sont significatifs de l’audace réformatrice.

Les taxis, soumis à un numerus clausus très strict par les régions, vont voir celui-ci fortement relevé et les autorisations assouplies. Les pharmaciens, dont le nombre dépendait de l’importance de la population (une pour 3000 habitants) vont pouvoir s’installer librement (on en attend 5000 de plus), fixer librement leurs horaires d’ouverture ou leurs promotions tarifaires. Pour les notaires et les avocats, l’encadrement des honoraires est aboli (tarifs libres, sauf dans certains cas comme liquidation judiciaire), 500 nouvelles études de notaire pourront être créées.

Pour les stations d’essence, il sera mis fin aux contrats d’exclusivité liant compagnies pétrolières et distributeurs. Les intermédiaires devront systématiquement mettre en concurrence les polices d’assurance automobile. Le réseau national de distribution du gaz sortira du giron de l’entreprise pétrolière ENI. Les magasins qui vendent de la presse n’auront plus de surface minimale à respecter. Les jeunes de moins de 35 ans pourront créer une société simplifiée à responsabilité limitée pour un euro seulement. Les fréquences télévisées sont libéralisées. Les tarifs minimum sont abolis. Les participations industrielles de l’État seront mises en vente. Voilà donc quelques exemples spécifiques, car tous les secteurs sont en fait concernés.

« La première grande révolution libérale »

Linda Lanzillotta, représentante des centristes, a parlé, avec admiration, de « la première grande révolution libérale jamais faite en Italie ». Le texte avait été préparé depuis des semaines, mais il a fallu sept heures de conseil des ministres pour en arriver à bout ! Inutile de dire que les lobbies ont pesé de tout leur poids pour empêcher cette libéralisation, utilisant tous les moyens, comme la grève des taxis ou des pharmaciens. Mais le gouvernement a procédé par décrets immédiatement en vigueur, même si le parlement devra les ratifier.

Cela permettra une intensification de la concurrence et une libéralisation de l’offre. Les prix vont baisser (les ménages devraient économiser chacun environ 1800 euros, si tout ce qui est prévu est appliqué). La production va augmenter, et les nouveaux entrants sur les marchés désormais ouverts vont créer des emplois. Et cela d’autant plus qu’un autre texte est en préparation concernant la réforme du droit du travail.

Pour conclure, ces mesures de libéralisation vont dans la bonne direction. Sans doute y a-t-il loin de la coupe aux lèvres. Beaucoup d’Italiens se réjouissent de ces annonces, mais qui ne sont pour autant que des annonces : ils sont curieux de savoir ce qui va se passer en fait. Mais l’Italie, rassurée pour l’instant sur l’avenir de sa dette publique par la « compréhension » de ses partenaires européens et de Mario Draghi, ouvre une voie nouvelle que devrait bien emprunter les réformateurs français, trop occupés de court terme, et de mesures d’urgence, comme la hausse des impôts. La France demeure championne des professions fermées et des réglementations, en dépit de rapports sur l’ouverture des professions (du rapport Rueff Armand au début de la V° République au rapport Attali). En France on reste droit dans ses bottes, en Italie on aime changer d’air.

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