Amorcé pour le grand public avec Street Fighter IV, le retour au premier plan des jeux de baston connaît depuis lors une fulgurance qui ne s'essouffle plus, poussant même les développeurs à oser se renouveler ou à piocher ça et là dans les bonnes idées de la concurrence. SoulCalibur ne pouvait rester au bord de l'arène et en vieux roi éphémère du genre, il va tenter de récupérer un trône dans la foire des chaises musicales sous fond d'uppercut. Après un quatrième volet loin d'être aussi marquant que ses prédécesseurs, est-ce que SoulCalibur a retrouvé sa lame blanche et aiguisée pour nous proposer une recette qui fera de lui un Top Chef ? Réponse au dernier round, si l'on ne s'est pas fait hara kiri avant. Ou après, c'est selon les appréciations.
Namco l'oncle Soul
Comment prendre la tangente de façon rationnelle en attirant un public idoine, sans forcément se dénaturer ou déstabiliser les fans de la première heure ? Il suffit simplement d'imaginer un pitch comme dans Desperate Housewives assorti d'un bond dans le temps. C'est pourquoiSoulCalibur V se déroule près de 17 ans après les événements de l'épisode précédent. Un laps de temps suffisant pour donner de la maturité à certains personnages, en faire disparaître d'autres au profit d'une nouvelle génération qui, vous le remarquerez plus tard, n'arrive pas à s'émanciper de ses aînés. Mais bien évidemment, l'opulence du roster n'a d'égale que celle des poitrines des combattantes bien loin d'un scandale des PIP. Cela nous permet de retrouver les enfants d'une Sophitia passée à la trappe mais dont l'ADN permet de retrouver son style de combat parmi sa descendance, Ivy dont le ratio taille d'épée/taille de soutien-gorge s'est enfin stabilisé après une inflation digne de la zone Euro ou bien encore Raphael, Cervantes, ainsi qu'un Siegfried qui n'a pas subi un iota les effets du temps passé. Parmi les néophytes dans l'arène, on rencontre ainsi Patroklos et sa soeur Pyrrha dont le charisme cumulé des deux a de quoi amasser assez de pâquerettes pour décorer une flopée de chars de carnaval. Citons aussi Z.W.E.I qui ne combat jamais sans son (pas Véronique...) familier spectral ou encore Viola qui fera des prédictions très percutantes avec sa boule de cristal capable d'envoyer valser l'adversaire. Le reste du casting n'est au final qu'une façon détournée de renouveler le stock de costumes et de faciès tant les techniques de combat sont pompées sur les illustres combattants d'antan qui ont pris leur "retraite". Exit donc les Zasalamel, Seung Mina, Rock ou bien encore Talim.
Vous étiez triste de voir Taki mise au tapis ? Natsu, son élève, reprend presque au geste près la technique de sa mentor. Kilik vous mettait des bâtons dans les roues à chaque round ? Son fils Xiba s'assure du suivi de la leçon. Bref, il ne faut tourner autour du pot : sous une pseudo-excuse de bond dans le temps, Namco Bandai tombe dans la facilité en ne proposant qu'un vaste nettoyage dans la forme mais pas dans le fond. On a déjà vu mieux dans le genre. Beaucoup mieux surtout que les promesses paraissent non tenues sur la durée.
Un SoulCal ne serait pas complet sans une invitation à des personnages extérieurs en guise de guest de luxe. Le quatrième avait opté pour la saga de George Lucas en offrant le rêve de gosse de combattre avec Yoda, Dark Vador ou encore l'apprenti du Pouvoir de la Force et il faut bien avouer que malgré la forte impression d'anachronisme, on avait pris notre pied. Du coup, il fallait bien trouver quelqu'un capable de prendre la succession tout en soutenant la comparaison. C'est Ezio Auditore d'Assassin's Creed qui endosse ce costume avec une nonchalance et une facilité déconcertante. Même si l'on pourra pester contre son arbalète qui fera rager plus d'un allergique aux attaques à distance, l'italien convient parfaitement au rôle et propose un style de combat certes un poil moins dynamique que ce qu'on aurait pu attendre, mais néanmoins très agréable à prendre en main.
Pour le meilleur et le Pyrrha
Eludons tout de suite un doute : si vous pensiez prendre SoulCalibur V pour son mode histoire et son solo, vous pouvez de suite envisager un report de votre pécule sur un autre achat. C'est bien simple, la pseudo-aventure du mode Story peut se résumer ainsi : "si la plume est plus forte que l'épée, alors ce doit être celle d'une pauvre mouette mazoutée". La métaphore peut paraître violente, elle est en tout cas identique à ce que l'on nous inflige les 20 chapitres durant lesquels on se coltine des combats qui s'enchaînent poussivement et où l'on suit le scénario très "Plus Belle la Vie" des enfants de Sophitia et de leur quête autour des épées légendaires. On n'y dirige que trois personnages et ne pensez pas y trouver une quelconque explication aux présences des autres personnages du jeu. Vous vouliez des cinématiques de toute beauté pour vous narrer un petit conte dans l'univers médiévalo-fantasy ? Manqué, il faudra simplement compter sur des planches de storyboard vides d'intérêt, d'entrain, d'envie. On se force tant bien que mal à clore le mode avec comme seul but celui de débloquer des personnages, des customisations ou des titres pour notre fiche joueur. C'est dire si la carotte que l'on nous met sous le pad est aussi cuite qu'un régime de Vichy. Coup de chance, la boucle est bouclée définitivement au bout d'une heure et autant dire que l'on n'y mettra plus les pieds de sitôt.
Que dire du mode Âmes Légendaires, sorte de Time Trial où il faudra combattre des personnages mythiques et clairement cheatés ? C'est bien simple, l'IA est tellement abusive qu'on en ressort avec l'envie d'aller découper avec notre lame blanche à domicile la galette du jeu. Certes, les véritables pros y trouveront un intérêt concret mais je serais curieux de connaître le pourcentage de gens concernés par un tel challenge.
Ensuite, il sera bien évidemment possible de lancer un combat rapide ou encore le mode Arcade où il faudra se défaire de six lutteurs, avec la sélection géographique au menu si vous le désirez. Gros point noir assez identique à celui mentionné quelques mots plus haut, à savoir une IA assez désastreuse puisque l'on aura bien du mal à trouver un juste milieu entre le trop facile et le trop difficile avec des coups venus de nulle part qui nous arrivent au coin de la tronche et sans que l'on y puisse forcément y faire quoi que ce soit.
L'un des seuls modes onanistes qui occupera avec un intérêt plus constant votre attention réside dans la création de personnages customisables à souhait. Que ce soit au niveau physique ou technique, libre à vous de vous créer un jouteur complètement atypique ou de tenter la ressemblance avec quelqu'un. C'est largement possible avec un peu de patience et compte tenu du fait que vous pourrez importer vos œuvres sur le online, vous devriez rapidement tenter de sculpter votre chef-d'œuvre capable de marquer au fer rouge la peau et la mémoire de vos opposants.
Mais c'est bien le mode entraînement qui se révèle être la bonne surprise, celle que l'on n'attendait pas forcément et qui permettra au gré de vos séances quotidiennes de ne pas prendre une dérouillée contre un ennemi humain et de vous donner l'impression de progresser. Très didactiques, ces cours du soir pour guerrier débutant séduisent grâce au mélange pédagogie/apprentissage par l'échec. Ainsi, il est possible de demander l'affichage progressif des commandes à effectuer pour sortir tel coup ou tel combo et il faut bien avouer que l'on adhère grandement à la démarche. Ajoutons à cela que l'on peut également configurer l'adversaire pour qu'il réagisse d'une certaine façon aux coups permettant dès lors d'anticiper vos mouvements à venir. Certes, selon les affinités avec les différents personnages, on en boudera certains – ce qui est tout à fait logique – mais il ne faudra absolument pas considérer ce "vestiaire" comme un ring du pauvre sous peine d'être complètement à la rue en ligne. Ce qui vous serait fortement préjudiciable, vous en conviendrez, vu la pauvreté du solo.
C'est pourquoi l'on prendra très rapidement la direction du online. Celui-ci s'avère plus stable et complet que son aîné et propose avec le mode Colosseo une plate-forme communautaire favorisant l'échange et l'accessibilité. En effet, Namco Bandai a implémenté une sorte de système qui permet notamment de chatter, de se lancer des défis dans le jeu et bien sûr de se retrouver sur le "tatami" pour en découdre via un match simple ou un tournoi. La bonne idée vient du fait que l'on peut tout à fait se retrouver sur des serveurs de proximité et l'on en sent rapidement les bienfaits sur le fond et la forme puisque tout se déroule sans un pet de lag. Du bonheur pour le genre donc. Notez qu'il est également possible de sélectionner des duellistes en fonction de votre niveau afin que les jeunes pousses n'aient point peur de se faire manger trop vite par les fines lames.
Super Soul Fighter Calibur IV
Ce qui a toujours séduit dans la licence de Namco Bandai, c'est l'aspect à la fois très technique et très accessible des combats et qui s'enchaînent avec la grâce d'un ballet. Aussi bien destiné au joueur peu aguerri à l'exercice ou au contraire au féru du "bas + gros poing + garde + demi-cercle x 2 + gros pied" en perfusion, le système de combat a évolué dans cet opus, ou plutôt il a pris ce qui fonctionne du côté de la concurrence. C'est ainsi qu'une jauge de puissance – la Jauge Critique - accompagne désormais votre barre de vie et est destinée à des usages très très proches de ce que Capcom a réussi à instaurer comme des poncifs indécrottables. Mais il est important de vous signifier que l'on a également gagné en nervosité grâce à des mouvements plus rapides de nos combattants où même les gros balourds de service paraissent plus véloces malgré leurs grosses armes. Avant que l'on revienne sur les "petites" surprises du chef, on saluera aussi la meilleure gestion du quick step latéral qui offre moult possibilités dans l'esquive et dans le retournement de situation. Mais le chemin pour retrouver la maitrise des Top Tier se révèle moins limpide qu'il n'y paraît.
Ainsi, la Jauge Critique s'octroie le rôle majeur de ce SoulCalibur V. Se remplissant au gré de vos coups bien placés ou encaissés et dont le niveau peut être reporté de round en round, elle permet de déclencher bien des parades offensives ou défensives. A titre d'exemple, la plus notoire et que vous sortirez le plus aisément du monde est le Critical Edge, coup quasi-imparable et très proche de l'Ultra Combo de Street Fighter IV . Sauf qu'ici, il n'est nullement besoin de recourir à une manipulation prompte à donner une crampe à vos doigts car il suffit de réaliser deux quarts de cercle avant et d'appuyer sur A+B+K pour sortir la combinaison gagnante. Cette facilité déconcertante renforce l'accessibilité voulue par Project Soul mais risque bien d'apporter un gros déséquilibre en ligne et des abus en tous genres. Le temps nous dira comment cela évoluera, mais l'on peut s'inquiéter de la chose surtout au vu des dégâts généralement causés par une telle attaque. En revanche, la plèbe se satisfera de voir les courtes séquences animées de façon régulière , vu qu'elles ne requièrent pas une folle période d'adaptation pour les sortir à tout va.
Le Brave Edge, quant à lui, est comparable aux coups EX du jeu de Capcom : il ne nécessite que la moitié d'une barre de Jauge Critique et renforce un coup spécial de base en lui donnant encore plus de percussion.
Le système de garde accueille de son côté le Just Guard en sus du Guard Impact déjà présent auparavant. Autant le dire de suite, pour réussir à placer cette défense qui met à mal n'importe quel coup, il va falloir se lever de bonne heure régulièrement et s'entraîner tel un Rocky qui se prépare dans le froid sibérien à affronter Ivan Drago. Pourquoi ? Car le timing pour balancer cette garde est tellement serré que vous avez certainement plus de chances de gagner le 100 mètres face à Usain Bolt aux Jeux Olympiques - même en étant unijambiste - que de réussir la manœuvre. Concrètement, comment cela se passe ? Il "suffit" de presser le bon bouton au bon moment, à savoir juste avant que le coup ne vous touche. Ce qui est simple sur le papier l'est donc beaucoup moins une fois mis en pratique.
En revanche, la destruction d'armure est moins présente que par le passé et si l'on retrouve encore les éléments qui se déstructurent au gré d'un combat et des coups infligés, leur importance est moindre. Dommage car cela rajoutait ce petit plus que la concurrence n'avait pas. Un point qui sera à revoir dans le futur de la série, que ce soit sur la prochaine génération ou sur portable, sait-on jamais.
Un gros Calibre
Coup de chance diront les uns, véritable maîtrise diront les autres, SoulCalibur V peut se targuer d'être parfaitement jouable même s'il laisse souvent cette impression qu'il requiert un stick arcade pour flirter avec la jouissance suprême. Comme d'habitude, la liste des coups de base est limitée puisque l'on a A, B, K ou G, mais la combinaison de toutes ces touches laisse libre cours à un défilé constant de possibilités. Les coups s'enchaînent aisément, les combos aussi même s'il faudra passer par la case Entraînement pour se dégourdir un peu les mains. Les habitués retrouveront sans aucun mal leurs bonnes vieilles habitudes quoi qu'il en soit.
Nous en avions déjà eu un aperçu à travers les différentes manifestations durant lesquelles nous avions pu voir le précieux, SoulCalibur V est de toute beauté et flatte constamment nos rétines. Peu importe les arènes, les combattants, les angles de vue, on en prend plein la tronche et tout est d'une fluidité exemplaire. C'est bien simple, le frame-rate ne faiblit pratiquement jamais et les effets de lumière ou le déclenchement des coups spéciaux n'ont aucun impact sur la constance des images qui défilent sous nos yeux. SoulCalibur oblige, l'ensemble est évidemment très coloré avec des tons qui gagneraient parfois à se pastelliser selon les niveaux, mais ne nous plaignons pas d'avoir un rendu visuel de cette trempe-là. On aurait tout juste aimé une plus grande variété d'arènes, un petit ajout qui n'aurait déplu à personne... A moins que la case DLC ne soit déjà cochée de ce point de vue-là ce qui serait fort regrettable.
Le chara design n'est pas en reste car, exceptés Patroklos et Pyrrha dont le second emploi de Piñata est déjà tout trouvé, c'est du tout bon sur toute la ligne. Chaque personnage fourmille de détails le caractérisant et même si certains sont clairement des resucées du passé, Project Soul a fignolé l'ensemble pour le rendre encore plus digeste en haute définition.
La bande-son n'est pas en reste puisque le côté épique de la fresque vidéoludique se ressent parfaitement au gré des morceaux qui égrainent les niveaux et rythment idéalement les affrontements.
Quant à la durée de vie du titre, elle dépendra surtout de la capacité de SoulCalibur V à résister à l'assaut prochain de Street Fighter X Tekken, voire même à la concurrence déjà établie par Capcom ou encore Arc System Works. Mais le online solide du combat en armure et à lame a toutes les chances d'assurer des jours heureux à la franchise de Namco Bandai tant est que la communauté s'accapare avec bienséance le mode Colosseo...