CH.
Il advient que Dame Mouche
se fâche avec le coche,
elle voulait un cadeau,
il le lui a caché.
Tandis qu’ ce vil cochon dormait couché sur roche
elle fouilla dans sa poche
et, sans même qu’il le sache,
sans la moindre anicroche
elle le lui arracha.
Mais hélas, non loin d’là, juchée sur la vieille souche
il y avait une ruche :
une abeille alléchée
traversa l’champ en friche
au nez des vaches et veaux,
des chevaux qui mâchaient
pour s’en venir le chercher
ca qui choqua la mouche.
Au milieu des herbes sèches,
près du coche qui s’en fiche
mouche et abeille de mèche
combattaient sans flancher ;
la scène était très trash,
le cocher cachottier,
ce tricheur, s’éveilla aux âpres chuchotis.
Au vu du mortel duel des insectes chuintants
tirant tronche revêche
il se dit « ai-je pris hasch ? ».
Caressant sa barbe rêche d’homme peu riche, il trancha :
« ne touchez pas ma mouche, quand bien même elle est moche
c’est ma pote, ma proche, nul ne doit l’approcher
sous peine que je l’embroche ! » ;
une vache hocha le chef.
Ayant dit ces mots il se rua derechef
et sans entrechats rusha sur les acharnées
qui se déchiraient et s’entrechoquaient dans l’air
alors que, bouche-bée, tanches, cachalots, seiches,
vaches aux robes chocolat le voyaient choir sur elles.
Chargeant à coups de hache il tranchait dans les chairs
en se déhanchant à mort, et y allait franchement
car hors sauver sa mouche, rien ne lui était cher.
Il effaroucha l’abeille qui fut shootée
par le manche de hache et tomba dans la huche
tant mieux, se dit-il, elle ne ferait pas tache.
Amochée, chagrinée, sa mouche tout sauf lâche
fut choyée d’une quiche et de chipolatas.
Loin de se montrer chiche, il lui fit soupe aux choux
et il la chouchouta, près d’un bon feu de bûches
qui n’était certes pas avare de chaleur ;
elle lécha ses plaies, pompa son doux dessert :
mie de miche trempée dans épais jus de pêche
et quand elle chuta dans un profond sommeil
il adressa au chat et aux charançons un
« chhhhh ! »
Patricia Laranco
C’est un autre poème expérimental où sont exploités des procédés appartenant à différents genres narratifs et théâtraux dont en premier lieu, la fable, du fait que la plupart des personnages sont des animaux, ensuite le burlesque et le farcesque avec l’usage à outrance du comique, tertio le vaudeville présent dans la construction de l’histoire, relatée sur des malentendus. D’autre part, cet amalgame est renforcé au niveau de la chaîne sonore par l’utilisation massive de l’allitération en accumulant un très grand nombre de mots contenant le son [ch] en plus de sa présence dans le titre (« CH ») et au dernier vers (« chhhhh »).
Quand à l’objectif visé par l’auteure dans ce texte original, il semble purement linguistique : il n’est autre que celui de puiser dans les ressources sonores de la langue les faisceaux sémantiques que dénotent les mots contenant le son [ch] et qui pourraient dériver d’un même noyau très lointain. Ce qui réfuterait la thèse du fondateur de la linguistique moderne Ferdinand de Saussure selon laquelle la relation entre le signifiant et le signifié est arbitraire. Cela n’exclut pas non plus la possibilité d’une attitude satirique de la part de l’auteure à l’égard des vieux genres littéraires qui ne se prêtent plus à l’expression des idées complexes et extrêmement brumeuses.
Mohamed Salah Ben Amor