Capacités techniques et financières des ICPE : le tribunal administratif de Strasbourg annule une autorisation d’exploiter

Publié le 19 février 2012 par Arnaudgossement

Les industriels et les professionnels de l’énergie sont régulièrement alertés sur le risque lié à leur obligation de démontrer, à l’appui d’une demande d’autorisation d’exploiter une ICPE, leurs capacités techniques et financières. Le jugement n° n°1006144-1103322 du 15 février 2012, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l’autorisation d’exploiter une installations de production d'électricité (ICPE) vient rappeler l’importance de ne pas sous-estimer ce risque et d’y répondre très précisément. Ce jugement apporte surtout d’utiles précisions sur le contenu de la preuve des capacités techniques et les conditions d’administration de la preuve. 


A la requête de plusieurs communes et associations, le tribunal administratif de Strasbourg vient d’annuler, par un jugement du 15 février 2012, l’arrêté en date du 25 juin 2010, par lequel le préfet de la Moselle a autorisé la filiale d’un groupe à exploiter, au titre de la police des ICPE, une centrale de production d’énergie électrique sur le territoire de plusieurs communes.

Le moyen retenu par le Tribunal administratif pour fonder sa décision est celui relatif à l’absence de preuve de la suffisance des capacités techniques et financières de l’exploitant pour assurer le fonctionnement et la remise en état de son installation.

L’obligation de démontrer ses capacités techniques et financières 

En premier lieu, le jugement ici commenté rappelle, de manière classique, les dispositions du code de l’environnement aux termes desquels le demandeur d’une autorisation d’exploiter au titre de la police des ICPE doit démontrer ses capacités techniques et financières : 

« Considérant qu’aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’environnement : « (…) la délivrance de l’autorisation (…) prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l’article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-17 lors de la cessation d'activité » ; que l’article L. 511-1 du même code dispose que : « Sont soumis aux dispositions du présent titre les (…) installations (…) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature et de l’environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments (…) » ; qu’aux termes de l’article R 512-3 du même code: « La demande prévue à l'article R. 512-2, remise en sept exemplaires, mentionne (...)5° Les capacités techniques et financières de l'exploitant ; (...).  

Considérant qu’il résulte des  dispositions précitées qu’une demande d’autorisation de création d’une installation classée doit, à peine d’illégalité de l’autorisation, permettre à l’autorité administrative  compétente d’apprécier, au regard  des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, les capacités techniques et financières du pétitionnaire à assumer l’ensemble des obligations susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être, le cas échéant, appelé à constituer à cette fin ; » 

Il convient de noter que le droit positif en général et le code de l’environnement en particulier ne donnent pas d’indications précises sur le contenu exact des capacités techniques et financières dont la preuve doit être rapportée par le demandeur d’une autorisation ICPE. Il convient donc de procéder à l’étude d’une jurisprudence très fournie et très dense pour définir un « faisceau d’indices » qui permette de d’identifier les attentes du Juge et donc de l’administration à cet endroit. 

Capacités financières : l’appartenance à un groupe ne suffit pas

Dans la présente affaire, les opposants au projet d’exploitation d’un cycle combiné à gaz en Moselle ont soutenu devant le tribunal administratif de Strasbourg que la société à l’origine de la demande d’autorisation d’exploiter ICPE ne justifiait pas de la réalité de ses capacités techniques et financières. 

Le tribunal administratif de Strasbourg, suivant en cela les conclusions de son rapporteur public, a accueilli ce moyen. Son jugement du 15 février 2012 précise : 

« Considérant, en premier lieu, qu’il résulte  de l’instruction que, pour établir qu’elle dispose des capacités financières nécessaires à un tel projet,  la société H. s’est limitée dans sa demande, à produire, outre un descriptif du groupe auquel elle appartient, un bilan prévisionnel établi jusqu’en 2017, ainsi que l’indication du montage financier auquel elle souhaite recourir  ; qu’il ressort de ces documents que le projet d’investissement, d’un montant de 772 millions d’euros, serait financé à hauteur de 30% par des fonds propres provenant du groupe D. et à hauteur de 70% par de la dette bancaire à long terme, les emprunts devant être couverts par les encaissements provenant de la vente d’électricité ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la société H., qui se prévaut du secret des affaires et précise dans son dossier de demande d’autorisation être « en phase de sélection de conseils juridiques, financiers et en assurance dans le domaine bénéficiant d’une forte expérience internationale dans le domaine du financement de projets de cycles combinés gaz », justifie d’engagements bancaires pris pour parfaire ce montage financier ; que dans ces conditions, la société H. ne peut être regardée comme satisfaisant aux conditions de capacité financière susmentionnées nécessaires pour construire, exploiter et maintenir une telle installation et remettre en état le site ».

Le tribunal administratif contrôle ici, avec une rigueur certaine, la réalisation de l’obligation de démonstration par le pétitionnaire de ses capacités techniques et financières. Il rappelle notamment que la référence par la filiale à son groupe (production d’un descriptif) ne suffit pas et ce alors même qu’un transfert de fonds propres est annoncé. De même, la production d'un bilan prévisionnel et l'indication d'un montage financier ne suffisent pas, selon le tribunal administratif de Strasbourg.

Au cas d'espèce, l’analyse du Juge aurait sans doute été différente si le transfert de fonds propres avait d’ores et déjà été réalisé. Par ailleurs, le jugement est susceptible de créer le débat dés lorsqu’il semble révéler que le contrôle du Juge n’a porté que sur le contenu du dossier de demande d’autorisation à l’exclusion de toute autre pièce. Or, la jurisprudence précise que l’administration n’est pas limitée aux pièces de ce dossier pour apprécier la réalité desdites capacités. 

Capacités techniques : la référence à un contrat à venir ne suffit pas

Il convient de bien distinguer la preuve des capacités financières du demandeur, de celle de ses capacités techniques. Aux termes du jugement rendu le 15 février 2012, le tribunal administratif de Strasbourg contrôle également la réalité des capacités techniques du pétitionnaire. 

"Considérant en second lieu, qu’au titre de ses capacités techniques, la société H. se borne à indiquer qu’elle « consultera prochainement A., G. et S. pour la signature de deux contrats traitant pour l’un de la construction clé en main et de son exploitation et sa maintenance complète pour l’autre » ; qu’elle ne produit aucun contrat ou engagement, ni pour la construction de l’installation qui permettrait de s’assurer d’un savoir faire réel et prouvé dès lors qu’elle-même ne dispose pas de ce savoir-faire, ni pour l’exploitation et la maintenance de l’installation qui établirait que ces opérations se feraient en toute sécurité ; qu’en se limitant à citer les trois opérateurs existant sur le marché des centrales à cycle combiné gaz sans indiquer lequel assurera la phase de construction et ensuite celle d’exploitation et de maintenance, la société H. n’a pas justifié devant l’administration de sa capacité technique à construire et exploiter une telle installation ;" 

Du point de vue de l’administration de la preuve des capacités techniques, ce jugement apporte une précision très importante. Le Juge n’indique pas ici que le demandeur d’une autorisation ICPE ne peut pas démontrer la réalité de ses capacités techniques par la production de contrats avec des tiers. Très exactement, le tribunal administratif de Strasbourg relève que ces contrats n’ont pas encore été signés. Ainsi, il est possible de déduire de ce jugement -mais avec encore une extrême prudence ! – qu’un demandeur pourrait démontrer ses capacités techniques, notamment par la production devant l’administration en charge de l’instruction de sa demande d’autorisation d’exploiter ICPE, des contrats conclus avec les partenaires en charge de la réalisation et de la maintenance des installations. 

La date de la preuve des capacités techniques et financières

Le jugement rendu le 15 février 2012 par le tribunal administratif de Strasbourg apporte d’importantes précisions sur les modalités de preuve des capacités techniques et financières.  Une interprétation a contrario du jugement peut – avec prudence – permettre de penser que la preuve desdites capacités peut être apportée ou tout au moins complétée devant le Juge, en cours d’instance : 

"Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’à la date de la délivrance de l’autorisation d’exploiter une centrale de production d’énergie  électrique ou même au cours de la procédure devant la présente juridiction, la société H.  n’a pas démontré sa capacité financière et technique à construire, faire fonctionner et maintenir l’installation en cause ; 

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que l’arrêté du préfet de la Moselle du 25 juin 2010 ayant autorisé la société H. à exploiter une centrale de production d’énergie électrique sur le territoire des communes de H., S. et W. est intervenu en méconnaissance des dispositions précitées du code de l’environnement  ; qu’il doit, par suite, être annulé ». 

Conclusion : le législateur doit intervenir

Si les industriels dont les installations sont depuis longtemps classées ICPE connaissent bien la problématique des capacités techniques et financières, les professionnels de l’énergie et notamment des énergies renouvelables, ont pris plus récemment conscience de ce risque. Au demeurant, si les éoliennes ont été soumises, aux termes de la loi du 12 juillet 2010, aux règles de la police des ICPE, c’est notamment pour contraindre les producteurs à démontrer à leur tour leurs capacités techniques et financières. Cette contrainte juridique pèse sur le modèle de financement des projets de production d’énergie et sur leur filialisation. Il est impératif que le législateur intervienne rapidement. Nombre d’opérateurs ne peuvent en effet financer les projets uniquement sur fonds propres et le concours d’investisseurs extérieurs et des banques est requis. Or ces derniers attendent généralement que les autorisations administratives nécessaires à la réalisation des projets soient délivrées à un véhicule de financement propre (filiale, société de projet) et purgées de tout recours. 

De manière générale, la jurisprudence administrative relative à la preuve des capacités techniques et financières interroge. Outre le fait que les décisions rendues ne sont pas toutes cohérentes entre elles, on remarquera que le contrôle exercé par le Juge administratif est parfois plus rigoureux pour les personnes privées que pour les personnes publiques, notamment celles qui sollicitent des autorisations d'exploiter des centres de stockage de déchets dont l'exploitation sera en réalité entièrement confiée à un tiers, au moyen par exemple d'une délégation de service public. 

De nouveau, il convient d'insister sur la prudence dont il faut faire preuve. Le présent jugement du tribunal administratif fera peut être l'objet d'un appel. Or, alors que l'insuffisance du droit positif contraint à l'étude de la jurisprudence pour mieux cerner le contenu de cette preuve, force est de constater que la jurisprudence n'est elle même pas stablisée. L'insécurité juridique est donc - malheureusement - (trop) grande. 

Pour ne pas compromettre l’accès de nombreux producteurs au marché de l’énergie, une réforme du régime des capacités techniques et financières s’impose sans doute. Cela est également vrai pour les cycles combinés à gaz dont le développement est nécessaire pour assurer la réalisation d'un mix énergétique moins nucléarisé.