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La dame de fer

Publié le 20 février 2012 par Egea

Je suis entré dans la salle de cinéma avec du scepticisme, et en suis ressorti convaincu. Voici donc un film, La dame de fer, qui peut être propice à la réflexion, malgré ses apparences. Bon, d'accord, c'est un peu soap, mais pas seulement.

La dame de fer
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1/ Ce film aurait pu être plus directement "politique" : aussi bien sur la scène intérieure (la révolution néo-libérale, la grève des mineurs, la gestion de l'IRA) que sur la scène extérieure (pour la période, la discussion avec l'Europe, la Perestroïka, la guerre des Malouines). Or, délibérément, le film ne raconte pas cette histoire là : en ce sens, il ne s'agit pas d'un documentaire. Ce qui ne signifie pas que ces événements sont absents : juste qu'ils sont en arrière-plan, et qu'ils ne sont pas le "sujet". Le sujet, c'est Margaret Thatcher.

2/ Bien sûr, on a là un biopic avec ce qu'il faut d'émotion pour faire pleurer Simone. Grâce à un double ressort : le deuil du mari qui a été négligé (sur le thème "la femme et son couple un peu cabossé"), mais aussi les troubles de la mémoire (sur le thème : "ouh! la! la! le vieillissement nous touche tous, même les plus grands, nous sommes bien peu de choses ma pauvre dame"). Si on en reste là, c'est de la bonne machine, efficace et émouvante : cinématographique. Avec une Meryl Streep étonnante, adoptant un phrasé anglais superbe, et confirmant qu'elle est une très grande actrice.

3/ Alors ? alors, pourquoi en faire un billet sur un blog de géopolitique ? Parce que la géopolitique admet l'influence du facteur humain. Bien sûr, il s'agit des populations, et aussi de leur représentations. Mais il ne faut pas oublier un facteur particulier, celui de l'homme d’État. Trop souvent oublié comme sujet d'étude, alors pourtant qu'il est essentiel dans notre compréhension des rapports de forces et des intentions des puissances.

4/ Ce fut la réflexion que je me faisais, au long du film : un homme d’État n'est pas qu'une résultante d'intérêt, c'est d'abord un homme (bon, ici, une femme, mais vous m'avez compris). Et le fait qu'il ait marqué l'histoire, et qu'il soit devenu un grand homme d’État, force justement à se poser la question de sa personnalité, de son rôle en tant qu'être humain.

5/ On se reportera ici à deux livres qu'il faut lire, car ils illustrent, différemment mais avec la même interrogation, cet état de l'homme d’État.

  • tout d'abord, la deuxième partie de "Introduction à l'histoire des relations internationales" (Pocket, Agora, 1991), par P. Renouvin et JB Duroselle. Le deuxième partie, écrite par Duroselle, s'intéresse justement à l'homme d'Etat : un livre écrit en 1964 et qui reste d'actualité.
  • ensuite, le livre de Jean-Yves Haine, "les États-Unis ont-ils besoin d'alliés?" (2003, Payot) qui lui aussi, dans des circonstances plus contemporaines, montre l’importance de la psychologie de l'homme d’État dans la prise de décisions d'importance.

6/ Un homme d’État est d'abord un homme politique, qui passe ses journées à mener une vie idiote, à assister à des réunions les plus emm... tes les unes que les autres, à passer ses week-end à aller dans les maisons de retraite, sur les marchés ou dans les assemblées générales d'associations les plus diverses, à subir des calculs politiques outs plus trash les uns que les autres, car la politique est d'abord un combat (aucun néo-schmittisme là-dedans : juste l'observation que la lutte électorale est une lutte où il faut beaucoup de caractère). Un métier ingrat, très mal vu, avec peu de récompenses, quoiqu'on en dise. Et je suis sincèrement admiratif de ceux qui s'y consacrent, car je crois qu'ils ne font pas ça pour l'argent ou les honneurs ou les passe-droits. La dernière fois que j'ai dit ça, on m'a pris pour un fou, on a cru que j'avais moi-même des calculs politiques, on a interprété. Or, il n'y a pas à interpréter : ce métier ne vaut pas le coup. Car justement, on abandonne sa personne. Sa vie privée.

7/ Un homme d’État, par construction, est un homme "public". A peu près aussi mal vu que les femmes publiques. Cette publicité de l'homme politique qui déconstruit sa personnalité, on en avait déjà eu un aperçu dans l'excellent film "l'exercice de l’État", dont je vous avais déjà parlé, et qui racontait justement cette histoire. Ici, dans la dame de fer, on est dans la situation après l'exercice de l’État : quand l’homme se retrouve seul et doit se reconstruire, si c'est possible.

8/ Du coup, et c'est le deuxième enseignement de ce film, on pose la question de la continuité : de ce qui existait avant, pendant et après l'action. Qu'est-ce qui a fait que cet homme (cette femme) a eu cette influence dans ces conditions ? On le voit, et le film le montre habilement en mélangeant les flash-back (ah ! l'interrogation permanente de la mémoire, si bien vue quand Maggie signe ses Mémoires -ses Mémoires!- et se trompe de signature, inscrivant son nom de jeune fille), et en remontant aussi bien à la Margaret Thatcher premier ministre qu'à la jeune fille si fortement influencée par son père, et assumant sa faiblesse initiale (femme et fille d'épicier, rendez vous compte) pour la transformer en atout de son intégrité.

9/ Ce qui surprend, c'est la détermination. L'absolue détermination, et la conviction que les idées, simples peut-être, mais enracinées, peuvent changer le monde. Là réside peut-être la différence entre Maggie et ses concurrents : elle y croit. Le triomphe de la volonté, on l'observe. Jusque dans ses maladresses, comme cette scène pénible où elle gourmande et corrige le numéro 2 du gouvernement. La volonté, quasi churchilienne, qui la fait entrer dans l'histoire. Moment remarquable de décision au moment des Malouines : l'envoi de l'armada, mais aussi la décision de couler le bateau. Et immédiatement, la lettre manuscrite écrite à chacune des 300 familles de militaires tués. La volonté n'est rien sans l'authenticité. L'homme d’État, celui qui rentre dans l'histoire, est d'abord lui-même. C'est d'abord un homme, ou une femme, qui réussit à dominer les institutions et les circonstances pour changer le cours de l'histoire. A ses risques et périls. Au point de perdre le fil de sa vie. La différence entre un homme d’État et un homme politique de circonstance, changeant au gré de la brise, incapable de tenir face à la bourrasque de l'histoire. L'un est cohérent, l'autre incohérent.

10/ Film émouvant, et qui rend sympathique Margaret Thatcher. Si vous arrivez avec des préjugés, notamment idéologiques, vous serez déçus. Mais si vous vous posez la question de l'humain, alors, ce film est nécessaire.

Enfin, cette belle citation, reprise dans le film : "Watch your thoughts for they become words. Watch your words for they become actions. Watch your actions for they become...habits. Watch your habits, for they become your character. And watch your character, for it becomes your destiny! What we think we become. My father always said that... and I think I am fine." Splendide !

What we think we become ! Et donc, la conclusion : just think ! Beau programme pour égéa.

O. Kempf


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