« Quand ça veut pas, ça veut pas ». Décidément, le passage du statut de président-candidat à celui de candidat-président n’est pas une sinécure pour Nicolas Sarkozy : alors qu’un sondage révèle l’avis majoritairement négatif des Français sur son entrée en campagne, deux polémiques viennent coup sur coup ternir son dispositif web qui se voulait exemplaire. Il y eut d’abord celle sur son profil Facebook « timeline », suspecté d’avoir été conçu avec l’aide poussée du géant du web américain, appliquant un traitement de faveur au sortant. Il y a aujourd’hui, un voire deux crans au-dessus en gravité, la colère qui embrase le web quant à la censure sauvage et répétitive de comptes Twitter dont le titre est défavorable à Nicolas Sarkozy. Dans une ambiance un brin paranoïaque, les twittos assistent à la disparition, parfois quelques heures seulement après leur création, de comptes parodiques ou tout simplement critiques faisant trop explicitement référence au nom de Sarkozy, ou à son slogan « La France forte ». Les informations et explications tombent au compte-goutte ; l’équipe web du président a fini par avouer qu’elle avait demandé la suspension d’un compte imitant le sien ; mais le mystère demeure pour les autres comptes terrassés. Action de Twitter sur demande de l’Elysée ? Réseau de faux comptes Twitter actionnés de manière centralisée (botnet) pour faire des « déclarations de spam » massives contre des comptes Twitter ciblés ? Plus prosaïquement, actions commando des militants en ligne de l’UMP ? Ou d’un autre acteur non-identifié ?
Dans toutes ces spéculations effrénées, il y a un grand absent : Twitter. A l’heure où j’écris ces lignes, l’entreprise américaine, qui n’a pas de représentation française, n’a pas réagi autrement que par des mails-types aux victimes de suppressions de compte qui cherchaient à en savoir plus – mutisme suscitant en réaction une lettre ouverte de l’équipe web de François Hollande. Les réponses laconiques du réseau social, comme l’explique par exemple Internet Sans Frontières, ouvrent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Pourquoi un compte caricatural assumé comme tel – choses explicitement permise par les conditions d’utilisation de Twitter – est-il suspendu suite à une plainte de l’équipe élyséenne pour usurpation d’identité ? Pourquoi cette notion de caricature semble-t-elle être appliquée à géométrie variable, et avec moins de sévérité pour les comptes moquant la gauche ? Et même si les fermetures de comptes que l’on ne peut accuser de prendre l’identité de Nicolas Sarkozy (@SarkoCensure par exemple) sont dues à des actions abusives de l’UMP (déclaration en spam par plusieurs militants), pourquoi Twitter tolère-t-il un tel détournement de l’esprit de ses règles de modération ? Pour aller au fond du sujet : quelles sont les limites à la liberté d’expression politique admises, et respectées, par ce réseau social ?
On en viendrait presque à oublier une évidence : Twitter est une entreprise, étrangère qui plus est. Pas un service public. L’effet de mode autour de ce réseau, la légende de la « révolution Twitter » en Iran, l’arrivée en masse des responsables politiques pour « gazouiller » à l’occasion des élections françaises ont pu finir par masquer la vraie nature du service de micro-blogging. Du reste, Twitter n’a pas été conçu non plus, initialement, pour (sup)porter de telles problématiques. Ou l’histoire classique d’une technologie qui grandit plus vite que la régulation de ses usages.
On peut toujours dire, comme je l’ai lu ici et là aujourd’hui : « vous n’avez qu’à ne pas aller sur Twitter, rien ne vous y oblige ». C’est vrai : l’entreprise n’est en situation de monopole de fait sur la messagerie sociale, que parce qu’on lui accorde de l’importance. Twitter n’est pas une ressource naturelle d’importance vitale. Mais de facto, le réseau s’est imposé et est désormais au cœur du débat politique, ayant même eu récemment les honneurs ô combien symboliques, et significatifs, du journal télévisé du soir de TF1. Cette omniprésence implique naturellement de grandes responsabilités, que l’entreprise ne peut repousser, sauf à évacuer toute activité politique de son réseau. Première de ces responsabilités : assumer son statut et communiquer en conséquence. C’est le silence de Twitter, depuis 48H, qui nourrit le buzz et les pires rumeurs. Le débat politique nécessite une transparence minimale (des règles et des pratiques), à mille lieux de l’opacité et de la régulation arbitraire façon Far West d’une entreprise commerciale dont le seul souci est sa propre expansion. Deuxième responsabilité : se munir d’une déontologie en phase avec les missions dont ce réseau se laisse investir, garantir une égalité de traitement aux différentes forces politiques, et non un contact différencié en fonction des accointances personnelles et des relations avec tel ou tel proche du pouvoir. A défaut de suivre cette voie qui est celle du simple bon sens, la messagerie à la mode risque d’expérimenter rapidement les effets du bad buzz et de la colère de ses utilisateurs, comme Facebook avant elle. Ce qui n’est jamais une bonne chose, même (voire surtout) commercialement.
Romain Pigenel