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La CJUE ouvre-t-elle la porte au recours permanent aux CDD de remplacement ?

Publié le 21 février 2012 par Jblully

La CJUE ouvre-t-elle la porte au recours permanent aux CDD de remplacement ?© fotodesign jegg.de - Fotolia.comOutre-Rhin, une salariée a été employée pendant 11 ans sur la base de 13 CDD successifs afin de remplacer différents assistants lors de leurs congés. Saisie par la juridiction allemande d’une question préjudicielle, la CJUE a rendu un arrêt remarqué le 26 janvier 2012 en ne condamnant pas le renouvellement de ces CDD de remplacement qui correspondaient pourtant selon ses propres termes à un besoin récurrent voire permanent de l’entreprise.

Cet arrêt soulève deux questions fondamentales : s’agit-il d’un cas d’espèce ou d’un arrêt de principe ? Quelle est son incidence sur la réglementation française sur les CDD ?

Revirement or not revirement ? Telle est la question

À l’instar du droit français, la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999, qui met en œuvre l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999, affirme que le CDI est la forme générale de la relation de travail. L’utilisation successive de CDD doit donc être encadrée, étant précisé que l’accord-cadre ménage expressément les spécificités de certains secteurs d’activité et de certaines catégories de travailleurs.
Concrètement, les États membres doivent prévenir les abus en introduisant une des mesures protectrices suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

Le droit allemand ayant opté pour la première solution, de loin la plus souple, l’analyse des juges s’est mécaniquement concentrée sur la notion de « raisons objectives ».
Selon la jurisprudence communautaire, elles doivent viser des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée de nature à justifier l’utilisation de CDD successifs. En clair, le juge recherche des éléments concrets en appliquant la méthode du faisceau d’indices : nature particulière des tâches, caractéristiques inhérentes à celles-ci, conditions d’exercice de l’activité ou, le cas échéant, la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (CJUE, 4 juill. 2006, aff. C-212/04, Adelaner).

Il en découle logiquement qu’une réglementation nationale qui permet le renouvellement des CDD de remplacement pour satisfaire certains besoins provisoires s’avère contraire au droit communautaire lorsque lesdits besoins sont, en réalité, permanents et durables (CJUE, 23 avril 2009, aff. C-378/07 à C-380/07, Angelidaki e.a.)

Dans l’arrêt Kücük du 26 janvier 2012, la Cour rappelle qu’une disposition qui permet le renouvellement de CCD afin de remplacer d’autres salariés absents n’est pas en soi contraire à la réglementation européenne, les besoins provisoires des employeurs pouvant constituer une raison objective.

Ce principe confirmé, la question qui reste en suspens est : le besoin permanent exclut-il toute raison objective ?

La réponse de la CJUE est on ne peut plus claire : « le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l’embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n’implique pas l’absence d’une raison objective… ».

L’évolution par rapport à l’arrêt Angelidaki e.a., qui concernait la réglementation des CDD dans la fonction publique grecque, bien plus rigide que celle applicable dans le cas d’espèce, est très nette. Le recours systématique aux CDD de remplacement n’est plus en soi un abus et peut donc servir à faire face à un besoin structurel de main d’œuvre. Soulignons que la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale, particulièrement de politique familiale par le remplacement de salariés en congé maternité ou en congé parental, constitue une raison objective.

L’arrêt Kücük du 26 janvier 2012 ne nous semble pas constituer un blanc seing pour recourir de façon permanente aux CDD de remplacement. En effet, les juges n’y affirment pas que le remplacement permanent est une raison légitime, mais uniquement qu’il n’empêche pas son existence. L’utilisation de CDD successifs reste contrôlée au cas par cas en utilisant la méthode du faisceau d’indices. L’ensemble des éléments factuels doivent être pris en compte, particulièrement le nombre et la durée totale des CDD.

L’arrêt Kücük : terreau d’une réforme de la réglementation française sur les CDD de remplacement ?

Rappelons que le juge social français martèle que « la possibilité donnée à l’employeur de conclure avec le même salarié des contrats à durée déterminée successifs pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (Cass. soc. 26 janvier 2005, pourvoi n° 02-45342). Soucieuse de l’effectivité de ce principe, la Chambre sociale de la Cour de cassation a interdit la conclusion d’un seul CDD pour le remplacement successif ou simultané de plusieurs salariés (28 juin 2006, pourvoi n° 04-43053), même si le contrat indique précisément les dates de remplacement de chacun des salariés absents (18 janvier 2012, pourvoi n° 10-16926).

Le contraste entre la jurisprudence communautaire et la jurisprudence française est saisissant.

Pour autant, cela implique-t-il que les juges du quai de l’horloge vont devoir valider le recours systématique aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d’œuvre ?

C’est peu probable car, si surprenant que cela puisse paraître, la méthode du juge français n’est pas si éloignée de celle employée par le juge luxembourgeois. En effet, il s’appuie depuis longtemps sur une conjonction d’éléments factuels pour déterminer si les CDD doivent être requalifiés en CDI.

De plus, et c’est un point fondamental, la philosophie de l’accord-cadre est de ne pas permettre aux états membres de diminuer la protection des CDD en prenant appui sur ses dispositions.

Cela n’en diminue cependant pas l’intérêt de l’arrêt Kücük en droit français.

En premier lieu, il met encore une fois en exergue l’extrême rigueur de notre réglementation :

1. Cette inflexibilité dénote avec la souplesse du droit communautaire. En effet, alors que ce dernier permet de n’utiliser qu’un seul des 3 critères (raison objective, durée globale du CDD et nombre de renouvellements), notre réglementation les cumule.

2. Illustration supplémentaire, la sanction prévue par le droit communautaire en cas de renouvellement successifs n’est pas obligatoirement la transmutation en CDI.

3. Plus grave encore, le potentiel de flexibilité introduit par les partenaires sociaux dans l’accord du 18 mars 1999 est pleinement utilisé par nos voisins, à commencer par l’Allemagne.

En second lieu, l’arrêt Kücük impulse incontestablement une réflexion sur l’opportunité d’adoucir notre réglementation sur les CDD. Outre que son extrême rigidité l’a rendue tristement célèbre hors nos frontières, elle régulièrement stigmatisée comme handicapant notre compétitivité.

C’est donc tout naturellement que, dans son livre blanc 2012, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris envisage d’assouplir le recours au CDD en s’inspirant de nos voisins. À cet égard, aux côtés de l’Allemagne ou de l’Italie, l’Espagne et le Portugal, qui ont récemment allégé leur réglementation sur les CDD, pourraient être une source non négligeable d’inspiration.

À méditer.


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