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Afghanistan, guerre lointaine (Philippe Conte)

Publié le 23 février 2012 par Egea

C'est un peu par hasard que j'ai entendu parler de cet ouvrage. Et la démarche me semble particulièrement utile : voici donc un quidam, un citoyen, auditeur lambda d'une session régionale de l'IHEDN, par ailleurs ingénieur et catholique, qui écrit un livre sur l'Afghanistan : pas du point de vue opérationnel ou stratégique, mais, pourrait-on dire, méta-stratégique. En effet, analysant la façon dont la guerre est conduite (à la fois mélange de technologisation et de retenue), il interroge non seulement l'éthique de la guerre, mais surtout la question de la force, ou de la faiblesse, de l'Occident. Bref, cette guerre n'est pas si lointaine, c'est vraiment notre guerre qui révèle très bien notre inconscient. Cette réflexion dépasse le questionnement habituel sur le bien-fondé de cette guerre : là n'est pas le problème.

Afghanistan, guerre lointaine (Philippe Conte)

Une réflexion profonde et d'autant plus intéressante qu'elle n'est pas le fait d'un "spécialiste" mais d'un homme de bonne volonté. Il a bien voulu répondre à nos questions.

1/ Pourquoi "encore" un ouvrage sur l’Afghanistan ? Quel point de vue voulez vous tenir que d'autres ouvrages n'ont pas dit ?

Il y a certes un certain nombre d'ouvrages sur ce conflit. Aucun pourtant, à ma connaissance, ne l'aborde du point de vue anthropologique et méta-politique. J'ai tenté de montrer dans cet ouvrage que les principaux obstacles sur lesquels les forces occidentales butent aujourd'hui sont profondément endogènes. Je rappelle à plusieurs reprises que l'Occident avec des moyens bien inférieurs a gagné de nombreuses guerres dissymétriques et ce autant dans les périodes coloniales que postcoloniales. Il faut donc s'interroger sur les évolutions de fond qui sont à l'origine de cet échec. C'est, je crois la façon dont l'Occident ( sous une influence anglo-saxonne largement dominante) conçoit et comprend l'homme, le soldat, la guerre, la nation qui est devenue inadéquate. En ce sens la guerre d’Afghanistan n'est pas une guerre lointaine, c'est notre guerre !

2/ Votre première partie rappelle les conditions de la guerre en Afghanistan : ces conditions affectent-elles la justesse de la cause ? Ne peut-on pas s'étonner et leur trouver une relative "neutralité" (même si, évidemment, elles apparaissent comme des contraintes dans la conduite de la guerre) ?

Les conditions propres du conflit ne sont pas si spécifiques. Il y a des précédents historiques dont la guerre d'Algérie est certainement l'un des plus proches. Les difficultés de terrain sont pour leur part effectivement plus neutres qu'on le dit habituellement. David Galula avait déjà montré que ces conditions hostiles avantageaient plutôt les « forces loyalistes » qui bénéficient généralement d'une logistique supérieure. La véritable contrainte pour la conduite des opérations c'est bien évidement la présence de la population dans la zone de guerre et son intrication avec les éléments ennemis. Cet élément très prévisible aurait dû impliquer une stratégie appropriée.

3/ Vous suggérez que les guerres asymétriques sont condamnées à échouer, à cause notamment de l’inégalité des volontés. Mais n'est-ce pas justement parce que le fort se retient (il est "juste", de ce point de vue) que le petit a des chances de le vaincre ?

Je ne dis pas qu'il y a une inéluctabilité de la défaite, mais pour envisager une victoire il faut impérativement éliminer de nos postulats les éléments faux et les erreurs d'appréciation. La question de la volonté est bien sûr essentielle. Ce qu'il faut comprendre c'est que cette volonté n'est pas un invariant, elle évolue dans la durée du conflit. Les théoriciens de la G4G ont montré que c'est elle qui est le véritable « objectif militaire ». Il me semble de ce point de vue que la réflexion stratégique des « talibans » est sur ce point en avance par rapport à la notre. Au delà des discours sur la « COIN », sur le terrain (en particulier avec l'extension de l'usage des drones) on voit que la seule véritable stratégie se limite au body count. Les exemples des deux guerres mondiales montrent cependant qu'à moins d'une attrition si intense qu'elle aboutisse à un impact démographique, les pertes ne sont pas un élément suffisant pour défaire l'ennemi. La véritable question est donc de rechercher le point d'équilibre entre le niveau de violence appliqué sur le terrain et les objectifs.

Qu'il faille se retenir est une évidence sur laquelle il est surprenant que l'on n'y réfléchisse pas à proprement parler. Les alliés ont bien sûr de quoi vitrifier l'Afghanistan ! Mais déployer ainsi toute la puissance disponible est-il compatible avec les objectifs de guerre ? Évidement non ! Cela implique donc d'y réfléchir avec attention : il y a forcement une auto-limitation de la puissance de feu et la détermination de ce niveau est un élément capital de la stratégie à mettre en œuvre.

4/ Plus encore, au lieu qu'il s'agisse d'une question d'éthique, l'échec que vous dénoncez n'est-il pas celui de la défaillance d'une volonté ? Autrement dit, comme on n'a pas envie de la gagner "à n'importe quel prix", on accepterait de la perdre. Ce qui serait pire : plus qu'une subordination à l'éthique, il y aurait démission du vouloir.

Un certaine déficience de la volonté est une évidence, mais il s'agit plus d'une usure précoce qu'un défaut absolu. L'origine de cette défaillance rapide est cependant bien « éthique » (avec des réserves sur le mot et le concept qu'il recouvre). La régression des vertus dans nos sociétés a des causes multiples, sociales, économiques, politiques, mais avant toute chose c'est un défaut moral. C'est parce que l'Occident a abandonné des fondements spirituels et moraux qu'il est aujourd'hui d'une faiblesse insigne, faiblesse à laquelle il tente de remédier par l'usage surabondant de la puissance technique ; usage surabondant qui in fine devient une gêne dans la poursuite de ses objectifs sur le terrain.

5/ Au fond, l'évolution ultime de notre civilisation occidentale ne conduit-elle pas à sa défaite inéluctable ? Ce qui, puisque vous vous placez du point de vue du chrétien, est finalement conforme à l'idéal initial : comme si, paraphrasant Saint Paul (I Corinthiens 15 : 55), on ne devait dire dans l'ordre politique : "Ô guerre, où est ta victoire ?"

Notre modèle « civilisationnel » est clairement en crise. Le recours permanent à des solutions technicistes a des impacts sociaux massifs (chômage extensif), des impacts environnementaux dévastateurs (dérèglement climatique, extinction d'espèces). Dans le domaine militaire les impasses sont plus évidentes encore. La guerre portant tous les phénomènes socio-politiques à leur paroxysme est un révélateur impitoyable des apories d'une civilisation. Des organisations politiques qui visent quotidiennement au « dépassement » des nations sont-elles à même de promouvoir le renforcement d'une nation étrangère ? Des sociétés qui renforcent l'hédonisme et l'individualisme, qui refuse l'image même de la mort peuvent-elles demander à certains de ses citoyens le sacrifice ultime ? Des sociétés fondées sur l'échange marchand sont-elles à même de comprendre une vie reposant sur les notions de service et de don comme celle du soldat ?

Si nous ne nous donnons pas les moyens de résoudre ces contradictions, alors certes, notre défaite est inéluctable.

Monsieur Philippe Conte, je vous remercie.

Références :

O. Kempf


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