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Hommage à Hervé Coutau-Bégarie

Publié le 26 février 2012 par Egea

Comme bien d'autres, après bien d'autres, j’aimerais rendre hommage à HCB. Dans ces cas là, on hésite toujours entre les aspects personnels et des aspects plus généraux. Je tenterais de joindre les deux en montrant qu'il fut à la fois un émetteur, un passeur et un formateur.

Hommage à Hervé Coutau-Bégarie

1/ Un émetteur : c'est-à-dire un producteur d'idées, un analyste, un chercheur. HCB réunissait deux qualités rarement jointes : il avait une grande érudition, qui ne l'empêchait pourtant pas de trouver des idées novatrices. Réunir les deux aspects est exceptionnel, et il faut tout d'abord insister sur cette qualité première. Un érudit qui avait des idées !

2/ Comme bien d'autres, je l'ai découvert sur les bancs de l'amphi Foch, il y a plus de dix ans. Avec cette capacité éblouissante d'à peine ouvrir ses notes et de continuer son propos là exactement où il l'avait laissé la semaine précédente. Agrémentant le discours de suffisamment d’anecdotes et de traits d'esprits pour que les potaches qui devaient l'écouter l'écoutent réellement au lieu de se réfugier dans les bras de Morphée ou du Midi Olympique. Un maître, c'est à dire capable d'assurer le magister du haut de l'estrade, s'inscrivant en cela dans la longue continuité de l’université française.

3/ Dans cette auguste assemblée, on nous distribuait deux livres : son traité de stratégie (et celui de Chauprade). Je dois à la vérité de dire que j'ai lu les deux après être sorti de ladite école. Mon côté indiscipliné, sans doute, de ne pas vouloir se laisser imposer ses choix. Mais mon côté discipliné aussi, sans doute, qui considère que si on me propose des livres, c'est qu'il y a peut-être une bonne raison. Et je n'ai pas été déçu, car voici deux traités qui permettent de bien débuter dans la vie intellectuelle. LA traité de Stratégie demeure la référence, celui auquel on se reporte dès qu'on s'interroge sut tel sujet pour avoir les références, les perspectives, les citations.

4/ Toutefois, on ne saurait restreindre l’œuvre d'HCB à cette seule somme stratégique : c'est un grand spécialiste de la stratégie navale, ce qui l'a amené à étudier telle ou telle zone maritime, géographiquement circonscrite, ce qui l'amenait sur les rivages de la géopolitique. Ainsi, il était capable de produire des analyses prospectives comme celle sur le monde en 2030, dont j'ai par ailleurs rendu compte. Un stratégiste, mais pas seulement; un navaliste, mais pas seulement; un géopolitologue, mais pas seulement : Tout cela à la fois.

4/ Car nous abordons ici l'autre grande qualité d'HCB : celle de passeur. Car c'est d'abord un héritier. Au sens noble du terme, celui qui transmet le patrimoine et le développe, à la mesure de son talent (au sens évangélique du terme). Ainsi, Coutau-Bégarie est celui qui a perpétué l'école stratégique française : on peut se reporter pour cela à l'ouvrage de Lars Wedin (« Marianne et Athéna : la pensée militaire française du XVIIIème siècle à nous jours » chez Economica en 2011), paru l'an dernier, pour dégager les différentes généalogies intellectuelles de la pensée stratégique française. Disons qu'on observe assez bien, me semble-t-il, le fil qui relie Castex à Poirier à Coutau-Bégarie.

5/ Mais un bon héritier est celui qui développe et transmets. HCB a fondé l'Institut de Stratégie Comparée (devenu Institut de Stratégie et des Conflits), qu'il a couplé à la Commission Française d'Histoire Militaire, faisant du site stratisc.org LA référence de la pensée stratégique française. Il a été directeur de recherches en stratégie à l’École de guerre (EdG), président de la Commission française d’histoire militaire, professeur au Cours Supérieur d'Etat-major (CSEM), directeur d'études à l’École pratique des hautes études et professeur à l'ICES. Il a été le directeur de publication de la revue Stratégique, co-directeur (avec Lucien Poirier) de la collection Bibliothèque stratégique chez Economica, membre du comité scientifique de la revue Nordiques.

6/ Ici, je me permets de faire appel à deux souvenirs personnels : j'ai en effet soumis deux articles à Stratégiques : tous deux ont été publiés, sans discussion. Je veux bien croire qu'ils pouvaient être intéressants, mais je ne doute pas qu'il s'agissait, pour le directeur de publication, d'encourager un jeune auteur à écrire. En diffusant, il encourageait, et il faut l'en remercier collectivement.

7/ Voici en effet la dernière qualité de Coutau-Bégarie : celle d'avoir été un formateur. Bien sûr, à travers ses cours qui ont marqué une génération d'officiers au CID (au sens propre : une quinzaine d'années). Mais aussi au travers de ses encouragements et conseils et exigences envers les jeunes. Je constate que toutes les jeunes pousses de la pensée stratégique française actuelle sont passées entre ses mains : Joseph Henrotin, Olivier Zajec (qui a assuré cette année le cours de stratégie à l'école de guerre), Benoit Durieux, Jérôme Pellistrandi pour ne citer que ceux que je connais directement et avec qui j'en ai parlé. C'est ici la dernière fusée de cet étage de transmission. Je me souviens de soutenances de thèse où il fit autorité grâce à son mélange de rigueur ne laissant rien passer et de bienveillance attentive pour encourager à avancer.

8/ Une dernière anecdote. L'an dernier, nous lancions avec AGS les cafés stratégiques. Nous venions de nulle part, étions des purs inconnus, animés du seul intérêt pour ces matières stratégiques et de la seule volonté de contribuer au débat. Quand je lui ai demandé, il n'a pas hésité alors pourtant qu'il souffrait déjà de sa maladie, malgré une rémission temporaire. Ce soir là (voir le billet sur AGS où nous avons mis en ligne la vidéo de son intervention), il a comme d'habitude brillé, maniant l'humour et la langue de vérité qui donnent une telle saveur à des analyses extrêmement fournies. Il s'agissait pour lui non de se mettre en scène, mais d'encourager, encore et toujours, les cercles stratégiques qui participent à cette exception française.

Au fond, il était rigoureux et drôle : un homme libre. Cela lui attira bien des amitiés. Et bien des inimitiés. Les sots ont toujours peur des grands. C'était un très grand.

Monsieur le professeur : continuez de veiller sur nous de là-haut : les conversations avec Ardant du Picq, Foch, Clausewitz, Mahan et Castex doivent être passionnantes. Et merci, merci pour votre œuvre et ce que vous nous avez donné.

Une messe en son honneur sera donnée à la chapelle de l'Ecole militaire, le jeudi 1er mars à 10h.

Coutau-Bégarie sur égéa :

  • l'hommage de Jérôme Pellistrandi
  • HCB dans la pensée stratégique française
  • Stratégiques, et la publication par HCB d'un article sur Vauban
  • Fiche de lecture sur son ouvrage L'Amérique solitaire : ici et ici
  • Fiche de lecture de son ouvrage : 2030, la fin de la mondialisation
  • et sur AGS, l'hommage de Stéphane Taillat, et la vidéo du café stratégique du 8 décembre 2010 : pour entendre et voir HCB une dernière fois.

O. Kempf


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