Enjeux du sommet de Chicago (2/3)

Publié le 27 février 2012 par Egea

Suite du billet précédent sur le prochain sommet de l'Alliance atlantique à Chicago. Où il est question de smart defense.

source

3/ Smart defense

Cette défense intelligente constitue en fait la réponse de l’Alliance à la crise économique, et donc à la question des budgets de défense. On se souvient que Robert Gates avait sermonné les Européens en juin, et que son successeur Leon Panetta avait eu également des mots assez durs envers les Européens, accusés de ne pas faire assez d’efforts en matière de défense. Il faut bien convenir qu’avec la crise, les budgets sont coupés à tout va, que ce soit en Grèce, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie pour ne prendre que ceux de nos voisins…

Dès lors, le SG, lors de la conférence de sécurité de Munich de l’an dernier (février 2011), a proposé une smart defense. Il s’agit d’une sorte de « pooling and sharing » pour reprendre une expression qui appartient aux cénacles européens : c’est en effet le projet de l’Agence européenne de défense (la sorte de DGA européenne renforcée après le traité européen de Lisbonne).

La smart defense annonce trois principes : priorisation, coopération et spécialisation.

  • La priorisation vise à se concentrer sur les « capacités » les plus indispensables à la défense. On devine là la prévention contre de nouvelles menaces, même si ce n’est pas dit expressément, et donc un prisme technologique qui n’est pas anodin.
  • La coopération n’est pas nouvelle : il s’agit comme autrefois d’affirmer qu’à plusieurs, on fait plus et mieux que tout seul.
  • Enfin, la spécialisation constitue la vraie nouveauté, puisqu’il s’agit de permettre aux nations de se concentrer sur certains segments, ce qui suppose, on l’aura compris, une vraie confiance mutuelle.

Les avocats de la smart defense expliquent qu’elle est rendue indispensable par la crise économique. Les observateurs constatent qu’elle ressemble aux multiples initiatives capacitaires prises par l’Alliance : Initiative sur les capacités de défense de Washington (1999), Engagement capacitaire de Prague (2002), Directive politique globale (2006). Sans grand succès, il faut bien en convenir, car il s’agissait toujours de solutions au sempiternel problème du partage du fardeau (burden sharing) qui traverse l’alliance depuis les années 1960. Or, derrière l’assentiment consensuel et de façade qu’avaient recueilli ces initiatives, la plupart des alliés n’en firent rien et continuèrent de jouer au passager clandestin : autrement dit, bénéficier de la garantie sécuritaire américaine sans en payer le prix en termes de dépenses nationales de défense.

Constatons également que la question touche à plusieurs dossiers sensibles :

  • d’une part, la question des bases industrielles de défense, qui demeurent, pour les États qui en possèdent encore, un attribut de souveraineté qu’ils ne sont pas prêts d’abandonner.
  • D’autre part, la spécialisation renvoie implicitement à la question de la planification de défense. Celle-ci avait été mise en place lors de la guerre froide et constituait un mécanisme puissant d’intégration, qui s’est un peu délité au cours de l’après-guerre froide. Certes, elle a été récemment réformée, mais la spécialisation consiste à donner à l’Alliance des pouvoirs qui étaient revenus dans les mains des nations.
  • Enfin, cette question de la smart defense renvoie à la question des ressources, et donc du financement commun : là encore, sous des abords de cohérence et d’efficacité, il y a des ressorts intégratifs profonds qu’il ne faut pas sous-estimer.

Le dernier risque lié à cette smart defense a été précisé par le ministre allemand de la défense, Thomas de Maizière : « La Smart défense paraît à beaucoup comme une sorte de pochette surprise pour économiser de l’argent. C’est une illusion. Certains croient qu’ils auront alors une compétence gratuitement, qu’ils n’ont pas. D’autres se disent qu’ils vont recevoir l’argent des autres pour une compétence dont ils disposent. La vérité est la suivante: la Smart Défense ne permet pas d’économiser de l’argent, mais peut-être de réduire les dépenses futures. Donc, si j’ai un conseil, c’est celui là : tout essayer, mais tourner sa langue trois fois avant de faire de grandes annonces ! »

Pour la France, le principe du partage au cas par cas existe depuis longtemps, sur tel ou tel programme, que ce soit en multilatéral (AED) ou en bilatéral. Elle appuiera logiquement le "pooling and sharing" dans le cadre européen, plutôt que le système allié. La Smart defense paraît surtout adaptée au « petits » pays de l’Alliance et peut résoudre de véritables lacunes si elle reste pragmatique, sur des projets concrets et pas trop ambitieux.

(à suivre)

O. Kempf