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Loi sur les génocides invalidée : faut-il s'en réjouir ?

Publié le 29 février 2012 par Sylvainrakotoarison

Quarante-cinq mille euros d’amende ou (inclusif) un an de prison ferme, voici ce qu’aurait risqué celui qui aurait eu l’indélicatesse de contester le génocide arménien avant l’invalidation par le Conseil Constitutionnel.

yartiGenoB01On n’a pas fini d’entendre encore parler de cette proposition de loi sur les génocides. Elle avait été adoptée définitivement par les deux chambres du Parlement mais vient d’être invalidée par l’instance suprême qui surveille nos droits constitutionnels.

Plutôt contre toute attente, le Conseil Constitutionnel a rejeté ce mardi 28 février 2012 le texte de loi punissant la contestation des génocides reconnus : « Le Conseil a jugé qu’en réprimant la contestation de l’existence de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication. ». Le texte intégral de la décision n°647DC du 28 février 2012 est ici.

L’argument est fort mais n’a pas empêché le Président Nicolas Sarkozy d’annoncer qu’il ferait déposer un nouveau texte. Ce sera dans tous les cas trop tard pour cette session parlementaire, et donc, pour ce quinquennat.

Revenons sur le texte en question et sa chronologie.
Je l’avais déjà évoqué il y a quelques semaines.

Petit rappel sur la procédure parlementaire

Le lundi 23 janvier 2012 sur le coup de vingt-deux heures trente, le Sénat en séance publique a adopté la proposition de loi visant à pénaliser la négation des génocides reconnus par la France. 127 voix pour et 86 voix contre. Comme l’Assemblée nationale l’avait adopté dans les même termes le jeudi 22 décembre 2011, la loi a donc été définitivement votée par le Parlement.

Avant sa promulgation, le Conseil constitutionnel devait statuer sur sa constitutionnalité puisque des parlementaires ont décidé de le saisir le 31 janvier 2012 (parmi eux, Jean-Michel Baylet, Marie-Christine Blandin, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Jacques Hyest, Fabienne Keller, Jean-Vincent Placé, Christian Poncelet, Jean-Marie Valerenberghe, Loïc Bouvard, René Couanau, Daniel Garrigue, Hervé Gaymard, François Goulard, Yves Jégo et Jack Lang). On sait maintenant ce qu’il en est. Ce texte ne sera donc jamais promulgué.

Pas une loi mémorielle

Cette loi n’était pas une loi mémorielle. Elle ne faisait que sanctionner ceux qui se mettraient en dehors des lois qui reconnaissent des génocides. La France a pour l’instant reconnu deux génocides, la Shoah pendant la Seconde guerre mondiale et le génocide arménien en 1915. Celui du Rwanda en 1994 mettra beaucoup de temps à être reconnu et celui du Cambodge sous les khmers rouges pose problème dans la mesure où ce génocide provient de représentant du même peuple. Elle ne pointe donc pas du doigt explicitement le génocide arménien (qui a été reconnu le 29 janvier 2001, il y a plus de dix ans à l’occasion, là, d’une loi mémorielle) mais tous les génocides reconnus.

Contestation outrancière

Elle donnait un cadre d’appréciation pour le juge assez précis, pour exclure tant les travaux de recherche historique (qui doivent se poursuivre dans tous les cas, même s’ils vont dans de "mauvaises" directions), mais des incitations à la haine. Elle sanctionnait en effet seulement « ceux qui ont contesté ou minimisé de façon outrancière (…) l’existence d’un ou plusieurs crime de génocide ».

C’est l’expression "façon outrancière" qui, bien évidemment, était l’élément clef de cette loi et devait donc épargner aussi ceux qui, de bonne foi, parce que d’une famille turque, croient que ce génocide n’a jamais eu lieu.

Cette loi-ci n’avait donc pas grand chose à être contestée sur le plan des principes, elle n’était que la suite logique et pénale de la loi de reconnaissance du génocide arménien. Elle n’était qu’une contrainte supplémentaire, parmi déjà de nombreuses autres, à la liberté d’expression afin que celle-ci ne trouble pas l’ordre public d’une manière ou d’une autre.

Pourquoi la contestation du génocide arménien troublerait-elle l’ordre public en France ? C’est l’une des questions que je me suis posée.

Troubles publics ?

La députée marseillaise qui est à l’origine de cette initiative législative, Valérie Boyer, a rappelé l’origine et l’utilité d’une telle loi : « Je tiens à votre disposition une liste non exhaustive mais déjà longue des contestations, des profanations et des exactions commises envers la mémoire des descendants des victimes ou des victimes encore vivantes. On ne saurait aujourd’hui, en tant que député, ne pas protéger nos concitoyens français contre des exactions et des profanations commises sur le sol français. ».

Car en effet, cette loi ne concernait pas la Turquie ni d’autres pays tiers, mais simplement la population française. C’était une loi interne et pas à visée extérieure (par exemple, provoquer et fâcher la Turquie).

La situation en Turquie

L’autre argument pas négligeable, c’était quand même que la Turquie non seulement ne reconnaît pas ce génocide arménien mais a même pénalisé chez elle ceux qui viendraient à le reconnaître. Le monde à l’envers ! Ce qui a rendu la position d’un grand écrivain comme Orhan Pamuk (Prix Nobel de Littérature 2006) très inconfortable dans son pays.

En effet, Pamuk a risqué quatre ans de prison en Turquie pour « insulte délibérée à l’identité turque » parce qu’en 2005, il avait affirmé publiquement : « Un million d’Arméniens et trente mille Kurdes ont été tués sur ces terres, mais personne d’autre que moi n’ose le dire. ». Le justice turque a renoncé finalement à un procès contre lui le 22 janvier 2006 mais à la suite de nombreuses menaces de mort, Orhan Pamuk s’est exilé aux États-Unis en février 2007.

Hrant Dink, journaliste turc d’origine arménienne, a, lui, été assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul par un adolescent nationaliste turc (ce dernier a été condamné à vingt-deux ans de prison le 25 juillet 2011).

Ce journaliste avait été condamné en octobre 2005 à six mois de prison avec sursis (toujours l’article 301 du code pénal turc) pour avoir « dénigré l’identité nationale turque » en ayant écrit publiquement : « Le sang s’écoulant de la noble veine reliant les Arméniens à l’Arménie se substituera à celui empoisonné par l’élément turc. ». Il avait d’ailleurs prévu sa triste fin : « Il se peut que j’en paie le prix mais la démocratie turque y gagnera, je l’espère. ». On ne lui avait pas pardonné non plus son reportage sur une fille adoptive d’Atatürk qu’il avait révélée d’origine arménienne.

Le rejet du Conseil Constitutionnel

Certes, les lois françaises déjà en vigueur actuellement sont déjà capables de sanctionner les appels à la haine et les débordements qui peuvent avoir lieu en France.

C’est aussi parce « qu’une disposition législative ayant pour objet de "reconnaître" un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi » que le Conseil Constitutionnel a rejeté le texte.

Pour lui, « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ».

Réuni en l’absence de Jacques Chirac et de deux membres ordinaires, le Conseil Constitutionnel a donc été très sévère puisqu’il a annulé purement et simplement toute la loi : « La loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi est contraire à la Constitution. ».

C’est la première fois qu’un texte de ce type ait arrivé aussi loin dans la procédure parlementaire (les précédentes propositions avaient toutes été rejetée par les parlementaires).

Il serait toutefois bien difficile de trouver un axe de rédaction d’un nouveau texte qui puisse s’affranchir des arguments exprimés par le Conseil Constitutionnel puisqu’il a mis en avant la liberté d’expression.

Il faut saluer la présence de cette instance suprême qui, au-delà des pressions politiques à courtes vues, ne fait que rigoureusement se conformer à la cohérence juridique de toute notre construction législative.

C’est probablement un corps intermédiaire indispensable, salutaire, dont le mode de nomination discutable n’a jamais empêché l’indépendance et qui a pris de plus en plus de pouvoir grâce notamment à la prise en compte du bloc de constitutionnalité en 1972 (Alain Poher), à la possibilité de saisine par les parlementaires en 1976 (Valéry Giscard d’Estaing) et enfin, à la question préalable de constitutionnalité en 2008 (Nicolas Sarkozy).

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 février 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Que penser de la proposition de loi sur le génocide arménien ?
Décision du Conseil Constitutionnel.
Documents à la source sur la proposition de loi sur les génocides.
Le monde musulman en pleine transition.
Turquie : ne pas se voiler la face…

 
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