Alors que le Brésil entier s’apprête à rentrer en transe, je rejoins en ce premier samedi de carnaval, Barcelos, point de départ d’une nouvelle aventure de pêche. Les paillettes et les couleurs flashys seront pour moi celles des peacocks bass et des gerbes d’eau de combats que je fantasme épique.

12h de lanchas rapide pour remonter depuis Manaus l’énorme ligne droite du Rio Negro en regardant des DVDs de série Z sélectionné par l’équipage, genre western de science fiction : Mad Max, vampires et antéchrist. Ian mon guru amazonien qui organise cette virée colle au milieu de tout ça un film de pêche complètement porno où des brésiliens qui savent à peine manier des stickbaits prennent des aïmaras monstrueux les uns derrière les autres. Nous jubilons, le reste des passagers se sont endormis. Autour de nous la forêt, rien que la forêt, 430 kilomètres d’arbres presque tous différents où de temps en temps s’échappe un aigle pêcheur qui tient dans ses serres un poisson encore frétillant.

En fin d’après midi, lorsque les nuages ont la couleur du vieil ivoire, nous arrivons à Barcelos qui fut avant Manaus la première capitale de l’Amazonie, au temps de l’âge d’or du caoutchouc. Il faut imaginer, au XXIème siècle, une ville de 25 000 habitants au coeur de cette forêt gigantesque où tout grandit et pourrit si rapidement. Barcelos garde quelques vestiges fragiles de sa grandeur mais aussi beaucoup de sa décadence. Mais comme les seigneurs de la forêt ou du fleuve, elle a su survivre a ses différents destins.

Au début du XXème siècle, un anglais habitant en Amazonie expédie des plans d’hévéas en Angleterre où ils furent soignés, améliorés puis envoyés pour une culture intensive en Malaisie. Du jour au lendemain, le marché du caoutchouc brésilien s’effondre. Il faudra du temps mais Barcelos retrouve de sa superbe dans le commerce du poisson d’ornement, les petites bestioles d’aquarium. Et coup du sort, voilà que l’Asie du Sud Est importe des poissons de Barcelos… pour créer des élevages, et de nouveau, les petits pêcheurs ne peuvent combattre l’élevage industriel.
Aujourd’hui l’économie de Barcelos est tournée en majorité vers la pêche sportive. Le soir on peut voir, dodelinant dans le courant, une trentaine de barques métalliques équipé de moteurs hors bord et électrique et de fauteuils moelleux, attachés derrière la station essence flottante. Elles attendent des gars dans mon genre ! des obsédés du tucunarés ! (le peacock bass en portugais)

Nous sommes partis à l’aube, sur le Kalua, le confortable bateau-hotel dont s’occupe Ian. La douzaine de pêcheurs est remonté à bloc, tout le monde préparant son matériel avec une excitation enfantine. On respecte les traditions du carnaval alors ça boit de la bière à 10h du matin en se racontant des histoires de pêche et en comparant les leurres de chacun. Mes compagnons sont surtout des pêcheurs au lancer, mais Danilo l’un d’eux a aussi une canne à mouche !

Alors que bateau s’enfonce plus loin dans la forêt, et que je ne suis plus qu’à quelques heures des premiers lancers, je vois des traces familières : le magazine Predators de Numa Marengo, un autre en polonais avec David Mailland en couverture, des autocollants de Ryusuke Hayashi, Alban Choinier est passé par là aussi. A des milliers de kilomètres d’eux je me sens soudain encore plus proche de tous mes amis pêcheurs, tous nous savons la portée légendaire du lieu : les peacocks de l’Amazonie ! C’est comme parler des tarpons de Cuba ou des truites de Nouvelle-Zélande, c’est s’apprêter à faire le voyage d’une vie.
Mais la cloche du déjeuner qui sonne me ramène au coeur de ce rêve devenu réalité, après il sera temps d’aller pêcher…