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Une lutte incessante avec soi

Publié le 02 mars 2012 par Perce-Neige

Une lutte incessante avec soiToujours à propos de l’acted’écrire, Annie Ernaux dont il m’est arrivé de lire certains textes avec beaucoupde plaisir, rapporte ceci dans un échange avec Frédéric-Yves Jeannet, récemmentpublié (L’écriture comme un couteau.Ed. Folio) :
J’ai été frappée par ce que disait Carver - dont j'aime énormémentl'œuvre - pour plein de raisons. Tout d'abord, une façon simple de parler de savie matérielle, d'en indiquer l'importance décisive sur son écriture, par lechoix du texte bref, la nouvelle. Ce n'est peut-être pas le seul élément déterminant,mais au moins il ne le cache pas. En France, on préfère souvent évitersoigneusement ce sujet. D'autre part, il évoque - chose infiniment rare chez unécrivain homme - les cris et les jeux de ses enfants, dont il doit aussis'occuper, qui l'empêchent de se concentrer. Et je suis ramenée à une périodede ma vie, entre vingt-cinq et quarante ans, pendant laquelle il m'a été trèsdifficile d'entreprendre un travail d'écriture suivi, ma vie étant celle quemenaient et continuent de mener nombre de jeunes femmes, avec toutes lesapparences de la liberté et du bonheur: travailler au dehors (l'enseignement),s'occuper des enfants (deux), faire les courses et les repas. Lorsqu'on ne saitpas quand l'on aura deux ou trois heures de tranquillité pour écrire et que, sicela arrive, à tout moment on peut être dérangée, on ne peut pas s'immerger réellementdans un autre univers. Ou au prix d'une lutte incessante, avec soi surtout,pour ne pas renoncer. D'autant plus que, prise dans une configuration familialeet professionnelle d'un côté et de l'autre en butte aux difficultés inhérentes àl'écriture, je ne parvenais pas à déterminer si c'était la diversité des tâchesqui me dispersait, le temps qui me manquait, ou la force et la capacité d'écrire.À certains moments, je me demandais si je ne serais pas plus heureuse encessant d'écrire, si je ne gâchais pas la vie de tout le monde, de mon mari etde mes enfants. Je ne me demandais pas si ce n'était pas eux qui gâchaient lamienne... À deux reprises, dans cette époque, je suis partie un mois hors dechez moi, isolée complètement, pour écrire. J'y tenais, j'en éprouvais malgrétout de la culpabilité, une culpabilité que j'avais aussi connue, mais à unmoindre degré, en préparant les concours d'enseignement, avec mes enfantspetits. Bref, je n'échappais pas complètement à la vision de ce qui doit êtreprioritaire pour les femmes, à une sensation d'illégitimité de me livrer à uneactivité qui ne concerne pas ma famille (alors que l'obtention d'un concours, elle,engageait économiquement la situation familiale). Ensuite, divorcée, vivantseule avec mes fils qui devenaient progressivement autonomes, je n'ai eu commecontrainte que celIe de l'enseignement à distance, où j'étais entrée à la findes années soixante-dix. Les séries de cours à rédiger et les copies à corrigerréclamaient beaucoup de temps, mais je pouvais choisir mes horaires de travail,voire mes jours, le vrai luxe ... Que les diverses contraintes aient influé surle temps d'écriture de mes textes, le rythme de leur publication, j'en suis sûre.Leur brièveté, elle, à partir de La place- dont la rédaction coïncide au contraire avec la fin de ma vie matrimoniale etdonc plus de temps -, dépend de toute une réflexion sur l'écriture, d'unchangement de celIe-ci, dont j'ai déjà parIé. Écriture concise, pour laquelIeje suis infiniment plus lente.

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