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Un exil au Paradis

Publié le 02 mars 2012 par Les Lettres Françaises

Un exil au Paradis

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Les Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

Yannick Blanc, les Esperados

Le remarquable livre de Yannick Blanc (1989) est enfin réédité et augmenté d’un essai inédit de l’auteur. Dans ce texte à mi-chemin entre pamphlet, chronique d’une époque et exégèse de son propre livre, Yannick Blanc jette un regard désabusé sur l’euphorie des années 70. Regard oscillant entre désinvolture et amertume, scandé par des réflexions sur les postures de l’époque (envers la drogue ou le communautarisme) et leurs conséquences. Néanmoins une certaine violence empêche le style d’être aussi caustique et impartial que le voudrait l’auteur.

Ancien journaliste à Actuel, dont le premier numéro avait été consacré aux « Communautés contre la famille », Yannick Blanc retrace la trajectoire de Pierre Conty, dit « le tueur fou de l’Ardèche », dont les trois meurtres firent les gros titres de l’été 1977, avant sa disparition mystérieuse. Les Espérados  est le conte cruel d’enfants du baby-boom nourris des illusions d’un communisme primitif dont Marx faisait déjà la critique et d’une nostalgie française de la paysannerie. Alors qu’aux Etats-Unis à la même époque on dénonçait la « stérilité mentale et spirituelle » des ruraux (Clement Wood) et qu’on tournait Délivrance  où des culs-terreux massacrent des citadins, la France restait tributaire d’un culte de la terre hérité du XIXème siècle et revivifié sous Pétain. Dans les années 20 les sociologues américains avaient déjà combattu la nostalgie d’une mythique harmonie au sein du village, en montrant les divisions engendrées par la hiérarchie au sein du groupe et l’inégale répartition des richesses : c’est ce que démontre l’expérience vécue par Pierre Conty et ses proches.

La fuite vers l’ailleurs édénique de Pierre Conty et de ses compagnons de défaite n’est pas un enracinement, mais un isolement : Yannick Blanc les accuse d’être redevenus des paysans dans le sens le plus négatif du terme, abrutis et accablés par le rythme des saisons, mais c’est l’inverse qui se produit : la communauté ne crée nul lien avec les paysans, ce n’est pas un retour au sol mais une greffe qui ne prend pas, un exil. Conty et les autres rêvent d’une terre vierge et nient la réalité villageoise. Ils ne connaissent rien aux techniques agraires et n’apprennent guère. Ils continuent, à travers diverses combines, de vivre de la ville qui incarne la vraie mère nourricière de ces égarés. Leur projet est lui aussi déraciné de toute réflexion construite. Conty et ses disciplines n’aspirent pas à la sagesse, ils ne font que se fuir eux-mêmes, de Grenoble à Antraigues puis à Rochebesse. Ils n’ouvrent nulle perspective de société nouvelle, mais se replient sur eux-mêmes. S’il juge parfois l’expérience, Yannick Blanc ne juge jamais les êtres qui y ont participé, et son récit reste empreint de pudeur.

Contre la famille, ces communautés ? Mais le mode de vie est atavique, familial, proche du foyer primordial que décrit Fustel de Coulanges. Blanc nous restitue une époque dans sa dimension humaine, faillible et tragique.

Manon Birster

Les Espérados, Yannick Blanc
Editions L’échappée, octobre 2011, 298p., 14 euros.


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