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Conte soufi : Seuls mois hommes au monde

Publié le 03 mars 2012 par Unpeudetao

   Quand les fils d’Adam se furent multipliés excessivement, les calamités s’abattirent en plus grand nombre. Certaines de ces calamités, on les appelait « maladies » ; d’autres étaient mises sur le compte de « la folie des hommes » ; d’autres encore étaient d’origine et de signification inconnues.
   Les humains se groupèrent en tribus et en nations, de façon à pouvoir les supporter, les repousser ou les éviter.
   Ils se séparèrent et s’éloignèrent d’eux-mêmes, et cessèrent de se comprendre et de se comprendre mutuellement. Les formes d’activité qu’ils avaient conçues, imitées et apprises, même des insectes, les empêchaient désormais de donner attention à certaines des raisons pour lesquelles les hommes furent à l’origine répartis sur la surface de la Terre.
   Khidr voyagea de par le monde, séjournant parmi les divers groupes humains. Il parcourut les déserts et les villes, les îles et les montagnes, les villages et les campements de nomades, cherchant ceux qui seraient capables d’entendre son message : « Le bien réel de l’homme est la même chose que le bien réel des hommes. »
   Aussi surprenant que cela puisse paraître, seuls trois hommes au monde purent l’entendre parler.

   Khidr dit au premier :
   « Viens avec moi en voyage, peut-être en tireras-tu profit. »
   Le premier homme le suivit. Ils arrivèrent bientôt sur la berge d’un fleuve. Tandis qu’ils le regardaient couler, Khidr demanda à son compagnon de route :
   « Que voudrais-tu que ce fleuve soit pour toi ?
   — Je voudrais qu’il obéisse à mes ordres, dit l’homme, que je puisse l’obliger à travailler pour moi, profiter ainsi de son travail et en faire profiter autrui.
   — Très bien », dit Khidr.
   Ils continuèrent leur voyage et arrivèrent bientôt au pied d’une montagne. Khidr dit : « Que voudrais-tu que cette montagne soit pour toi ?
   — Je voudrais qu’elle me donne sa connaissance, car elle a vécu plus longtemps que moi : je pourrais en faire usage et en transmettre une part à d’autres.
   — Très bien », dit Khidr.
   Ils poursuivirent leur chemin et entrèrent peu après dans une contrée fertile : riantes prairies, arbres pleins de fruits.
   « Que voudrais-tu que cette contrée soit pour toi ? demanda Khidr.
   — Je voudrais être ici chez moi : je vivrais en ce lieu et passerais le restant de mes jours à instruire autrui, à transmettre tout ce que j’aurai pu acquérir de sagesse, dit l’homme.
   — Très bien », dit Khidr.
   Alors Khidr laissa cet homme, et finalement tout se passa comme celui-ci l’avait souhaité.
   Puis Khidr trouva un deuxième homme capable de l’entendre et l’invita à voyager en sa compagnie. Et ils partirent ensemble.
   Ils rencontrèrent sur leur route un sage qui parlait aux gens. Khidr demanda à son deuxième compagnon :
   « Que voudrais-tu que cet homme soit pour toi ?
   — Je voudrais qu’il fasse de moi son successeur, de façon qu’après sa mort je puisse poursuivre son enseignement, dit le deuxième homme.
   — Très bien », dit Khidr.
   Ils continuèrent leur chemin. Leur attention fut bientôt attirée par un rassemblement. S’approchant, ils virent que l’on persécutait des innocents.
   « Que voudrais-tu pouvoir faire en ces circonstances, si tu avais le choix ? demanda Khidr.
   — Je voudrais pouvoir libérer ces innocents de l’oppression, et punir les méchants, dit l’homme.
   — Très bien », dit Khidr.
   Ils se remirent en route et entrèrent peu après dans une ville : ses habitants avaient maintes qualités, mais leurs vues étaient devenues si étroites avec le temps qu’ils ne voulaient pas quitter leur ville pour partager leurs capacités avec d’autres.
   « Que voudrais-tu pouvoir y faire ? demanda Khidr à son compagnon.
   — Je voudrais pouvoir convaincre ces gens qu’ils doivent s’acquitter d’une obligation : partager ce qu’ils savent avec tous les humains, dit l’homme.
   — Très bien », dit Khidr. Et il quitta cet homme, lui ayant accordé ses souhaits.
   Alors Khidr alla chercher le troisième homme, le dernier homme au monde qui fût capable de l’entendre, et il lui demanda de l’accompagner dans son voyage. L’homme accepta.
   Ils n’avaient pas fait beaucoup de chemin quand ils arrivèrent en un lieu où il y avait des nobles et des esclaves, des gens de condition élevée et des humbles, et d’autres aussi, de rang moyen.
   « Que voudrais-tu pouvoir faire dans une situation pareille ? demanda Khidr.
   — Je voudrais pouvoir faire ce qu’il faut, agir juste, dit l’homme.
   — Très bien », dit Khidr.
   Ils poursuivirent leur chemin, et quand ils rencontrèrent des gens qui souffraient de la faim, la sécheresse ayant causé la perte de leurs récoltes, Khidr demanda à son compagnon :
   « Voudrais-tu que ces gens aient de quoi se nourrir ? »
   Le troisième homme répondit :
   « Je voudrais qu’ils s’accommodent de la pauvreté quand cela vaut mieux pour eux, et qu’ils soient mécontents de leur sort quand c’est bien ainsi.
   — Très bien », dit Khidr.
   Ils continuèrent leur voyage, et arrivèrent bientôt en un lieu où les gens semblaient tous pieux et dociles, où ils maintenaient l’ordre public, où chacun paraissait content de son sort.
   « Que voudrais-tu faire d’eux ? demanda Khidr.
   — Je voudrais qu’ils soient en état de comprendre précisément ce qui est bon pour eux, et ce qu’ils pourraient faire et ressentir, dit l’homme.
   — Très bien », dit Khidr.
   Khidr accorda les trois souhaits de cet homme, et le laissa.
   C’est dans ces neuf aspirations des trois hommes qui purent entendre Khidr (eux seuls au monde le purent !) que toute entreprise humaine, toute préoccupation, quelles qu’elles soient, ont leur source.
   C’est le travail du troisième homme, cependant, qui eut l’agrément de Khidr, et qui se poursuit de génération en génération.

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