Il y a la campagne présidentielle, et puis il y a le « Guéant tour ». Un show un peu malsain, où l’on observe un grand commis de l’État en service commandé, pas particulièrement soupçonnable (même si on finit par s’interroger) de xénophobie ou de tropisme lepéniste au départ, mais qui « mouille le maillot » en faisant le sale travail pour son candidat et ex-patron. Le sale travail : voler des parts de marché à Marine Le Pen en multipliant les attaques contre les « étrangers », terme que l’on peut à peu près traduire par musulman intégriste, puisque les principales caractéristiques de « l’étranger » sont d’imposer le halal à l’école et de refuser la mixité dans les piscines.
Cette course à l’islamophobie finit cela dit par cacher une autre forme de mépris nationaliste tout aussi récurrente chez le Ministre de l’Intérieur. Sur ses petites fiches d’éléments de langage et d’arguments à marteler pour abrutir les électeurs, figure une saillie frappante qui resurgit aussi souvent que ses imprécations contre la viande halal : « La Corrèze, c’est la Grèce de la France ! ». La comparaison vise évidemment l’endettement de la Grèce et sa mise sous perfusion financière, qui n’auraient d’égale que la situation périlleuse du département et du Conseil Général présidés par François Hollande. Guéant n’en finit plus de la filer, dans une interview au Parisien, en déplacement en Martinique, ou lors d’un meeting près de Nancy, vendredi soir.
Le Monde a récemment opéré une « désintox » très complète sur cette allégation de la droite. Je ne reviendrai donc pas sur le fond de la comparaison. Mais c’est la forme qui devient, à la longue, de plus en plus choquante. Le sauvetage de la casa UMP justifie-t-il tout, jusqu’à transformer le nom d’un pays voisin et ami en insulte ?
Chacun connaît les problèmes de la Grèce. Mais, sans exonérer nos voisins européens de leur responsabilité dans leur malheur actuel, on ne peut qu’être frappé par l’usage que fait Guéant de leur nom. La Grèce, dans sa bouche, devient strictement synonyme de mauvaise gestion, de gabegie financière et administrative, et enfin d’immaturité pure et simple, puisque le ministre en campagne insiste toujours sur la mise sous tutelle du pays par le FMI.
Guéant a de la chance : tout le monde a tellement intégré que les Grecs sont d’odieux paresseux, fraudeurs, corrompus, et que l’Europe risque par leur seule faute de plonger, que personne ne remarque plus le mépris d’un des plus hauts représentants de l’État envers un autre pays européen. Ni ne s’en émeut. Autant Guéant choque sur les Musulmans, autant il se tient juste au niveau du ressentiment ambiant contre les Grecs, passant donc inaperçu. Mais que dirait-on si un ministre se mettait à utiliser l’Italie de la mafia comme symbole de l’insécurité (« Marseille est l’Italie de la France »), ou l’Angleterre comme étalon du risque des finances publiques ? Ah zut, ça a déjà été fait il y a quelques mois, par un certain François Baroin.
Au fond, Claude Guéant ne fait que dérouler et mettre en mots le mépris merkozien envers nos voisins hellènes. Mais il devrait être prudent : on ne foule jamais impunément aux pieds un orgueil national, fût-il actuellement plus bas que terre. A moins que Ministre de l’Intérieur et Président de la République ne se soient donnés comme but secret, après la controverse de la loi sur le génocide arménien, de réconcilier Grecs et Turcs dans un même courroux contre la France ?
Romain Pigenel