L’important, dans un spectacle de magie, est de toujours captiver l’attention des spectateurs par un décorum fait de paillettes et de lumières, pour éviter à tout prix que le public ne découvre les petits trucs qui ruineraient l’ambiance. Comme j’en ai fait souvent, ici même, le constat, c’est donc exactement sur ce mode que se placent en France les politiciens et la presse subventionnée : tout faire pour occuper les cerveaux de ceux qui les écoutent ou les lisent.
Il faut bien comprendre que ce qui se passe maintenant permet, avec la campagne présidentielle, de monter facilement en épingle des non-événements sans intérêts ou des épiphénomènes parasitaires. Mais même en temps « normal », où la presse doit se satisfaire de l’actualité politique française sans ambition et sans panache, le procédé reste le même ; simplement, actuellement, c’est juste plus facile.
C’est ainsi qu’on observe un festival de petits feux d’artifice colorés concernant cette campagne, alternant avec les éternelles postures graves lorsqu’il s’agit d’évoquer des conflits lointains ou des catastrophes enquiquinantes. Le top de l’actualité frémissante, actuellement, c’est bien sûr les déclarations navrantes de Guéant, les suites tortueuses des affaires de croisières (Costa Concordia et Costa Allegra) et le Retour Mouvementé de la Journaliste Prodigue Youkaïdi Youkaïda.
Évidemment, ça marche.
Il est absolument certain qu’on n’aura aucun mal à trouver des milliers de commentaires fiévreux sur les petites phrases du Ministre de l’Intérieur, parce que, comprenez-vous, tout le monde sait que ces polémiques sont lancées pour droitiser le discours sarkozien, alors on va vite en discuter ce qui va donc accroître encore le buzz, et touiller le tout vigoureusement. Alors que l’indifférence aurait sans doute été bien plus productive, en l’occurrence.
Il est absolument évident que maintenant que la journaliste est rentrée en bonne et due forme, nous aurons le droit au torrent d’exclamations poignantes sur la nécessité à la fois d’une présence de journalistes sur place (il faut bien que tout le monde sache ce qui se passe là-bas, c’est très important) et sur l’impérieux besoin d’aller intervenir histoire d’arrêter les massacres.
Pendant ce temps, en France, au pays des gens qui ont autre chose à faire qu’analyser les subtiles propositions de débat de polémiques citoyennes, regarder ce qui se passe en Syrie ou commenter la gestion des bateaux de Costa Croisières comme si chacun de ces sujets constituait l’alpha et l’oméga de leur vie, il se passe des choses qui mériteraient largement plus qu’un édito ou quelques articles de presse.
Par exemple, ces mêmes politiciens qui s’enflamment sur les polémiques de Guéant ne semblent pas avoir beaucoup réagi lors de l’annonce de l’entrée par Général Motors au capital de Peugeot-Citroën. En effet, la nouvelle est passée, pour ainsi dire, comme une lettre à la poste puisqu’après tout, l’Américain se contente de ne prendre que 7% du Français : tout plein de belles synergies vont pouvoir se développer, joli partenariat, belle alliance, mettez un joli papier et emballez c’est pesé.
Seulement nos politiciens, si prompts à monter au créneau en d’autres occasions, ne voient pas qu’ainsi faisant, GM devient, de facto, le deuxième investisseur de PSA. Certes, il n’a pas encore de siège au Conseil d’Administration, mais cela ne saurait tarder, en réalité. Une presse francophone pas franchement méchante a beau présenter le deal comme une alliance, on sent lorsqu’on gratte un peu la surface que le groupe français n’est pas exactement dans sa meilleure passe. Ainsi, on apprend, alors que les articles sur cette fusion sont encore chaud, que l’agence Moody’s dégrade la note du crédit de PSA, précisément à cause de cette alliance qui menacerait ses bénéfices futurs.
On s’étonne de ne trouver aucune analyse de la part de nos brillants politiciens sur la déconfiture de plus en plus évidente de PSA. Bien évidemment, on se doute aussi que s’ils avaient ouvert leur bouche sur le sujet, un torrent de propositions consternantes aurait immédiatement envahi les rédactions de presse. Mais pas un ne semble s’interroger sur l’érosion marquée de la conjoncture pour les constructeurs automobiles français. Pas un ne veut voir, sans doute, que les mesures purement keynésiennes de prime à la casse n’auront en rien amélioré la situation : les nécessaires adaptations des constructeurs à une période de crise marquée auront été repoussées et les rigueurs du marché camouflées par les primes gouvernementales. Bilan : les plus aidés d’hier sont les plus violemment frappés par les baisses de vente aujourd’hui.
Eh oui : le keynésianisme, qui n’avait jamais marché jusqu’à présent, n’a pas marché non plus cette fois-ci, ni pour les voitures, ni pour le reste.
La discrétion des politiciens est au moins aussi parfaite lorsqu’il s’agit des dernières opérations bancaires propulsées par une BCE en pleine forme. Discrétion doublée par celle des banquiers, notamment français, qui se gardent bien de commenter ou de donner des détails sur ce qui se passe. Pourtant, 530 milliards d’euros ont été prêtés à court terme par la BCE, et tout indique qu’on peut compter la BNP et le Crédit Agricole parmi les banques bénéficiaires de ces facilités de crédit. La réaction typique de ces banques françaises, assez typiques du « capitalisme à la française » (pour ne pas dire « le capitalisme de connivence ») ne laisse pas d’étonner le monde de la finance : ces banques gagneraient à la transparence.
Au delà de cette discrétion étrange et un peu malsaine des banques françaises, l’absolu mutisme des politiciens de tous bords sur les récentes opérations financières montre facilement leur totale et parfaite incompétence dans le domaine. Ces gens qui entendent nous diriger prochainement, qui nous proposent des mesures économiques ahurissantes et dans la droite lignée de celles qui nous ont mis dans le tracas en premier lieu, ces gens là ne comprennent rien à la finance, à l’économie et à ce qui se passe actuellement, à savoir qu’on est en train, à coup de crédit de plus en plus facile, de tout tenter pour regonfler une bulle financière qui aurait dû dégonfler complètement depuis longtemps.
En fait, cette discrétion caractéristique est devenue le signe à la fois qu’il se passe quelque chose d’important et que nos politiciens sont, encore une fois, complètement à la ramasse. Plus on avance dans une société de l’information où un nombre croissant de personnes peuvent s’informer et former leur opinion par elles-mêmes, plus les politiciens apparaissent pour ce qu’ils sont vraiment : des appendices disgracieux et parasitaires d’une démocratie fort mal en point.
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