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Refonder les apprentissages : articuler savoir, pouvoir et concevoir ; être, faire, et devenir.

Publié le 04 mars 2012 par Valabregue

La mutation éducative à opérer en France concerne la façon dont les apprentissages doivent être effectués tout au long de la vie pour faire face aux défis climatiques, écologiques, économiques, et sociétaux. La question de l’éducation ne se pose pas en termes de théories à suivre ou pas, il s’agit de proposer une perspective crédible pour asseoir cette mutation sur des bases citoyennes. Une perspective développant le goût de l’implication, de la réflexion et de la coopération dès le plus jeunes âge. Voilà donc le fil directeur à partir duquel nous pourrons examiner rythmes, contenus, cartes scolaires, autonomie des établissements, évaluation, formes de mobilisation de la société civile.

Faire en sorte que le dispositif éducatif ne masque pas les réalités et prenne en compte ces préoccupations, le plus tôt possible, sous des formes  multiples.

Formes passant par des  jeux, des groupe de paroles,  des échanges de savoirs, des projets collectifs, de l’incitation à l’auto-apprentissage, des rencontres avec des milieux culturels, géographiques et sociaux différents, des stages autant que des cours, paraît être une tâche incontournable et qui, pourtant, peine à être mise en place.

C’est d’ailleurs parce que la période est à la mutation que nous devons proposer des choses plus « ambitieuses » qu’ « une éducation émancipatrice ». Ou alors bien indiquer qu’il s’agit de s’émanciper de la folie productiviste et du délire consommatoire.

Si ma mémoire est bonne, les recherches de Philippe Meirieu, quand il était professeur de sixième sur le terrain, montraient que le cours magistral ne correspondait pas aux attentes de 30 R0des élèves au moins qui avaient davantage besoin de travail en groupe ou d’aide individualisée ( ce qui était corrélé par des profils psychiques différents des enseignants). Cela a été pour moi le début d’une réflexion très profonde. Je suis parvenu à la conclusion que ces 30  pour cent étaient anticipateurs des changements, dont nous ne pouvions pas apprécier l’ampleur à l’époque, et, qu’aujourd’hui  il s’agit de faire basculer les statistiques pour que l’essentiel du travail soit du travail en groupe et de l’aide personnalisée. En conséquence, il s’agit de créer des formations pour faire évoluer les mentalités sur ce sujet.

A partir de ce simple constat, je ne vois pas comment on ne peut pas revoir les choses en prenant de la hauteur.  C’est pourquoi je propose, non pas de revoir ce qui a été fait, mais de mettre l’éclairage sur les fondamentaux de l’écologie au préalable ( je suis persuadé que si nous nous autorisions à penser à partir des préoccupations que révèlent l’écologie, nous serions beaucoup plus crédibles).

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Pour qu’il y ait une efficience maximum, il est indispensable de disposer d’un minimum de points de départs partageables. Nous en proposons trois :

  1. 1.   Rien ne se ressemble : ni deux choses, ni deux êtres vivants.  C’est ce qu’on appelle le principe de singularité ou de spécificité.  C’est d’ailleurs parce qu’il y a de différence au départ  qu’il y a de la conscience. Il s’agit donc d’ appréhender les processus en devenir qui permettent de traiter la multiplicité des formes d’intelligence,  conséquence de cette singularité.

Et nous avons un mal fou à prendre en considération un principe aussi simple puisque cela fait plus de 60 ans que nous n’appliquons pas la déclaration universelle des droits de l’homme dans son article 11 je crois (je cite de mémoire : toute famille a le droit à une pédagogie adaptée à son enfant- ce qui suppose de faire un  diagnostic et d’avoir une offre en conséquence). 

Le fait qu’il y ait de la distinction au départ doit nous inciter à la prudence dans notre façon d’appréhender l’autre. Poser en permanence des questions, faire l’hypothèse de malentendus à résoudre. Se mettre dans une posture qui illustre que la reconnaissance de l’autre comme différent précède la connaissance, pour fonder une relation équitable,  pour pouvoir inscrire dans les faits l’égalité.

A tous les stades de la vie, le futur adulte se verra outillé pour résister à la domination unilatérale et pour ne pas se faire piéger par une relation perverse. Tout vivant n’existe que dans son rapport aux autres vivants et il a particulièrement besoin, s’il est humain, d’être entouré pour parvenir à l’âge adulte.

Prendre en compte la diversité, c’est tout particulièrement, s’occuper de l’inégal  traitement par des jeunes les familles en évaluant, grâce à une mission ministérielle, le véritable coût  des réparations nécessaires. Il est insensé  de ne pas mettre des centaines de personnes sur ce dossier, sur le coût du chômage, des violences familiales et des modalités pour s’en extraire.

Le cœur de l’attitude à adopter face à la différence est la bienveillance. Si la curiosité est ce qui a structuré l’Homo Sapiens, la bienveillance est ce qui devrait structurer l’Homo Ecologicus ! D’aucuns pensent que c’est intrinsèquement impossible par la représentation qu’ils ont de la nature humaine.  Si l’on veut réduire la part « Demens » de l’Homo Sapiens, alors il n’y guère d’ alternatives.

  1. Nous sommes des êtres finis, « le rapport à  la mort sculpte le vivant » pour reprendre la belle formule d’Ameisen.  C’est le principe de finitude. La question de la finitude se pose, dès l’âge de 6 ans, et est essentielle à bien aborder. Une présentation des multiples façons d’appréhender la mort dans toutes les civilisations,  modulée selon les âges est une des priorités d’un dispositif éducatif digne de ce nom. De la mort  de toutes et tous et de la fin de chaque chose, chaque entreprise. C’est parce que nous parvenons à nous inscrire dans le temps et la finitude que nous pouvons faire de belles choses et, en tout état de cause, nous affranchir de l’immédiateté de la répétition infinie du quasi-même, du « scotchage » au stade embryonnaire du vivant qui constitue une  des principales plaies des temps actuels. C’est pace que les choses sont finies que nous pouvons nous relier au long terme, nous affranchir de l’immédiateté, plaie des temps modernes fascinés par l’immortalité.
  2. Nous ne faisons pas ce que nous voulons quand nous voulons, nous sommes beaucoup plus pilotés par des processus inconscients que nous ne nous l’imaginons. Spinoza en avait fait son credo de base.  Et des multiples découvertes dans le champ des neuro-sciences viennent renforcer cette perception. (voir les travaux de Dehaene, Prochiantz, Naccache, Ameisen, Berthoz, Eidelman etc ) En montrant  clairement que nous observons les choses en nous racontant des histoires, des fictions- ce point est incontournable).  Parvenir à ne pas être embarqué dans une voie  qui ne nous convient pas, est une des grandes difficultés de l’existence. On pourrait appeler cela le principe de détermination.  Le travail à entreprendre pour faire avec cela est essentiel. Il s’agira donc de repérer le maximum d’automatismes que nous avons élaborés. Il s’agira d explorer d’autres voies possibles par des exercices simples qui entraineront chacun à amplifier sa capacité créatrice. Cela peut se faire par la voie du  silence, par le respect de ses désirs et intuitions profondes pour peu qu’elles ne soient pas des voies de domination, de manipulation ou d’asservissement de l’autre.

Chemin faisant, nous ouvrirons vraiment la voie du dialogue, pour devenir un citoyen respectueux de lui, des autres et de l’environnement.

Entreprendre ce travail suppose d’avoir suffisamment foi en soi-même  pour réduire les peurs inutiles et les jalousies qui fonctionnent comme autant de compensations des manques que nous avons intériorisés. Cela suppose de sortir des logiques de victimisations inutiles mais aussi que la société paie le prix de la réparation pour les enfants victimes de vrais sévices de la part de leur entourage.

Ces trois grands axes devraient être au cœur des préoccupations, dès le plus jeune âge, sous des formes multiples, de tous les processus d’apprentissage. 

Nous pouvons maintenant aborder le jeu de questionnements du socle commun censés façonner l’Homo Ecologicus. Selon les âges de la vie, les réponses vont évoluer, mais la plupart de ces questions peuvent être abordées dès la prime enfance et se prolonger tard dans l’existence. Abordées soit en groupe, soit seul, soit avec un camarade de classe librement choisi.

  • Qui suis-je  (qu’est ce qui fait que je suis un être singulier ? )  qui ne suis-je pas ?
  • De quoi suis-je composé (antennes, parties du corps, cellules, souvenirs,…).
  • Quelle image je donne à voir ?
  • A quoi j’appartiens ? (univers,  galaxie, système solaire, terre, vivant,  animaux, espèce humaine, civilisation, pays, localité, rue, immeuble, sexe, genre, clubs, associations, groupes).

Connaissances nécessaires pour appréhender ces niveaux d’organisation. (maths, physique, chimie, biologie, philosophie, histoire, géographie

…..). Comme sur ce sujet nous sommes tous plutôt d’accord je choisi de développer un autre pan de la culture : la connaissance de soi et des autres.

  • Qu’ai-je  envie d’être ? et de faire ?

Que dois-je acquérir pour y parvenir ? Comment puis-je anticiper la chose,  élaborer des projections temporelles adéquates, …Suis-je capable de m’extraire de la jouissance du moment ?

  • Quels sont les sujets ou matières où je me dérobe, pourquoi ? Est-ce que je les reconnais comme utiles au vivant ? sinon quelles attitudes adopter face au blocage par exemple.

Mettre à la disposition de tout un chacun un panel de vies  consistantes, d’histoires symboliques, de romans, de destins nobles et ignobles, d’histoires et de mythes fondateurs des diverses cultures ?

  • De quelles ressources je dispose ? De quelles ressources j’aimerais disposer ? De quelles ressources aurais-je l’impression de pouvoir me passer, et comment irais-je les quérir chez d’autres ?
  • Ai-je besoin que ces ressources s’amplifient ? 
  • Quelles sont mes principales faiblesses ?
  • Ai-je un cadre adéquat pour exprimer mes faiblesses,  mes doutes, sinon comment le constituer? 
  • De quelles façons acquérir les ressources nécessaires qui me manquent ?

 (Kenneth Arrow un des prix noble d’Economie récent a montré que le facteur de confiance était le facteur clé de développement des économies de la connaissance non hiérarchiques)

  • Quelles sont mes peurs, mes désirs, avouables non avouables.
  • Quel rôle ai-je envie de jouer dans un groupe (suiveur, contestataire, leader). De quelles façons je m’insère dans un groupe ?
  • Comment je me sens dans mon corps ?
  • Quel rapport ai-je avec la nourriture ?
  • Quelles sont mes douleurs, mes complexes, comment faire en sorte qu’ils ne m’envahissent pas ?
  • Suis-je capable d’être silencieux, de parler  à quelqu’un que je ne connais pas ?
  • Suis capable d’exprimer une satisfaction, une insatisfaction ? Est-ce que je le fais de façon appropriée ?
  • Quel est mon rapport à la matière, au concret, au beau, à la musique,  à l’art, à l’esprit ?
  • Quel est mon rapport au sauvage, à la ville, aux animaux ?
  • Quel est mon rapport au passé, au présent et au futur ?
  • Quel est mon rapport avec telle chose que je ne comprends pas, qui me parait étrange, à de l’imprévu  ?
  • Quel est mon rapport à  la loi, aux ordres, au code la route ?
  • Quel est mon rapport  à la politesse, aux autres, à  la bienveillance, à la générosité,  à l’humour, au rire, à la jalousie, à la honte, à la maladresse ?
  • Sur quels terrains ai-je un « bon » sens critique, un moins bon sens critique ?
  • Dans quels domaines suis-je prêt à prendre des risques ou à ne pas en prendre ? Pourquoi  est-ce que cela me convient ?
  • Comment faire évoluer la chose  si je ne suis pas satisfait ? Quels sont les domaines ou je suis tétanisé ?
  • Quelles sont les stratégies que j’utilise pour séduire, pour tricher,…
  • De quoi ai-je besoin,  envie ? ni besoin, ni envie ?
  • Quelles sont les illusions que j’ai envie d’entretenir ?
  • Par quoi suis-je fasciné ?
  • Est-ce que j’aime la foule, la messe, les stades de football, la solitude ? qu’est-ce qui s’y joue ?
  • Suis-je conscient de la bonne distance, du rythme et du ton à trouver face à quelqu’un ?
  • Suis-je conscient des façons dont  je filtre et dont mon interlocuteur filtre l’information ? ( là, je rentre un peu dans le détail de ce qui serait une généralisation de La Garanderie, du P.E.I, .. : en gros le rapport  aux cinq sens V.A.K.O.G et les sous modalités principales –super important pour l’apprentissage de la lecture par ex- les façons de sélectionner les informations, les façons de s’accorder ou non, de s’associer ou pas,  le rôle du langage, les mensonges par omission, généralisation, distorsion, les façons de découper l’information c’est à dire de généraliser spécifier et latéraliser, les recadrages, les façons d’entrer en relation,  de calibrer, de rentrer en empathie, les formes de centration sur soi ou sur les autres, la pertinence, la flexibilité, le pragmatisme, la façon de collecter l’information, d’identifier ses ressources, d’en chercher des non disponibles, de prendre des risques, de faire face à l’imprévu, les ancrages et désancrages, les exercices d’association et de dissociation, les modes de formation des stratégies, les moteurs de l’action, les valeurs, les objectifs,  les modélisations, les rapports aux temps, au moment au rythme, aux croyances. Bref, il s’agit du cœur du programme de formation des facilitateurs de demain.

Reste à mieux caler les formes de dialogues, et les façons de faire progresser ces questions, dès le plus jeune âge, sans aucune moquerie, dans un bon état d’esprit parce que c’est le cœur du processus qui va naturellement faire en sorte que l’Homo Ecologicus,  auto-régulateur s’impose face à l’Homo Economicus sans limites.

Une fois établi que le but de l’éducation devrait être de partir des préoccupations des gens,  et de faire en sorte que chacun trouve une place au sein d’une société tendant vers la coopération ; on peut envisager les modalités, c’est à la dire la période de transition, pour y parvenir le plus sereinement.

A notre avis, elle pourrait comporter les mesures suivantes :

  1. On recruterait le plus vite possible des nouveaux « profs » sous de nouvelles modalités. Le nouveau corps pourrait s’appeler les « facilitateurs d’apprentissages » avec des spécialités dans une discipline classique.
  2. On proposerait à ceux qui sont en poste de rejoindre le nouveau corps avec une formation complémentaire.
  3. On réduirait les heures dites « de cours »  des élèves, selon une variable d’ajustement tenant compte des résistances ( réduction maximum de moitié, le maximum étant atteint si la moitié des professeurs en place rejoignent le nouveau dispositif. On attend que les autres partent à la retraire , ce qui éviterait la crise, de fait, puisqu’on n’obligerait personne à faire autre chose que des cours)
  4. On mettrait à plat la carte scolaire en fonction des forces en présence, en réduisant les ghettos sur un plan pluri-annuel.
  5. On ferait apparaître des préoccupations communes  et des questions communes à la formation tout au long de la vie.
  6. On  appellerait les forces vives de la nation à s’impliquer dans le dispositif.
  7.  On instituerait des épreuves en groupe à part égale avec les épreuves individuelles.

Le but : sortir enfin du morcellement des tâches qui est le moteur principal du règne dominant actuel  et qui  conduit l’humanité à des impasses profondes.

Les écologistes qui plaident depuis toujours pour l’égalité de l’accès aux savoirs, estiment que l’histoire a montré qu’il n’était pas suffisant de la proclamer. Une attitude écologique  serait faite de devoirs librement  consentis, visant une intelligence globale partagée.

Une réflexion plus profonde devrait être menée sur l’apport de l’écologie par rapport aux fondamentaux de la révolution française.

Cela constituera la fin de cet article :

Les valeurs en œuvre dans la période historique que nous vivons

Les temps sont sans doute venus pour repréciser le tryptique Liberté-égalité-fraternité,

deux siècles après sa formulation, compte tenu de l’apport de la question écologique.

Le mythe de la liberté nomme bien ce qui est en jeu depuis la Renaissance et  se substitue peu à peu à celui de l’amour, en vogue les siècles précédents.

Les mots égalité et fraternité qui sont en fait, (comme je pourrais l’étayer dans un texte  beaucoup plus long) , les pôles sensibles et concret  de l’idéal  de Liberté, représentent une sorte de concession à l’influence du catholicisme. Il paraît ainsi  judicieux de leur substituer d’autres concepts ; je propose : attention, équité et  justesse (ou adéquation).
Etre attentif  à tout ce qui se passe ne m’oblige pas être frère avec tout le monde. De même la justesse nomme mieux la qualité à acquérir pour  prendre en compte la complexité que la justice. Ces deux mots ne sont pas de l’ordre des droits, mais bien des attitudes à promouvoir si l’on veut se positionner par rapport à ce que nous diagnostiquons du monde aujourd’hui.
Le mythe de la liberté qui se déploie porte à un niveau supérieur la question de l’individu qui est apparue au 6 ème siècle avant JC et nécessite pour se développer de s’appuyer sur de nouveaux supports, de nouveaux cadres pour opérer les mutations nécessaires. C’est ce que nous avons tenté d’éclairer.


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