RENDEZ-VOUS.
Nous t’attendons au fond de la forêt mythique
où la brume ressemble à une apparition
qui mêle la clarté de la rouille à l’obscur
nous sommes les oiseaux noircis par la froidure,
nous t’attendons perchés sur un arbuste nu
nous avons dressé table et mis pour toi couvert
au pied de notre perchoir aux branches glacées
pourquoi tardes-tu tant ?
Il y a tant de mets sur nappe blanche en des
assiettes de cristal…
Nous n’avons guère lésiné sur le décor
ni sur les saveurs
oh – pourquoi ne viens-tu pas ?
Tu devrais connaitre l’heure du rendez-vous
l’étrange table est mise au cœur de la forêt
belle comme la table de quelque manoir
N’entends-tu pas l’insistance de nos appels
alors que nous couvons notre table des yeux
dans la froidure nue brumeuse des grands bois
tout en te les adressant par télépathie ?
Nous sommes les oiseaux noirs du destin muet
et en tant que tels nous savons bien qu’un beau jour
jouet d’une force obscure, tu finiras
par combler la distance entre toi et ces lieux,
par t’enfoncer dans les sylves inexplorées
et alors, sous ton pas, les feuilles craqueront ;
dans un rêve éveillé tremblant, gélatineux
tu te rapprocheras et tu viendras à nous
comme on glisse sur l’eau silencieuse d’un lac
Tu verras, au travers de l’horrible buée
briller la douce aura de la nappe dedans
le clair-obscur abritant de pâles rousseurs
et des cavités aux contours mal définis
et puis
tes yeux se lèveront, tu nous verras,
tu verras nos corps noirs sur branches décharnées,
notre immobilité te dira « c’est le temps
fatidique qui n’admet plus aucun recul ».
Patricia Laranco