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Religions : Nicolas le Stigmatiseur

Publié le 06 mars 2012 par Sylvainrakotoarison

Stigmatisation de l’islam au nom de la laïcité, mais aussi multiculturalisme, héritage chrétien… Des notions bien mal digérées dont le seul but est compréhensible par tous : faire des voix par des moyens peu honorables.


yartiShow01À force de dire tout et son contraire, le Président de la République aurait pu penser attirer l’adhésion du plus grand nombre… ou la répulsion.

Il lui sera toujours aisé de rappeler ses propos tenus à l’Université de Mentouri, à Constantine, le 5 décembre 2007 : « Jeunes d’Algérie, je suis venu vous dire que vous pouvez être fiers d’être des jeunes musulmans parce que la civilisation musulmane est une grande civilisation. Jeunes d’Algérie, je suis venu vous dire que le peuple français vous aime et que le peuple français vous respecte. (…) C’est en tendant l’un vers l’autre une main fraternelle que nos deux peuples comprendront, que tant de fautes, que tant de crimes, que tant de malheurs n’auront pas été vains puisqu’ils nous auront appris à détester la guerre et à rejeter la haine. (…) La France ne transigera pas avec l’islamophobie. ».

Mais dans cette campagne présidentielle, Mister Hyde a repris le dessus sur Docteur Jekyll.

Nicolas Sarkozy avait commencé de façon brutale sa campagne avec une interview dans le "Figaro Magazine" du 10 février 2012 où il stigmatisait implicitement les chômeurs et les immigrés en proposant deux référendums : l’un sur la formation des chômeurs, l’air de dire qu’ils ne seraient que des paresseux et qu’il faudrait qu’ils apprennent quelque chose (le sujet de la formation est pourtant crucial et ne dépend que de l’effort budgétaire alloué par… l’État !), et l’autre sur la juridiction compétente pour les affaires ayant traits à l’immigration clandestine (un sujet dont tout le monde se moque sauf les obsédés de l’immigratiophobie).

Contre l’islam ?

Fort de la tactique de la polarisation au premier tour et du rassemblement au second tour, le Président candidat Nicolas Sarkozy a continué la stigmatisation d’une catégorie de la population française, ici les Français de religion musulmane, lors de son meeting à Bordeaux le 3 mars 2012. Une méthode qui ne lui permet cependant pas vraiment de rattraper son retard sur son principal concurrent.

Et il n’y est pas allé de main morte en insistant sur la peur de l’islam : « Je condamne sur ces sujets si sensibles les polémiques offensantes qui blessent inutilement. Mais reconnaissons à chacun le droit de savoir ce qu’il mange, halal ou non. Je souhaite donc l’étiquetage des viandes en fonction de la méthode d’abattage. Quant aux cantines scolaires, elles sont aussi tenues au principe de la laïcité. Je m’opposerai à toute évolution qui irait dans un sens contraire. (…) Il n’y a pas de place dans la République pour des piscines où il y aurait des horaires pour les femmes et des horaires pour les hommes ! ».

Il a abordé des thèmes typiquement extrémistes dans un pays en crise où la pauvreté s’accroît, où le chômage progresse, etc. et a même fait vaguement référence à la politique municipale de Martine Aubry à Lille.

Ce n’est pas nouveau ni le seul responsable politique à l’UMP à jongler avec ce genre de discours puisque le Ministre de l’Intérieur Claude Guéant n’a pas cessé, depuis un an qu’il est place Beauvau, de distiller des petites phrases scandaleuses et stigmatisantes. L’avant-dernière sur les civilisations n’a pas suffi et il a récidivé une énième fois contre les musulmans.

Cette fois-ci, c’était le 2 mars 2012 à Velaine-en Haye (commune qui m’est chère pour quelques raisons personnelles) : « Accepter le vote des étrangers, c’est la porte ouverte au communautarisme. Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la nourriture halal dans les repas des cantines, ou réglementent les piscines à l’encontre des principes de mixité. ».

C’était d’ailleurs un argument que j’avais énuméré parmi ceux utilisés par les contempteurs du droit de vote des étrangers (en citant le sénateur Philippe Bas : « Veut-on voir les municipalités réserver des horaires aux femmes dans les piscines, adapter les menus des cantines scolaires, réglementer la circulation pour permettre les prières de rue ? ») et que Nathalie Kosciusko-Morizet veut rejeter catégoriquement ce 5 mars 2012 en considérant (avec raison) qu’il y a d’autres arguments bien plus convaincants pour s’opposer au vote des étrangers (voir ici).

Dans le même discours, Claude Guéant disait sans (cette fois-ci) s’emmêler avec la logique statistique : « Il y a 5,8% d’étrangers en France alors que 13% des condamnations concernent les étrangers : il y a du bon sens à remettre dans la gestion des affaires publiques. ».

Outre le fait que cela fait dix ans qu’il est directement en charge de la gestion des affaires publiques dans ce domaine très particulier, Claude Guéant fait volontairement la scandaleuse double équivalence régulièrement utilisée par le Front national : étrangers = musulmans = délinquants. Qu’en pense la juge franco-norvégienne Eva Joly ?!

Multiculturalisme ?

Ce qui est en fait implicite, c’est cette volonté sans arrêt de dire que l’étranger, l’immigrant, et plus particulièrement "le" Maghrébin musulman (puisqu’il ne s’agit pas d’Américains ni de Scandinaves, par exemple) serait le responsable de la crise économique et de l’insécurité depuis quelques décennies en France. Cette mauvaise analyse a fait les choux gras de la famille Le Pen depuis 1983 en surfant sur un fond de xénophobie rampante (peur de l’étranger).

C’est d’ailleurs une idée reçue de beaucoup de monde en France et également en Europe. Il est intéressant de voir comment les journalistes et la classe politique collent à une sorte d’effet de mode qui aurait mérité un peu plus de hauteur et de réflexion.

Cela rappelle l’interview télévisée de Nicolas Sarkozy le 10 février 2011 sur TF1, il y a un an, où il assurait que le multiculturalisme était un échec. Certes, il répondait à une question du journaliste mais il aurait dû en rejeter le concept.

Il expliquait au contraire doctement : « Oui, c’est un échec. Dans toutes nos démocraties, on s’est trop préoccupé de l’identité de celui qui arrivait et pas assez de l’identité du pays qui l’accueillait. » (ce qui ne veut rien dire, concrètement : qui est "on" ? l’État ? la société ? que veut dire "se préoccuper" ? faire des lois ? porter attention ? comprendre ? s’opposer ?).

Quelques jours auparavant, tant Angela Merkel que David Cameron avaient également affirmé que le multiculturalisme était un échec. Il fallait donc leur emboîter le pas.

S’il y a bien un pays où le multiculturalisme ne pouvait pas être en échec, c’était bien la France. Car au contraire du Royaume-Uni et de cette tradition très anglo-saxonne qu’on peut retrouver en Afrique du Sud et aux États-Unis (encore que Barack Obama se soit sensiblement éloigné de ce modèle), la France n’a justement jamais voulu du multiculturalisme. Il ne peut donc être en échec car il n’a jamais été mis en application et il n’en a jamais été question dans notre histoire républicaine.

La France, au contraire, a une tradition de laïcité quasi-unique au monde (la Turquie nous avait imités mais son modèle est remis en cause actuellement). Cette tradition de neutralité et de tolérance ne provient pas seulement de la loi du 9 décembre 1905 (contrairement à ce que peut penser le candidat François Hollande) mais aussi de l’Édit de Nantes du 13 avril 1598 et de la volonté du roi Henri IV de réconcilier les Français au-delà des profondes divergences religieuses : « Advenant aussi vacation desdits états, charges et offices, pour le regard de ceux qui seront en notre disposition, il y sera par nous pourvu indifféremment, sans distinction de personnes capables, comme chose qui regarde l’union de nos sujets. » (révoqué le 18 octobre 1685 par Louis XIV).

Au contraire, la France a toujours voulu l’intégration des étrangers arrivant en France au sein de la communauté nationale. Une intégration/assimilation qui a donné le modèle du creuset républicain d’égalité où l’on ignore le sexe, l’ethnie, la religion, la condition sociale, l’origine géographique, les préférences sexuelles, etc. pour ne s’attacher qu’à l’individu et à son seul mérite personnel. D’ailleurs, qui peut aujourd’hui rejeter de la communauté nationale des Français d’origine polonaise, italienne, portugaise, voire arménienne ou suisse ?

Certains pensent qu’il y a un problème avec des immigrants venus du Maghreb, particulièrement de l’Algérie, en raison des relations historiques entre les deux pays. Il est possible que certains refusent expressément de s’intégrer et veulent imposer leur propre culture en France. C’était en tout cas la conclusion qu’avait admise Bernard Stasi à la tête de sa commission sur la laïcité, ce qui a encouragé l’adoption de lois spécifiques pour renforcer le caractère de neutralité publique vis-à-vis de la religion, loi sur le voile en milieu scolaire et loi sur la burqa dans l’espace public.

Dans cette même émission du 10 février 2011, Nicolas Sarkozy jouait ainsi sur les peurs et reprenait paradoxalement référence au modèle français : « Nous ne voulons pas d’une société dans laquelle les communautés coexistent les unes à côté des autres. Si on vient en France, on accepte de se fondre dans une seule communauté, la communauté nationale. Si on n’accepte pas cela, on ne vient pas en France. ».

Pourtant, parler de multiculturalisme en parlant de la France, c’est ne connaître ni l’histoire de France, ni la tradition française, ni ce mythe fondateur de la République et du creuset républicain où les citoyens, dans la richesse de leur seule personnalité, au-delà de leurs différences d’origine ou d’opinion, forment la communauté nationale. C’est pour cela que le droit du sol est un élément aussi important que le droit du sang. Aucun journaliste pour expliquer cela ?

Héritage chrétien ?

Évidemment, s’en prendre à l’islam nécessite d’être capable de se replier sur ses bases arrières. Or, les meilleures sont les racines chrétiennes de la France.

Nicolas Sarkozy n’a donc pas hésité, tout au long de son quinquennat, à maladroitement rappeler les références chrétiennes de la France, quitte à introduire le concept incertain de « laïcité positive » du discours du Latran du 20 décembre 2007 : « Il s’agit (…) de rechercher le dialogue avec les grandes religions de France et d’avoir pour principe de facilité la vie quotidienne des grands courants spirituels plutôt que de chercher à la leur compliquer. » tout en insistant sur le christianisme : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes. Et la France a apporté au rayonnement du christianisme une contribution exceptionnelle. ».

Ce qui lui a fait dire : « La laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. (…) C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité enfin parvenue à maturité. ».

Rappel maladroit et assez inefficace si son but était d’obtenir l’adhésion de l’Église catholique à sa politique de stigmatisation des étrangers…

Ainsi, il y a juste un an, le 3 mars 2011, dans un déplacement au Puy-en-Velay où la magnifique cathédrale surplombe la ville, Nicolas Sarkozy a déclaré : « En disant cela, je ne fais simplement que rappeler une évidence : l’apport de la chrétienté à notre civilisation. (…) La chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture. ».

Cette référence à "l’héritage chrétien", uniquement, d’ailleurs, dans le sens patrimonial du terme (il parlait des beaux monuments), n’est pas nouveau car lors de sa visite à la mythique basilique de Vézelay, le 30 septembre 2010, Nicolas Sarkozy en avait déjà parlé : « Quand on regarde le long manteau des églises, des basiliques et des cathédrales sur notre territoire, on voit bien l’influence de l’héritage chrétien dans l’histoire de France. ».

Je suis toujours étonné par le manque de perspicacité des journalistes (surtout ceux d’opposition, qu’ils fassent leur boulot !) quand des personnalités politiques évoquent des notions assez scabreuses. Celle de l’héritage chrétien en est une et ne va pas dans le sens voulu par son auteur.

Parler d’héritage chrétien, c’est assurément considérer qu’il n’y a plus de christianisme en France. C’est donc presque accepter le fait que la France ne soit plus chrétienne (dans les statistiques, il est un fait qu’il y a très peu de pratiquants revendiqués chez les catholiques comme chez les autres chrétiens). Cependant, le christianisme n’en est pas pour autant disparu.

On peut parler d’héritage du gaullisme car cela fait belle lurette qu’il n’y a plus de gaullisme en France. Parler d’héritage de la Résistance, d’héritage de la Révolution, cela se conçoit. Mais parler d’héritage chrétien, c’est tout simplement ne croire que la religion chrétienne n’est plus que les restes, parfois éclatants, de quelques cathédrales, alors que c’est avant tout une communauté vivante qui vit et fait vivre sa foi toujours au présent.

Ce mouvement vers les chrétiens (choqués par le discours de Grenoble du 30 juillet 2010) paraît bien inopérant par rapport aux effets pervers de la politique d’immigration mise en place depuis près de dix ans par Nicolas Sarkozy.

Entre tactique et sens des responsabilités

Personne n’est vraiment dupe et l’idée est de récupérer l’électorat que Marine Le Pen avait réussi à agréger par un discours ouvertement islamophobe (qui a peur de la religion musulmane). Il faut d’ailleurs avoir bien peu confiance en ses propres valeurs pour croire qu’une religion supposée "étrangère" (ce qui n’est pas le cas pour l’islam d’ailleurs) puisse ainsi écraser deux millénaires de culture judéo-chrétienne.

Beaucoup semblent croire que la finalité électorale est une condition suffisante pour accepter des discours ouvertement stigmatisants. Pourtant, surtout provenant d’un Président de la République garant de l’unité nationale et dont le rôle doit être fédérateur et pas diviseur, il est inadmissible que le sens des responsabilités ne l’ait pas emporté sur la préoccupation électoraliste. À la fin, Nicolas Sarkozy devra payer l’addition, et elle risque de lui être très salée…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (6 mars 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Le show est commencé.
La laïcité selon saint Hollande.
Le discours de Grenoble (30 juillet 2010).
Le discours de Constantine (5 décembre 2007).
Le discours de Bordeaux (3 mars 2012).
Le discours du Latran (20 décembre 2007).
Le discours du Puy-en-Velay (3 mars 2011).
Le discours de Vézelay (30 septembre 2010).
Refonder la démocratie.
L’État impartial.
 


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