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Parole de tribuns : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sur TF1

Publié le 07 mars 2012 par Sylvainrakotoarison

Candidats à la langue bien pendue, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont montré lundi 5 mars 2012 leur incapacité à comprendre la réalité économique de la France.

yartiMLP2012030508Après François Bayrou et Eva Joly le 20 février 2012, François Hollande le 27 février 2012, et avant Nicolas Sarkozy le 12 mars 2012, TF1 a invité (séparément) ce 5 mars 2012 dans son émission "Parole de candidat" Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

Rappelons que l’émission est une confrontation tant avec quelques journalistes qu’avec des "Français" (sur TF1, on ne dit pas des téléspectateurs ni des auditeurs, on dit "des Français" en opposition aux journalistes ou aux personnalités politiques, étrange sentiment de nationalité). Les citoyens (je préfère ce terme) qui posent leurs questions aux candidats ne sont donc pas des professionnels de la communication et peuvent se faire rapidement abuser par l’habileté des interviewés.

Prestation de Marine Le Pen

C’est le cas en particulier de Marine Le Pen qui est capable de discuter dans le vide très longtemps, elle se tient bien, occupe tout l’espace comme François Bayrou (alors que François Hollande était resté recroquevillé derrière son petit pupitre transparent), et a une aisance à communiquer évidente.

En revanche, pour le fond, c’est zéro pointé. Plus la campagne avance, plus le vide des mesures économiques est démontré. Son père avait été bien plus malin en refusant de s’appesantir sur ces questions compliquées et qui ne font pas rêver. Marine Le Pen, au contraire, a une réelle ambition de prendre le pouvoir, alors, elle veut jouer comme les grands. Sauf que là, c’est plutôt le bonnet d’âne.

Car les journalistes, eux, sont plutôt aguerris aux joutes oratoires. Ils ne sont pas impressionnés par le mouvement de menton lepenesque. Alors, pour donner quelques indications chiffrées sur son programme économique, madame est obligée de fouiller longtemps dans un tas de papiers, à tel point qu’on se demande vraiment si elle les a lus avant de venir à l’émission.

Un candidat incapable de se rappeler son propre programme, c’est un peu inquiétant. Aisance verbale mais aucune aisance intellectuelle, c’est visible et la télévision est à cet égard sans complaisance.

Par exemple, sur le prix de l’électricité, Marine Le Pen veut baisser son prix et financer cela par une réduction des profits. Sauf qu’à cause de Fukushima, EDF a décidé de rehausser la sécurité de ses centrales nucléaires et devra faire des investissements de cinquante-cinq milliards d’euros sur cinq ans alors que les bénéfices ne sont que d’un ou deux milliards par an. Au contraire, EDF prévoit d’augmenter de 30% le prix de l’électricité pour financer ces investissements lourds.

Marine Le Pen fustige les privatisations mais ne cite …que des entreprises publiques. Poussée par les journalistes, elle cite quand même les sociétés d’autoroutes qui ont été privatisées (avant 2007).

Face aux citoyens, Marine Le Pen montre surtout qu’elle se moque d’eux, répondant souvent à côté et reprenant au passage ses couplets qui lui sont classiques.
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En particulier face à la présidente d’une association de cadres à la recherche d’emploi qui sont victimes de discriminations ethniques. Au lieu d’être simplement à l’écoute, elle a l’audace et la naïveté de dire que ce genre d’associations est nombreux et elles sont subventionnées par l’argent public (alors qu’elle n’en sait rien et d’après son interlocutrice, c’est au contraire très rare), et dévie du sujet en parlant (stupidement) des discriminations des personnes âgées, des personnes handicapées etc. sans aucun intérêt pour la question.

D’ailleurs, le principal argument de la candidate pendant tout ce temps est un sec « Croyez-moi ! » comme si c’est elle la référence.

Inutile de dire que Marine Le Pen est bien la fille de son père, qu’elle refuse toujours de le désavouer quand il a cité Robert Brasillach (qu’il fût soutenu dans sa demande de grâce par de grands écrivains comme Albert Camus est d’autant plus normal que ces derniers étaient contre la peine de mort et cela ne change rien à l’histoire), et incapable de s’expliquer sur son bal affligeant avec d’anciens Waffen SS et les successeurs de Jörg Haider à Vienne le jour anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz.

Comme la baudruche, sa candidature se dégonflera tout naturellement au fur et à mesure que la vacuité montrera le bout de son nez. La France en pleine crise ne peut pas se contenter d’une simple oratrice qui ne connaît rien en économie, pas même son propre programme rédigé par un technocrate débauché pour l’occasion. Derrière tout cela, il y a des vies en jeu, des familles en détresse, plus de trois millions de chômeurs, des sans logis…

Prestation de Jean-Luc Mélenchon

Prenant place après Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon a la bienséance de ne pas faire un couplet à la Georges Marchais sur son temps de parole plus court que sa prédécesseur.

Dès le départ, d’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon me rassure sur ma propre capacité d’écoute en me confirmant que François Hollande, parlant de sa taxe à 75% le 27 février 2012, avait bien parlé de revenus supérieurs à un million d’euros par mois et pas par an (François Hollande l’avait même précisé deux fois ! mais la dépêche AFP avait corrigé d’elle-même l’erreur).

Le leader néo-communiste, lui aussi, est à l’aise en public mais il parle mieux hors affrontement avec des personnes. Il se cantonne toutefois derrière son pupitre, très scolairement, et j’ai cru au moins qu’il est arrivé sans aucune note, l’esprit clair de ses propositions, et finalement, quand il s’agit de trouver les ressources à toutes ses dépenses, patatras, le voici sortant plein de feuilles remplies de nombres (au moins, il sait les lire tout de suite, au contraire de la candidate précédente).

Parlementaire et ministre pendant vingt-trois ans par la seule grâce du Parti socialiste (il a été élu sénateur à 35 ans), Jean-Luc Mélenchon, à 60 ans, doit donc tout au PS et François Hollande, avec son humour naturel, l’a fait malicieusement remarquer il y a un an : « Mélenchon, ce qui est terrible, c’est qu’il a été socialiste toute sa vie et que toute sa vie, ça va le suivre. ».

Son premier interlocuteur, bijoutier cambriolé, est peu agréable, sec et aux questions sans trop d’intérêt, esquissant un rictus juste pour tendre un supposé piège sur la sécurité. Jean-Luc réussit, au contraire, à rebondir en parlant des cambriolages dont il a été victime lui aussi et il lui assure avec conviction que les dommages psychologiques étaient importants et devraient être mieux pris en compte.

En revanche, son échange avec une employée de maison qui travaille à temps partiel et n’a que sept cents euros pour vivre montre qu’il ne sait pas écouter vraiment les gens. Croyant qu’elle est exploitée dans l’industrie alors qu’elle doit faire juste quelques heures de ménages par-ci par-là, il lui dit qu’elle peut réclamer à son employeur une augmentation (ce qui est faux) et il laisse entendre que ceux qui emploient une aide ménagère sont forcément des personnes très aisées.

Il va même jusqu’à une grande condescendance lorsqu’il explique qu’en cas d’augmentation de trois cents euros de son salaire, "le travailleur" va alors tout de suite les dépenser pour acheter du « mieux manger » (pourquoi un tel vocabulaire infantilisant ?) alors que dans l’époque dure d’aujourd’hui, il est probable qu’au contraire, ces trois cents euros soient épargnés pour préparer des dépenses futures, payer les études des enfants etc. et pas forcément dépenser comme des gamins qui iraient s’acheter tout de suite des bonbons dès qu’on leur donnerait quelques sous.

Allant plus loin que les revendications communistes depuis plus d’un demi-siècle, Jean-Luc Mélenchon confirme sa proposition de réduire l’écart des salaires à un rapport de 20, ce qui reste cependant très faible et n’a aucune raison économique (au contraire, c’est une mesure étatiste complètement antiéconomique et par ricochet antisociale).

D’un point de vue budgétaire, c’est quasiment n’importe quoi puisqu’il affirme avec ses notes que ses nouveaux impôts et taxes rapporteraient près de deux cents milliards d’euros supplémentaires et que cela financerait largement ses dépenses (retraite à 60 ans, revalorisation du SMIC etc.). Si c’est avec de telles hausses de prélèvements obligatoires qu’il croit soutenir la croissance, je pense qu’il se trompe lourdement (tous journalistes présents sur le plateau se montrent incrédules, d’ailleurs).

Mais qu’importe le réalisme de son programme économique : Jean-Luc Mélenchon a été bridé pendant trente ans dans un Parti socialiste qui est devenu social-démocrate depuis mars 1983 mais qui n’a jamais accepté de le reconnaître. Depuis novembre 2008, Jean-Luc Mélenchon est donc débridé et se lâche. Il a réussi (un véritable tour de force) à être soutenu par le Parti communiste français et ses nombreux réseaux au niveau local, et depuis le début de cette campagne présidentielle, il est joyeux.

Il suffit de le voir par exemple en meeting à Rouen ce 6 mars 2012 pour s’en rendre compte : il est un tribun qui se fait plaisir, parlant avec une certaine jouissance et faisant un numéro de one-man-show qui l’épanouit. Il pourra peut-être atteindre au final un score à deux chiffres au premier tour (un sondage CSA pour BFM-TV, 20-minutes et RMC lui attribue même 10% ce 7 mars 2012).

Marine et Jean-Luc sont dans un bateau…

Dans son meeting à Rouen, la principale cible de Jean-Luc Mélenchon est restée Marine Le Pen. Ces deux candidats, représentants talentueux des deux extrêmes de l’échiquier politique, présentent des programmes économiques complètement découplés de la réalité mondiale et qui prônent l’isolement international. Heureusement, leur but n’est pas de gagner mais d’alimenter pour les cinq années à venir leur petite usine électorale respective.

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Sylvain Rakotoarison (7 mars 2012)


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