Sacré bout de femme l’engagement religieux au féminin

par : Cécile Pregizer pour Elleveutoo

Marie-Agnès Pain est une femme d’exception. Aumônière, elle soutient les malades du CHU de Montpellier dans leur combat quotidien. Ouvrant des yeux, les fermant aussi.
Pour Marie-Agnès, la foi n’est pas un “gri-gri “, mais une force qui peut éloigner la peur. Marie-Agnès était institutrice. Vie de couple, enfants, le ronron paisible du quotidien. Est-ce parce que sa vie s’est trouvée un jour menacée qu’elle n’a plus eu envie de passer à côté ? Ce cancer qui s’invite pendant deux ans semble lui indiquer la nécessité de changer quelque chose, mais quoi ? À l’aube de la quarantaine, elle retourne à l’école d’un tout autre style, apprenant en stage, pour finalement se retrouver passionnée par son travail. Être au plus près d’hommes et de femmes
en souffrance, voilà ce qu’elle voulait vraiment faire de sa vie professionnelle, et sans le savoir, être aumônière.

«J’ai toujours eu une “vie d’église“, explique-t-elle en y mettant de gros guillemets. Être ce que je suis aujourd’hui ne m’a pas demandé d’efforts, c’était naturel, une évidence ». C’est une équilibriste Marie-Agnès. À l’hôpital Saint-Éloi, elle est partout où l’humain est en jeu. Et sur sa blouse blanche, un badge l’atteste. Elle est ministre du culte.

« À l’issue de la maladie, en plus d’être une femme, une mère, une épouse, j’ai éprouvé le besoin de donner plus de sens à ma vie. Moi j’avais une disponibilité de coeur et une prédisposition à l’écoute de l’autre. La maladie m’a apporté un regard nouveau sur la souffrance humaine. J’ai cherché cette relation à l’autre à travers ma foi ». C’est dire si son nouveau quotidien sera fait de rencontres. Il y a quatre ans, le responsable diocésain de la pastorale de la santé lui confie un poste au sein du CHU de Montpellier après « une formation continue et un « entretien d’embauche » en bonne et due forme », histoire de s’assurer de son engagement.

«ON N’APPREND PAS ÊTRE MALADE ! J’AIDE LES GENS CROYANTS OU NON À RECONNAÎTRE QUE CELA VAUT LA PEINE DE CONTINUER ».

C’est pour répondre à ce besoin de réconfort spirituel, ou tout simplement au besoin de rencontrer quelqu’un, qu’intervient l’Aumônerie. « Nous sommes envoyés, selon les règles de nos églises respectives, auprès des personnes malades et de tous ceux qui les entourent, afin d’être cette présence, ce témoin de la Parole. Nous sommes des interlocuteurs privilégiés que l’on soit croyant ou non. Quelquefois, les non-dits se libèrent, parfois des réconciliations ont lieu sous nos yeux ». Des histoires, Marie-Agnès pourrait en raconter pendant des heures rappelant qu’en toutes circonstances, la première dimension de l’éthique réside dans l’écoute.

« Une jeune femme m’a appelée un jour, suite à une interruption médicale de grossesse car elle savait que son bébé souffrirait de graves séquelles se souvient-elle. Elle voulait connaître la position de l’Église par rapport à son choix. Je suis venue surtout pour l’aider à se relever après cette épreuve. Il était important qu’elle ne se sente pas jugée, mais surtout qu’elle se sente toujours aimée malgré la détresse que sa décision avait engendrée ». Dans la majorité des cas, c’est une occasion de partage avec la famille. Le fait qu’il y ait une tierce personne, cela permet de mettre des mots sur le chagrin. « Cette nuit-là, rapporte-t-elle, on devait procéder à un prélèvement d’organe sur une fillette de 13 ans en mort cérébrale. J’étais là, pour traverser ce moment douloureux. »

«IL M’ARRIVE DE PLEURER. MAIS CE N’EST PAS DE LA TRISTESSE »

À première vue, Marie-Agnès semble ne pas avoir de tristesse en elle, même si elle se défend d’être blindée. « Nous avons des psychologues qui sont à notre écoute, nous discutons beaucoup ». Car dans ses visites, il y a aussi ces malades qui lui demandent de les aider à partir, mais dit-elle « je vais dans ce qu’il y a de vivant, je suis convaincue qu’il y a encore quelque chose à revivifier ». Quand la spiritualité est devenue l’unique force
d’une vie, elle s’acharne, mais tout en rondeur, Marie-Agnès. Et quand enfin elle reprend le dessus, « que des visages retrouvent leur sérénité, que les colères s’apaisent, là je me sens vraiment à ma place. Je veux montrer que la foi permet de changer son regard sur les circonstances » confie cette porteuse de vie qui ne semble pas craindre le rejet quand des portes claquent.

« Nous sommes parfois de simples déversoirs. Je n’insiste pas. J’attends que la personne soit prête, surtout si elle est dans le déni de sa maladie ». Disponibles chaque jour que Dieu fait et à toute heure, les douze aumôniers qui parcourent sans relâche les couloirs sont rémunérés par le CHU, même si la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État peut apparaître comme une bizarrerie. Marie-Agnès n’en est pas moins un agent public et dans ce cadre, « il m’arrive d’apporter le Coran aux patients qui me le demandent ». Et c’est précisément ce qu’exige la laïcité qui n’est pas l’absence de cultes mais leur coexistence pacifique.

« Je ne porte pas de croix et je fuis toute forme de prosélytisme ». “J’étais malade et vous m’avez visité “, Marie-Agnès paraphrase l’Évangile selon Saint-Mathieu pour signifier que « si la pratique religieuse est essentielle pour le croyant, elle l’est encore plus lorsqu’il est malade ». Mais au-delà, le besoin d’un soutien spirituel peut être favorisé par une prise de conscience de la fragilité de la vie et de la proximité de la mort. « L’Évangile, ce n’est pas que des mots. Je fais en sorte qu’ils s’incarnent dans le quotidien ». Il est clair qu’aujourd’hui, son sens de l’écoute et la confiance qu’elle inspire jouent un rôle important dans tous ces processus. Peu importe si on lui colle des intentions qu’elle n’a pas, elle propose, s’efface si ce n’est pas le moment, ouvrant des yeux, poussant inlassablement des portes, contribuant à rompre avec l’image poussiéreuse de l’engagement religieux. Elle qui a voulu un jour vivre selon ses propres convictions, semble davantage motivée par des valeurs typiquement féminines que sacrées. « J’aime ce vis-à-vie », laisse-t-elle échapper, rayonnante, en insistant sur l’orthographe. Mais pour Marie-Agnès, l’erreur sera toujours humaine.

Valérie Marco
4 No 987 – Lundi 14 février 2011 Montpellier magazine WWW.DIRECTMONTPELLIERPLUS.COM

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