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Notice sur Mayotte et les Comores, exposition universelle de 1900

Publié le 10 mars 2012 par Llachery @vestigesmaore

Descriptif de la production sucrière à Mayotte

in : "Notice sur Mayotte et les Comores / par Émile Vienne"

AGRICULTURE ET INDUSTRIE

Quelques années après notre prise de possession de Mayotte, la beauté des vallées faisant face à Dzaoudzi attira l’attention des colons. Ce fut une Compagnie au capital de 1.400.000 francs, la Compagnie des Comores, puis deux capitaines au long cours qui demandèrent les premières concessions des créoles de la Réunion et quelques Européens vinrent ensuite.

La plupart des concessionnaires se sont établis sur le littoral de la Grande Terre, dans les vallées qui séparent les contreforts. Toutes les concessions se ressemblent; au bord de la mer, à  l’entrée de la vallée, une bande de marais et de palétuviers, puis une plaine d’alluvion entourée de pentes douces, et, au-delà des pentes plus abruptes, couvertes de bois ; au fond de la vallée, , une rivière peu abondante pendant la saison sèche, mais-roulant une masse d'eau considérable pendant la saison des pluies ; dans la plaine une usine à sucre, des ateliers, des magasins, des hangars, une maison de maître; des maisonnettes pour-les employés à portée de la. cloche, un, grand camp pour les travailleurs noirs; tout à l’entour des champs de cannes à perte de vue; voilà à peu près la physionomie de chaque établissement sucrier.

Bat

Sur certains grands établissements tous les employés sont logés dans des maisons bâties en pierres et très confortables. A Combani notamment, ; ces bâtiments sont très importants : une maison de maître, les maisons d’employés, une usine à sucre, une distillerie, un hôpital, six magasins, forment, un ensemble de constructions considérable.

Les grands navires peuvent mouiller en face de la plupart des établissements, mais il est nécessaire de transborder les chargements dans des chaloupes ou de petits boutres qui seuls approchent de la terre.     

Dans l’origine, les marais étaient beaucoup plus étendus qu’aujourd’hui, des barres, formées à l’embouchure des rivières avaient produit des marais mixtes extrêmement dangereux. On conçoit sans peine l’épouvantable insalubrité de ces vallées lorsque les premiers colons ouvrirent les barres, desséchèrent les marais et mirent à nu par le défrichement les terres putrides formées par des alluvions.

Aussi crut-on pendant longtemps que jamais la Grande Terre ne serait habitable pour , les Européens. Les colons se nomaient à y passer la journée et revenaient, chaque soir, coucher à Dzaoudzi et à Pamanzi, ou à bord des navires en rade.   .

Deux voies se présentaient aux colons : se borner à une exploitation agricole en tirant parti des milliers de cocotiers en plein rapport que renfermait chaque concession, en régularisant les bouquets épars, en les joignant par de nouvelles plantations, enfin, en cultivant des caféiers, des girofliers et des cacaoyers ; ou bien aborder la culture de la canne qui réussissait parfaitement et se lancer dans la fabrication du sucre.

L’exploitation purement agricole pouvait donner de bons résultats; chaque cocotier rapporte, par an, de 80 à 100 cocos, et, en faisant, la part de la maraude des fanihis et autres accidents, 80 cocos valant 4 francs, a 0 fr.05 chacun, prix assuré. Un hectare pouvant contenir au moins 80 cocotiers eut rapporté 320 francs et 100 hectares 32.000 francs.

Il eut été facile d’établir dans les belles vallées de Koéni, Passamenti, Debeney, etc 100 hectares de cocotiers et 50 hectares de caféier; un hectare peut recevoir 2.500 caféiers genre moka et 1.200 caféiers genre Libéria, qui produisent chacun 0 kil, 250 de café par an ; en estimant à 0 fr. 50 le rendement de chaque pied, ces 50 hectares de caféiers eussent produit de 20 à 25.000 francs.

Mais il eut fallu attendre trois à quatre ans les caféiers et sept à huit, ans les cocotiers or, dans un pays malsain comme Mayotte, le temps presse, il faut un résultat immédiat , l’hectare cultivé en cannes pouvant au bout de quinze ou dix-huit mois, produire 4 ou 5 tonneaux de sucre c'est-à- dire à 300 francs la tonne, de 12 à 1.500 francs, on sacrifia les cocotiers et les caféiers et on se mit à cultiver la canne et à bâtir des usines. Il est nécessaire d'ajouter, pour la vérité, qu’en 1886-1887, une coccidée a détruit la plus grande partie des cocotiers de Mayotte, les caféiers moka en 1884 avaient subi le même sort anéantis par l’hemélija vastatrix.

CANNES A SUCRE

C’est ainsi qu’en douze ans, de 1846 à 1858, neuf usines à sucre furent créées.

L'expérience faisait défaut à ces concessionnaires, cultivateurs improvisés, l’usine manquait d’hommes experts pour le montage et le fonctionnement des appareils, mais dans les vallées paraissant alors inépuisables, la canne à sucre poussait merveilleusement, et les sucres se vendaient fort bien, aussi la confiance malgré les plus graves mécomtes, était grande !

De 1858 à 1875,.cinq usines furent encore créées, mais, vers 1885, l’avilissement du prix des sucres, une augmentation constante des charges des propriétaires déterminèrent une crise très grave, et, vers ce moment, quatre usines disparaissent ne pouvant plus payer leurs frais de faisance-valoir; en 1898, une usine très importante fut également fermée pour les mêmes raisons. Actuellement, il ne reste plus que huit usines à sucre à Mayotte, six d’une certaine importance et deux très secondaires.

Employer six usines pour produire 3.503 à 4.033 tonnes de sucre semble, à première vue, peu sage, quand on songe qu’une usine centrale pourrait facilement travailler toutes les cannes

combani

USINES CREEES DE 1846 à 1858

 Usines importantes

  • Ajangua, subsiste encore.
  • Débéney, subsiste encore.
  • Passaminty, fermée depuis 1888.
  • Kaoëny, fermée depuis 1899.
  • Dzoumagné, subsiste encore.
  • Soulou, subsiste encore.
  • Combani, subsiste encore.

. Usines de peu d’importance

  • Cavany, subsiste encore.
  • Loujany, subsiste encore.

Usines créées de 1858 à 1875

  • Longoni, subsiste encore.
  • Bengoni, (l'usine a été fondue avec celle de Combani).
  • Kangani, a disparu.
  • Kokoni, a disparu.
  • Mirèréni, a disparu de la colonie, en obtenant une meilleure extraction et produisant des sucres de qualité supérieure !

Malheureusement les exploitations sont éloignées les unes des autres et les essais de transport par terre et par eau ont dû, après essai, être abandonnés comme trop onéreux.

Chaque propriétaire reste donc, forcément chez lui, et avec l’expérience acquise essaie d’améliorer sa culture, sa fabrication, de développer sa production en vue de diminuer ses frais généraux.  

Les premières plantations furent 'faites avec des plants de Maurice et surtout de la Réunion ,les procédés de culture furent aussi, à l'origine, rigoureusement calqués sur ceux de la Réunion sans tenir compte de la différence de climat et surtout de saisons.

Aujourd'hui l'expérience acquise a permis de rectifier les cultures et de mieux les approprier aux conditions climatériques du pays.

Tandis qu’à la Réunion, la canne ne fournit, en général, que deux pousses, une première, dite canne vierge, mûrissant dix-huit mois après la plantation et une seconde, dite canne de recoupe mûrissant dix-huit à vingt mois après la coupe des cannes vierges, la canne à Mayotte semble pouvoir donner huit à dix coupes ; c'est un avantage considérable.

Il ne faudrait pas, cependant, croire que ce soit une bonne pratique de conserver les souches de cannes pendant dix ans. En effet, bien avant ce moment, la souche ne produit plus que de maigres roseaux auxquels un appareil foliacé très développé donne une apparence de vigueur qui ne trompe que le cultivateur novice et inexpérimenté.

Pendant près de cinquante ans, dans les vallées, la monoculture de la canne a été pratiquée, exclusivement, sans repos, sans assolement, et il a. fallu la merveilleuse fécondité du sol des Comores pour obtenir des récoltes encore assez bonnes. Mais ce système a produit la dégénérescence des cannes primitivement plantées qu’on a dû remplacer par des espèces nouvelles.

La fumure à l’aide dès engrais chimiques a été rarement pratiquée à Mayotte où l’on n’utilise que le fumier de bœufs.

C’est à cette circonstance assurément qu’est due la conservation de la fertilité des terres qui, profondément excitées par les engrais chimiques, auraient donné des récoltes considérables pendant quelques années, pour être ensuite frappées de stéré- lité, comme à Maurice par exemple, où la culture qui emploie les engrais chimiques à haute dose est;, sans cesse, forcée de se déplacer et à déserté le littoral si fertile jadis pour gagner les plateaux du centre de l'ile.

Les cannes introduites à Mayotte, au début, furent la canne blanche, la canne diard, et la canne otahiti, puis les cannes dites bambou et rubannées ou guinghans. Mais successivement toutes ces variétés, moins la canne bambou et la canne rubannée, périclitèrent et il fallut les remplacer par des espèces nouvelles venues de la Réunion, comme la Port-Makay, la bois rouge blonde, la tamarin, la -lousier, etc

Aujourd’hui, la canne Bambou et surtout la canne Rubannée semblent être les variétés convenant le mieux à Mayotte, et, à elles seules, elles forment les trois quarts des plantations,

Il y a deux époques pour les plantations des cannes à Mayotte : d’octobre à fin novembre pour les régions favorisées par les pluies à cette époque; de fin décembre à février pour toutes les régions de l’ile sans exception.

Les cannes plantées en octobre et novembre peuvent être coupées dans le cours de novembre de l'année suivante, mais elles ne donnent que de faibles rendements, 25.000kilogrammes de cannes à l’hectare tandis que les cannes plantées en décembre, janvier et février, coupées dix-huit mois après donnent un rendement au moins double, soit 50 à 60.000 kilos de cannes à l’hectare.

Voici quel est à peu près le rendement de ces cannes, plantées en janvier et février et coupées dix-huit mois après:   ...

  • 1ere coupe, 50.000 kilos de cannes qui, au rendement de 9% en sucre donnent 4.500 kilos de.sucre..
  • 2° coupe, 50,000 kilos de cannes, qui, au rendement de 9 % en sucre donnent 4.500 kilos de sucre.  
  • 3° coupe, 40.000 kilos de cannes qui, au rendement de 9% en sucre donnent 3.600 kilos de sucre
  • 4e.coupe, 35.000 kilos de cannes qui, au rendement de .9 % en sucre donnent 3.150 kilos de sucre.
  • 5e coupe, 30.000 kilos de cannes qui, au rendement de 9 % en sucre donnent 2.700 kilos de sucre.
  • 6° coupe, 25.000 kilos de cannes qui, au rendement de 9 % en-sucre donnent 2.250 kilos de sucre.  

Ces rendements sont approximatifs, mais très voisins de la réalité ; ils varient suivant la valeur des terrains mis en culture.

La décroissance des produits est rapide à-partir delà 4e année, aussi une sage pratique serait, et c'est ce que.font les propriétaires expérimentés de  ne demander que quatre ou cinq coupes à la canne.

A ce  moment, il convient, de dessoucher la canne, de labourer le sol à la charrue, et de l'ensemencer à l'aide d’une légumineuse le pois noir de Mascate, qui couvre le sol d'une couche épaisse, de rameaux, pendant que les racines, parla sidération, enrichissent le sol en azote.

Un repos de deux années, dans ces conditions, rend presque au sol sa fertilité première. C’est du reste le procédé d'assolement employé à la Réunion, à laquelle Mayotte doit tant emprunter. .  

Il faudrait aussi avoir soin, de ne jamais planter, deux fois de suite, la même variété de cannes dans le même sol.

USINES

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Les usines de Mayotte sont toutes du système Bourbonien batiments d'exploitation et village des travailleurs et se composent :

1° d'un moulin broyeur, de défécateurs, d’un appareil dit batterie Gimard, qui achève le nettoyage des jus (vesous) et en commence l’évaporation; enfin, d’appareil à cuire, dits wetzels ou Basses températures, qui achèvent la cuisson. Ces Wetzels sont de grandes chaudières demi cylindriques, ouvertes par dessus, qui reçoivent les jus propres et que traversent des tuyaux baignant dans le liquide et dans lesquels circule la vapeur détendue, pendant que des agitateurs remuent constamment la masse à évaporer.

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Rotateur de wetzels

Enfin, des turbines servent à séparer le sucre des sirops qui l’emprisonnent.

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Coupes de turbines

Ce genre d’appareils fournit de très bons résultats, à ce point qu’à la Réunion, où ils fonctionnent à côté d’appareils perfectionnés, ils donnent des rendements très peu inférieurs à ces derniers pour les premiers jets; mais pour le travail des deuxièmes et troisièmes jets, la supériorité des appareils à cuire dans le vide est incontestable.

Quelques usines de Mayotte sont munies d’appareils à cuire dans le vide et emploient la filtration, d'autres font la pression de la canne à l'aide de deux moulins puissants.

Les usines avant des moulins de force moyenne peuvent extraire de 63 à 68 % de jus, suivant la qualité de la canne; avec les moulins puissants, et surtout avec la répression, le rendement s’élève à 70, 71, 72 %.

Il faut donc, dans le premier  cas, 153 kilos de cannes pour obtenir 100 kilos de vesou (jus) et seulement 140 kilos dans le second.

Le rendement définitif en sucre est variable et dépend de la richesse des jus et du travail plus ou moins bon de l’usine, on peut dire que 100 kilos de cannes donnent de 8 à 9 kilos 1/2 de sucre.

RHUMS

Lorsqu’on a extrait des jus de la canne par trois opérations successives les sucres dits de premier, deuxième, troisième jets, il est presque impossible d'obtenir de nouvelles cristallisations, quoique les mélasses contiennent encore près de 50 % de sucre cristallisable.

Ces mélasses résiduaires sont employées à la fabrication des rhums. 100,000 kilogrammes de sucre laissent des mélasses pouvant produire 10,000 litres de rhum.

Les appareils employés à Mayotte sont tous du système Savalle; ils sont d’un bon fonctionnement. Les rhums de Mayotte ont eu, de tout temps, une véritable renommée dans la mer des Indes, renommée, d'ailleurs, très justifiée.

A l'heure actuelle, les esprits sont, ajuste titre, préoccupés du danger de certains alcools; il est donc utile de rappeler que les rhums de cannes sont exempts d'alcools supérieurs et d'éthers, qui rendent si dangereux l’usage de certains alcools d'industrie.

 Ce fait a été signalé depuis longtemps par un de nos savants professeurs de la Faculté de médecine. On peut donc espérer que, par la suite, les rhums et tafias produits de .la canne à sucre remplaceront dans une large mesure les alcools d'industrie. Il est intéressant de rappeler que, sur 100 hectolitres d'alcools entrant dans la consommation de la France, on ne compte que 2 hectolitres d’alcool de vin, c'est à dire à peine un cinquantième.

En-somme, la principale industrie de Mayotte est celle de sucre et de son dérivé le rhum. Il se fabrique annuellement environ 4,000 tonneaux de sucre et de 180,000 à 200,000 litres de rhum.

L’industrie sucrière occupe près de 3,000 travailleurs.

La question des engagements de travailleurs est une des plus importantes pour les établissements sucriers dont les ateliers exigent 2.500 à 3.000 noirs. Mayotte ne pouvant fournir qu'un nombre restreint de travailleurs, il faut chercher les autres à l’étranger. Autrefois le recrutement à la côte d’Afrique était permis, mais depuis il a été interdit.

L’Afrique fermée, on a demandé à la nombreuse population, de l’Inde les travailleurs noirs nécessaires à nos Colonies ; il suffit de jeter les yeux sur les statistiques criminelles de la Réunion par exemple, pour juger des résultats moraux de ce recrutement. Marotte essaya donc de recruter ses travailleurs dans l’Inde; un premier convoi fut amené par M. Sohiers de Vaucouleurs, en 1848, mais ces Indiens furent immédiatement atteints par les fièvres paludéennes ; la moitié mourut dans les deux premières années et on fut obligé de renvoyer les autres complètement cachectiques. Les Indiens ne pouvant vivre à Mayotte, le Gouvernement autorisa les engagements de travailleurs indigènes dans les autres Comores et c'est là, que se recrutent aujourd'hui les ateliers de Mayotte.


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