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Après le Halal, Sarkozy ferme l'Europe à Villepinte

Publié le 12 mars 2012 par Letombe
Après le Halal, Sarkozy ferme l'Europe à Villepinte

C'était donc le grand jour. L'agenda avait été un peu bousculé par un match de rugby France-Angleterre, au Stade de France voisin. Le timing était mauvais. A peine terminé, le meeting fut chassé des flashes d'information par la rencontre sportive.
Mais Sarkozy était enfin en banlieue, dans le 9-3, en Seine-Saint-Denis. A Villepinte. la salle pouvait contenir 30.000 personnes bien tassées.
Nicolas Sarkozy créa la surprise: il n'avait aucun programme à présenter. Il souhaitait simplement sortir de l'Europe si cette dernière ne révisait pas Shenguen.
Les enjeux

A Villepinte, Sarkozy cherchait d'abord à rassurer son camp. Il craignait d'être dépassé par François Bayrou. Le leader prétendument centriste a donné tous les gages qu'il faut au clan sarkozyste sauf un, l'essentiel. On ne sait toujours pas avec qui il gouvernerait s'il passait le cap du premier puis su second tour.  A Villepinte, Nicolas Sarkozy voulait au moins davantage de présents à Villepinte que d'adhérents à l'UMP. Depuis son entrée officielle en campagne, les troupes étaient déçues. Les pontes murmuraient aux journalistes encore nombreux combien le Monarque n'avait plus la baraka. Même l'officielle porte-parole, Nathalie Kosciusko-Morizet, fut l'objet de rumeurs insistantes de remplacement par un autre rival, Frank Riester. Les gauchistes, fussent-ils journalistes, n'étaient pas les bienvenus comme lors des précédents meetings.  « La France forte, c'est vous ». Nicolas Sarkozy avait changé son slogan.
Les coulisses
Dès 10 heures du matin, on avait demandé aux militants de venir. La salle s'était remplie tout doucement dans l'espace 6 de Villepinte, 46.000 mètres carrés, tout le monde ou presque devait être assis, ce qui laissait environ 20 ou 25.000 places à peine. Sur Twitter et ailleurs, les militants du parti lançaient des estimations des plus fantaisistes. Des 30.000 annoncés la semaine dernière, on nous promettait désormais 50.000 ou 70.000 (dixit Jean-François Copé). Sur des plans larges filmés par les caméras de l'équipe du candidat sortant, on voyait de nombreux drapeaux français. C'était la « démonstration de force »
Le candidat sortant avait-il fait prendre des risques à ses visiteurs ? Le catalogue officiel du Parc des expositions de Villepinte limitait à 20.000 assis ou 30.000 debout la capacité des lieux.
 Quelques militantes féministes furent empêchées de distribuer un tract pourtant bien inoffensif.
Des intervenants se succédèrent sur l'estrade pour faire patienter l'auditoire. « Sarkozy président ! »  scandait régulièrement la foule.
Les préliminaires Certains étaient pour montrer que Nicolas Sarkozy avait encore des amis: Gérard Depardieu fut de ceux-là. « Merci de m'accueillir parmi vous ». Il trébuchait sur les mots. « Depuis que ce nouvel ami qu'est Nicolas Sarkozy et Carla Bruni sont au pouvoir, je n'entends que du mal » Il avait trouvé une curieuse formule... Enrico Macias également: « Nicolas Sarkozy a su endiguer la crise mondiale ! ».  D'autres « people », comme en 2007, étaient là. Outre Gérard Depardieu, les noms de Christian Clavier et d'Emmanuelle Segnier, l'épouse de Roman Polanski, furent cités au micro.
D'autres, plus politiques, devaient louer le bilan de leur patron ou convaincre des clientèles thématiques. Frédéric Nihous, le leader du groupuscule de Chasse Pêche Nature et Tradition fit huer les noms de François Hollande et d'Eva Joly au nom de la ruralité. Valérie Pécresse semblait épuisée et livra une allocution sans emphase ni rythme sur le « tournis»  de réformes que le Monarque avait fait subir à la France. « Nicolas, tu nous as dit, 'j'ai besoin de vous', mais la France a encore besoin de toi !»
Le Sarkothon démarrait maladroitement.
« Moi Jeannette Boughrab, fille de Harkis, je vote Nicolas Sarkozy ». Elle s'était lancée dans un discours qu'elle voulait enflammé. « Il n'existe pas de charia light ! » hurla-t-elle. Débloquait-elle  ? L'opération Harki se poursuivait ce dimanche matin. Elle commit un impair, en citant Hélie de Saint Marc, un ancien général putchiste de l'OAS. Les gaullistes fidèles pouvaient quitter la salle. Boughrab en 2012 voulait reprendre le flambeau de Rama Yade de 2007. Cette dernière avait plaqué Sarkozy la veille après-midi au Congrès du Parti Radical.
Alain Terzian, producteur récemment élevé au grade de commandeur par le Monarque en place et d'un poste au Conseil économique et social, livra quelques mots en faveur d'Hadopi. Les Jeunes Pop se taisaient.
Bernadette Chirac aussi monta sur l'immense pastille blanche. L'opération Pièces jaunes pouvait commencer. Son soutien était ambivalent. La victoire de Sarkozy « repose sur la force de son engagement ». Doutait-elle ? « Mobilisez-vous ! » scanda-t-elle. Son discours officialisait l'échec de la campagne jusqu'à maintenant.
Même Henri Guaino, le conseiller spécial du Monarque, eut droit à son speech. En 2007, il s'était contenté d'être la plume de coulisses du candidat UMP. Lui aussi eut ses perles. Il salua les salariés de « Photoshop » au lieu de ceux de « Photowatt ». Il ajouta : « En 5 ans, le Président de la République a sauvé trois fois l'Europe.» Rien que ça. Sarkozy, super-Zorro.
Chacun de ces soutiens devaient prononcer l'expression magique: la France forte.
Un discours...
Quelques minutes avant 14 heures, Nicolas Sarkozy arriva enfin, les yeux las, le haut du visage en désaccord avec le bas. La musique d'accompagnement annonçait un film de guerre ou une oraison funèbre, tandis que le candidat sortant marchait dans des travées volontairement resserrées pour qu'il serre les mains qui se tendaient à lui. Par rapport à 2007, il semblait fatigué et grossi.
« Mes chers amis, je me souviens de ce mois de mai, c'était il y a 5 ans, mais c'était hier, c'était dans mon coeur il y a 5 minutes. »
1. Nous attendions, on nous l'avait promis, l'énoncé d'un programme, ce fichu programme qu'il tardait à livrer. Rien de tout cela. C'était surprenant. Nicolas Sarkozy voulait relancer sa campagne avec un programme a minima. Il dénonça les blocages, et se fit applaudir contre les syndicats. Président rassembleur ?  « J'ai appris que les vrais blocages ne viennent pas du peuple français. Ils viennent de certains syndicats, de certains corps intermédiaires
2. Nicolas Sarkozy invoqua peu l'histoire. Ce ne fut qu'en fin de discours qu'il vomit bien rapidement, la voix étranglée, une dizaine de références historiques: de Gaulle, Victor Hugo, Robert Schummann, Jean Monnet, Jeanne d'Arc.
3. Il pompa quelques exemples de son discours de janvier 2007: « J'ai changé parce qu'on change forcément quand on est confronté à l'angoisse de l'ouvrier qui a peur que son usine ferme » disait-il à l'époque. « Je pense à l’ouvrier dont l’usine ferme et dont on n’a pas réussi à sauver l’emploi. » En 2007, il s'indignait: « Je suis révolté par l'injustice et c'en est une lorsque la société ignore les victimes ». En 2012, il se répétait: « Je pense à la victime à laquelle on ne peut pas rendre justice ».

4. Il invoqua le poids de son apprentissage. Le début du discours était étrange. Sarkozy déroula tout ce qu'il n'avait pas compris en étant élu. Après le « j'ai changé » revendiqué en 2007 pour rassurer qu'il n'était pas si méchant, voici le « j'ai appris » de 2012 pour rassurer qu'il n'était pas si nul. « De cette succession ininterrompue de tornades, j’ai appris que le président de la République était comptable des joies et des peines des Français, qu’il devait les prendre en compte, s’en imprégner et s’extraire de tout le reste. » Cinq ans d'apprentissage à l'Elysée, c'était quand même bien long. Combien de Français ont une telle durée pour faire leurs preuves ? En presque 30 minutes, Nicolas Sarkozy expliqua combien il avait appris, combien il ne savait en fait rien Il prononça 8 fois l'expression « j'ai appris » et 11 fois « j'ai compris ». 5. Il demanda qu'on comprenne son sacrifice: « J'ai tout donné pendant 5 ans » Il avait tout donné, mais une large majorité le trouvait donc si mauvais. Sarkozy avait « compris » mais restait incompris. C'était la faute des autres. Il avait tout fait pour protéger notre pays de la disparition. Sarkozy, c'était le gars qui avait empêcher la comète de faire disparaître les dinosaures... « Pendant 5 ans, j'ai fait de mon mieux pour protéger la France de toutes ces crises. » Les Français étaient vraiment de ne pas comprendre cela... On cherchait à qui il pensait quand il lança: « La France n'a pas été emportée quand tant d'autres ». Sortir la France de l'Europe Mais l'axe central du discours fut Marine Le Pen. Nicolas Sarkozy labourait encore les terres de sa rivale d'extrême droite. A Villepinte, le discours n'était plus écrit par Henri Guaino mais par Patrick Buisson. Il y eut d'abord cette attaque contre l'étranger-profiteur. « Les étrangers qui veulent seulement venir en France pour le seul attrait de nos prestations sociales ». L'argument était ignoble car bien faux. L'immigration légale « rapporte » bien davantage qu'elle ne coûte. Sarkozy faisait sien l'une des saloperies frontistes.  Il y eut enfin la grande idée, l'unique proposition du jour: sortir la France de l'Europe si l'Europe n'acceptait pas une belle dose de protectionnisme et une fermeture plus grande des frontières contre l'immigration fusse-t-elle légale. Sarkozy hésitait à soutenir l'expulsion de la Roumanie et de la Bulgarie de l'Europe mais le coeur y était visiblement. Première proposition, la révision des accords de Shenguen: « on ne peut pas laisser la régulation des flux migratoires entre les seules mains des technocrates et des tribunaux » Car il fallait « éviter l'implosion de l'Europe ». Fichtre ! On croyait qu'elle avait été sauvée! Faute d'accord dans les 12 mois, menaça-t-il,  « la France suspendrait sa participation aux accords de Shenguen ». Préparez vos passeports pour visiter l'Allemagne! Voilà le candidat sortant qui se moquait d'un François Hollande qui voulait renégocier le nouveau traité européen annoncer tout de go la sortie de la France de l'Europe dans les 12 mois faute d'accord sur un durcissement des frontières ! on se souvient pourtant qu'il avait présidé l'Union, 6 mois durant, en 2008.
Seconde proposition, Sarkozy voulait ensuite imposer la tutelle totale du Conseil des chefs d'Etat sur la Commission de Bruxelles. La mesure n'impressionne pas.
Troisième et dernière proposition, « la France demandera que l’Europe se dote d’un « Buy European Act » sur le modèle du « Buy American Act ». Ainsi bénéficieront de l’argent public européen, les entreprises qui produiront en Europe.» Ce traité protectionniste réserverait aux PME européennes des conditions d'accès privilégié aux marchés publics A nouveau, « Si dans les douze mois qui viennent aucun progrès sérieux sur l’exigence de la réciprocité avec nos principaux partenaires n’était enregistré, alors la France appliquera unilatéralement cette règle jusqu’à ce que les négociations aboutissent. » Ou encore: « La France exigera que désormais les PME européennes aient une part des marchés publics qui leur soit réservée.
Si au bout d’un an nous n’avons pas progressé, la France appliquera unilatéralement sa propre charte des PME jusqu’à ce que les négociations aboutissent.
»

La proposition était contradictoire et vaine.   1. Il venait d'expliquer qu'il avait sauvé l'euro et l'Europe. Mais ce n'était visiblement pas le cas. La menace demeurait immense: « L'Europe doit reprendre son destin en main sinon elle risque la dislocation.»    2. Comme l'expliqua Laurent Joffrin, le « président qui veut changer l'Europe annonce qu'il renégociera les traités européens. Exactement ce que l'UMP reproche à François Hollande depuis quatre mois...»

3. Nicolas Sarkozy voulait peut-être croire la France pouvait encore livrer de tels oukazes. Depuis 2008 et la dégradation de ses comptes publics, la France suit l'Allemagne.

Il était 15 heures et une minute. Le discours est fini.
Le candidat sortant chanta une Marseillaise raccourcie avant de descendre de l'estrade. Nicolas Sarkozy serra quelques mains, lâcha quelques bises puis s'éclipsa: Carla Bruni-Sarkozy, Bernadette Chirac et quelques autres apparurent à l'écran.
En une dizaine de minutes, les lieux furent vidés de leurs participants. Les chaînes d'information continuèrent de couvrir l'évènement, avec des sièges vides en fond. L'image était terrifiante.
Nicolas Sarkozy courrait après Le Pen et ne pouvait rester plus longtemps.
Ami sarkozyste, étais-tu satisfait ?

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