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Petite chronique du quotidien incertain (au Ghana)

Publié le 13 mars 2012 par Busuainn_ezilebay @BusuaInn_Ezile

Installation plastique de chaise en bois Installation en bois de chaise plastique et non en plastique.. installation en bois de chaises uniques, installation de chaise et variation sur le thème...Je suis perplexe. Sur les différentes possibilités de la phrase précédente, un brin surréaliste, (comment intituler cet article ? ) mais aussi avec ce qui va suivre, tout aussi empreint de dadaïsme... sans toutefois, les fameux already made de Marcel Duchamp.

C'est qu' on ne « manufacture » que très peu ici au Ghana, on « artisanne » (indication sémantique : bien des noms communs sont transformés en verbe en Afrique de l'Ouest mais pas que... Par exemple utiliser une bombe anti moustique = spray, il faut donc sprayer. Tout comme utiliser une lampe la nuit = torche, il faut donc torcher. Remarquez les québécois pratiquent de même avec l'anglais et même en français, poncer en québécois, c'est sabler puisqu'on utilise du papier de sable (c'est joli), aller faire les courses, c'est magasiner ...
Faire faire des fauteuils, toute une aventure...
J'ai récemment commandé des nouveaux fauteuils en bois pour la plage d'Ezile BayPetite chronique du quotidien incertain (au Ghana)Fidèle à mon principe, qui vaut ce qu'il vaut, je vous le livre quand même afin que vous puissiez avoir quelques clefs de lectures qui est de faire et travailler au plus près. Je veux dire par là le labeur humain comme les matériaux, faire tourner la micro économie locale, éviter le transport, rester dans le style de la petite région en utilisant les ressources sur place, il existe bien des raisons. J'ai donc « essayé » le charpentier d'Akwidaa, l'un des villages les plus proche de notre petite baie.
J'avais déjà eu recours à lui, toujours encadré par un autre menuisier, supposé être le « master » le chef. Donc, je lui montre un modèle de fauteuil qui est à Ezile Bay et lui demande de le reproduire. Un brin au fait des manières de faire de par ici, je lui demande d'en faire un exemplaire, de me le montrer, éventuellement (et surement) faire des modifications et lancer la production des 20 fauteuils.
y compris dans le(s) temps
Entre temps, je lui demande de faire un devis du cout de réalisation de l'ensemble incluant le prix de son travail (et oui, tout ce négocie ici). Ici en Afrique, le un-peu-un-peu règne en maître, en version anglaise tropicale cela donne « small-small » et en Fanti du Ghana « Kakra-kakra ». Il est quasiment toujours impossible d'avoir une idée un peu un peu précise sur un devis. Ben oui ! Puisque on est dans le un-peu-un-peu qui se marie si bien avec le maintenant-maintenant, alors de là à prévoir le temps, un coût, ce n'est pas la peine d'y penser. D'une certaine façon, c'est même contreculturel. Comme je l'ai déjà évoqué par ailleurs, le rapport au temps est souvent élastique en Afrique. Les notions du temps (de quels temps parlons nous ?) et je devrai écrire des temps sont tellement diverses, difficilement objectivables, comme l'a si bien démontré Daniel Tchapda Piameu dans son passionnant article-démonstration : « Le temps, point de vue d'un philosophe africain ».
Je ne voudrais pas que vous puissiez lire quelques formes ambiguës ou de pensées-impériales-mais-quand-même-post-coloniales ; je veux dire par là, un jour un peu et demain est un autre jour. Dans le même esprit et parce que cela immobilise de l'argent, point de stock dans les maisons et même quelques fois dans les magasins, pour vous dire que cet état d'esprit est prégnant ici. Tant la projection dans le temps demande des conditions de vie confortables ou tout du moins sécures.
Plusieurs raisons explique cette manière d'être et de penser (s'il vous vient à l'esprit d'autres éléments d'analyse, je suis preneuse..), il a déjà été évoqué plus haut quelques pistes et/ou réflexions, il me semble que tout cela doit être rattacher aussi à ce qu'Oscar Lewis (les enfants de sanchez) appelait la culture de la pauvreté. En France ou dans bien des pays de l'ouest, la pauvreté ne permet pas l'épargne et bien en version Africaine, c'est le stockage qui n'est pas possible, entre autre.
Un autre fait qui mérite certainement d'être mentionné, c'est que la notion de cuisine (la pièce où les repas sont préparés) est bien différente des cuisines européennes. Tout d'abord elles ne sont jamais dans une pièce de la maison mais toujours à l'extérieur. Quand vous saurez que les modes de chauffage domestique majoritaires sont le bois (qu'on va ramasser dans le bush et qu'on ramène du champs le soir) et le charbon de bois (qu'un voisin vient de faire), vous aurez compris pourquoi.
Si vous voyez des documentaires sur l'Afrique de l'ouest et que vous repérez une petite cahute toute noire, un peu éloignée de la maison, ne cherchez plus, vous venez de trouver la cuisine ! Cette cuisine n'a ni électricité (adieu les réfrigérateurs et autres modes de conservation par le froid), ni eau courante. Le puits ou la pompe communautaire n'est jamais très loin.
De toutes façons, peu importe l'éloignement puisque l'eau est ramenée principalement par les enfants (et surtout les filles, mais pas que). Si le village est un peu équipé, une pompe à main permettra d'obtenir l'eau facilement et de manière saine, puisque l'accès à l'eau ne se fait pas par contact direct. Si non, et bien, la méthode ancestrale, ficelle, corde et récipient et il faut tirer, (s'é)puiser...
Et s'attraper des sales trucs parfois si l'eau consommée n'est pas bouillie Ce qui est souvent le cas. Le seau a pu trainer n'importe où, les mains qui tirent la ficelle ne sont pas toujours très propres...et cette ficelle à quoi a-t-elle pu servir avant ? Pour mémoire, une des premières causes de mortalité au monde et spécialement chez les enfants, est la dysenterie qui adore se promener au filde l'eau....
Retournons si vous le voulez bien vers ce charpentier qui s'est avéré fort créatif, puisqu'après la 1ère épreuve le devis puis la réalisation d'un exemple pour le second round...
La valeur de l'exemple serait-elle relative ?
Second étape dans ce processus de création, car au final, s'en fut un et par bien des aspects, la réalisation d'un exemple... Qui ne ressemblait pas vraiment à celui demandé et montré. Il avait transformé la forme du dossier du fauteuil car celle proposée ne lui convenait pas... et c'était un fauteuil parfait par sa hauteur, pour un enfant de 12 ans ! 
Petite chronique du quotidien incertain (au Ghana)
Je lui explique, démontre par l'exemple... Et là, stupeur (me surprendrons toujours !), un des gardiens va dans le bar ramène le mètre et commence à mesurer et noter. Ce qui, dans l'implicite donne à penser que notre artiste es marteaux a fait le 1er sans mesurer...
En version positive, c'est fortiche le gars ! Des écarts mais si on prend en considération que rien n'avait été mesuré, c'est finalement pas grand chose. L'autre aspect, c'est : Nom d'un chien (ou plutôt bon sang de bois) ! Un menuisier qui travaille sans mesurer...
Le Ghana peut rendre schizophrène ! Ambivalence...
K.O au troisième round
Quelques rectifications et mesures plus tard, 3ème round et final en apothéose. Les fauteuils ont fini par arriver... Je vous laisse les regarder...


Petite chronique du quotidien incertain (au Ghana)
 

Vous avez remarqué ? Nous pourrions jouer au jeu des 7 différences (au moins)...
En version (toujours) positive (sinon, le continent aurait vite fait de vous ruiner la santé nerveuse), on peut, par exemple, dire ce sont tous des modèles uniques. Je les ai regardé, scruté, palpé sous toutes les coutures et bien, il a reçu ce pari fou de faire 20 modèles différents en partant d'une base simple, il est très fort !
L'autre réaction, c'est : Non ! Ce n'est pas possible, même pour un truc aussi simple, il s'est emmêlé les rabots .
Allez ! C'est pas grave ! Cela fait partie de la vie ici. Multiforme.
Demain, on recommence...
Car ces manières de faire et de voir peuvent se décliner dans presque tous les domaines. J'aurai pu écrire la même chronique sur la réparation du générateur, du frigo et quand il s'agit de construire une maison, je vous laisse imaginer toutes les possibilités...Chantier auquel je vais bientôt m'atteler et que je ne manquerai pas de vous faire partager.
Voilà, c'était une petite chronique d'un quotidien (un peu) incertain (un peu). 

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