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Carré rouge

Publié le 13 mars 2012 par Espritvagabond

Carré rouge

Le carré rouge qui orne ma
fenêtre d'appartement.

La question de la hausse des frais de scolarité imposée par le gouvernement du Québec fait l'objet de multiples commentaires dans les médias, et, j'imagine, dans plusieurs strates de la société québécoise.
L'imposition de cette hausse par le gouvernement est très importante, puisqu'elle décide unilatéralement de renier un choix social effectué par le Québec depuis des décennies, et ce, sans même débattre de la question auparavant (1).
Bref, il n'y a pas eu de débat de société sur la question, et il devrait en avoir un avant de décider si oui ou non c'est l'orientation que le Québec veut prendre.
La grève étudiante et les manifestations organisées par les étudiants et leurs supporteurs feront peut-être en sorte que ce débat de société aura lieu. Espérons-le.
En attendant, L'Esprit Vagabond porte un carré rouge, signe de soutien au mouvement étudiant (2). Je m'affiche donc contre cette hausse, et voici pourquoi.
Les Universités québécoises sont sous-financées.
En 10 ans, le budget que les universités québécoises consacrent à l'immobilier (construction de pavillons, rénovations) a doublé. L'Université de Sherbrooke a un pavillon à Longueuil, l'Université de Montréal a un nouveau pavillon à Laval, Concordia a érigé deux nouveaux pavillons au centre-ville; quand vient le temps d'agrandir ou de faire compétition aux autres universités québécoises, nos universités ne semblent donc pas manquer d'argent.
Quand Concordia cessera de payer des millions à ses dirigeants (à coup de parachutes dorés, même après seulement deux ans de services), quand Laval annulera l'augmentation récente de 100 000 $ de son recteur, quand on me dira quel cabinet d'ingénieur, quelles compagnies de constructions ou quel autre intervenant a ramassé l'argent gaspillé par l'UQAM dans le fiasco de l'îlot Voyageur, j'accepterai de discuter de l'argument du manque d'argent des universités québécoises. Avant ça, qu'elles apprennent à mieux gérer l'argent public dont elles disposent.
Le gouvernement nous demande de comparer les frais de scolarité avec d'autres provinces canadiennes où ils sont plus élevés. Il omet par contre de mentionner que dans ces provinces, les universités ne sont pas mieux financées pour autant. En Ontario, pour prendre une province aux frais de scolarité élevés, une université reçoit moins, en moyenne, par étudiant, qu'une université au Québec. Et le déficit des universités au Québec n'est pas un phénomène local; les universités de Colombie Britannique, d'Alberta ou d'Ontario sont dans des cas similaires malgré leur frais de scolarité plus élevés.
Le Gouvernement du Québec manque d'argent.
J'ai déjà soulevé cette question sur ce blogue. Le Québec n'est certes pas riche, mais le Québec n'est pas pauvre non plus. Le Québec pourrait revoir une bonne partie de sa fiscalité pour engranger plus de revenus. Un exemple évident est celui de la rémunération sous forme d'option d'achats d'actions, un "abri fiscal" massif réservé aux favorisés de la société qui ont le loisir de toucher leur salaire sous cette forme afin d'éviter la charge fiscale qui leur revient. Évidemment, la manière la plus facile d'augmenter les revenus du Québec serait d'exiger des redevances plus importantes sur nos ressources naturelles, et en exiger sur le minerai extrait et non sur le profit réalisé (qu'il est si facile de réduire grâce à des charges de gestion inter-sociétés bien comptabilisées). Ce gouvernement, qui manque d'argent pour financier l'éducation au Québec, ne manque pourtant pas d'argent pour subventionner à la hauteur de 200 millions la construction d'un aréna à Québec, aréna qui sera opéré par l'entreprise privée qui n'y aura pas mis un sou. Vous comprenez le principe, ce qui précède illustre seulement qu'il s'agit d'un choix du gouvernement d'augmenter les frais, et non d'une nécessité.
Il semble aussi que dans ses calculs, le gouvernement Charest ne mentionne jamais que cette hausse n'est pas un revenu net pour les universités et la province. On parle d'ajuster le régime de prêts et bourse pour compenser la hausse, ce qui sera donc coûteux à la fois pour les étudiants (endettement supplémentaire en prêts) et pour le Québec (en versement de bourses et en paiement des intérêts sur les prêts pendant les études). Aussi, le Québec donne un crédit d'impôts pour les frais de scolarité, ce crédit augmentera d'autant que les frais, ce qui sera aussi coûteux pour la province. L'impact net de la mesure est donc plus faible qu'il ne parait, surtout considérant ses coûts économiques et sociaux.
Que chacun fasse sa part.
Un exemple de choix social ici: Pourquoi les minières qui réaliseront des milliards de dollars de profit en exploitant nos ressources naturelles ne payent pas leur juste part des routes que le Québec s'apprête à construire et dont l'usage est exclusivement pour leur bénéfice?
En ajoutant une strate d'impôts à la structure actuelle, on fera payer leur part à ces universitaires qui feront des revenus très élevés, sans nuire à l'accès universel actuel.
On oublie également de mentionner que les frais de scolarité au Québec ne sont plus gelés depuis longtemps. En réalité, ils ont déjà augmenté de 200% depuis 1989 (et ce sans compter la hausse actuelle imposée par le gouvernement).
En 2007, le gouvernement fédéral a transféré plus de 700 millions $ supplémentaires au Québec. Le gouvernement Charest a accordé des baisses d'impôts aux plus riches de la province avec ces transferts. La hausse actuelle est censée rapporter 325 millions. Encore une fois, un choix a été fait par le gouvernement de qui devait alors "recevoir sa part".
Les études universitaires sont un investissement, alors endettons les étudiants pour financer cet investissement.
L'argument que j'appelle "Universitaire Inc". La pensée économique de droite qui est devenue la norme. L'éducation est un produit financier que l'on doit rentabiliser. Cette rhétorique est devenue habituelle à partir du moment où la valeur numéro un des gens est devenue l'argent. Pour ma part, je pense toujours que l'université devrait encore être un lieu de formation et d'ouverture d'esprit. L'argument de l'investissement étudiant pousse donc ceux-ci à choisir des programmes payants, sinon, ça ne donne rien d'investir dans une formation universitaire. En suivant ce raisonnement, on ne formera plus que des professionnels de la santé, des gens d'affaires et des ingénieurs. Exit les philosophes, les psychologues, les sociologues, les historiens, les physiciens, les mathématiciens, et exit les enseignants, puisque ce n'est pas non plus une profession très payante au Québec. Et les médecins, les ingénieurs, les dentistes, et les comptables que le Québec aura ainsi formé n'auront pas étudié par passion pour ce domaine, mais bien parce que c'était un bon investissement, que c'était payant. Est-ce cela que l'on souhaite au Québec?
La comparaison avec les autres provinces canadiennes.
On se compare toujours aux autres qui font bien pire, comme ça, on accepte mieux notre sort. Pourquoi alors ne pas se comparer aussi à ceux qui font mieux? Aux nombreux pays du globe où l'université est gratuite, par exemple, et se demander comment ils font, où ils trouvent l'argent, pourquoi le font-ils, est-ce que ça réussi? Pourquoi viser la médiocrité des pires au lieu de viser l'excellence des meilleurs? Et si on est pour comparer seulement avec les pires provinces canadiennes ou les états américains, alors pourquoi ne dit-on pas que dans ces endroits, l'accès n'est pas universel, que la qualité de l'enseignement n'est pas meilleure que dans les pays où les frais sont bas ou inexistants (au contraire), et que les étudiants de ces universités sont beaucoup plus endettés qu'au Québec? Au moins, nous saurions à quoi nous attendre en faisant ce choix de société. Enfin, si on veut vraiment se comparer, on devrait aussi mentionner que les provinces canadiennes qui ont emprunté le chemin des frais de scolarité élevés changent justement leur attitude à ce niveau; la Nouvelle-Écosse et l'Ontario baissent maintenant ces frais pour réduire les impacts négatifs des hausses passées.
Un mot sur l'individualisme des étudiants "socialement (ir)responsables".
Je ne m'attarderai pas sur ce groupe d'étudiant pro-hausse, dont les arguments tournent soit autour de la répétition bête des arguments du gouvernement (donc voir ci-haut pour mes réflexions), soit autour de leur nombril ("j'ai droit d'aller à mes cours") allant donc jusqu'au non respect du vote démocratique des étudiants ayant voté pour la grève. Je vous renvoi à l'intervention de leur porte-parole à l'émission Tout le monde en parle; cette intervention était amplement révélatrice de leur point de vue individualiste et non social.
Conclusion: C'est donc un choix de société qui est devant nous.
Carré rouge
C'est un choix, nous devrions donc en débattre.
Voilà pourquoi j'appui le mouvement étudiant. Ils forceront éventuellement le débat. Si ce n'est pas un débat immédiat, ils forceront peut-être le gouvernement à reculer, et cette question deviendra un enjeu lors de la prochaine campagne électorale, le débat se fera donc à ce moment, ainsi que le choix de société.
Le choix social en question, il est simple, c'est celui de décider à la naissance de qui peut ou non accéder à de l'éducation universitaire. Point.
L'impact immédiat d'une hausse des frais de scolarité sera peut-être une légère baisse de fréquentation, mais les université compenseront en acceptant d'autres étudiants. Les 7000 étudiants touchés par la hausse, qui n'accéderont pas à l'université, ils seront donc remplacés par de moins bons candidats, mais qui seront issus de familles plus riches. Quel médecin est-ce que je veux, quel ingénieur, quel économiste, quel psychologue, quel professeur, quel journaliste?
Le meilleur candidat ou le fils du plus riche?
Car c'est ça qui est proposé ici, comme orientation de société: Transformer graduellement l'accès à l'éducation en privilège plutôt qu'en droit.
Voilà pourquoi je suis contre cette hausse des frais de scolarité.
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(1) Pour se justifier, le gouvernement Charest s'assoit sur une "majorité" et son élection démocratique; il représenterait donc l'opinion de la majorité. Évidemment, cette rhétorique est totalement fausse, puisque d'une part, le Parti Libéral au pouvoir a obtenu lors des dernières élections 42 % du vote exprimé, et d'autre part, jamais pendant sa campagne électorale le Parti n'avait fait mention de son projet de hausse des frais de scolarité.
(2) Ce billet aborde la question de la hausse des frais de scolarité. Il n'aborde pas l'aspect de la "grève étudiante". Les étudiants ont bien peu de moyens pour se faire entendre, et qu'ils choisissent de mettre en jeu leur session pour ce faire devrait être salué comme courageux plutôt que décrié. Toutefois, on peut très bien comprendre que certains soient contre la hausse sans désirer aller jusqu'à la "grève".
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Sources:
Institut de Recherche et d'informations socio-économiques, Politiques Sociales, La Presse, Le Devoir, Wikipedia (élections provinciales 2008).

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