L’actualité s’installe dans les tribunaux
Curieusement, ces jours-ci, c’est l’actualité judiciaire qui domine : procès en appel de l’accident du Concorde d’Air France de juillet 2000 et assignation en référé demandant le retrait d’un documentaire de France 3 consacré à la fin tragique du vol AF447 du 1er juin 2009. Malgré les apparences, les sujets sont très différents et c’est le moins spectaculaire des deux qui suscite les plus grandes inquiétudes, dans les médias tout au moins.
Le vol AF447, qui a fait 228 victimes, s’inscrit dans un contexte pour le moins particulier et devient au fil des mois un cas d’école pour le monde de la sécurité aérienne. C’est un A330 qui a commencé par «disparaître» sans laisser de trace, en l’absence d’images radar et, tout au long d’interminables recherches, sans épave. Puis les débris du biréacteur ont été retrouvés, grâce à un déploiement sans précédent de moyens techniques et les enregistreurs de bord, bien conservés, ont livré leurs «secrets». Lesquels n’en étaient pas, la séquence des événements ayant été très probablement déclenchée par le givrage des tubes Pitot, entraînant des indications de vitesse erratiques, la déconnection du pilote automatique et la perte de vitesse sous les yeux d’un équipage qui n’a pas compris ce qui se passait. Tout est enregistré, tout est dit, connu, analysé grâce au CVR, Cockpit Voice Recorder.
Le rapport final du Bureau d’enquêtes et analyses pour la sécurité de l’aviation civile sera terminé et publié dans 3 ou 4 mois. Il ne divulguera sans doute pas d’informations nouvelles et peut-être décevra-t-il, notamment, les familles de victimes. Lesquelles espèrent secrètement une autre vérité qu’elles ont pourtant sous les yeux depuis plusieurs mois. Mais un fossé est apparu entre elles et les médias, soupçonnés d’être attirés par la recherche d’audience ou encore d’encourager secrètement une extravagante théorie du complot. D’où le sentiment diffus, jamais exprimé clairement, que les journalistes devraient se contenter d’attendre le document final du BEA et ne surtout pas se livrer à des analyses forcément erronées. Sauf à écouter les conseillers et autres experts qui rodent dans les couloirs.
Un nouveau cas de figure, exemplaire, vient de s’inviter dans l’actualité : L’Association entraide & solidarité AF447 cherche à faire interdire la diffusion d’un nouveau reportage de France 3 consacré à l’accident du Rio-Paris, dans le cadre de la série intitulée Pièces à conviction. L’attaque est violente : l’association «s’insurge contre la nouvelle intrusion des hérauts médiatiques du milieu aéronautique dans l’enquête de l’accident». Le résultat serait tout simplement inacceptable et révoltant, l’association condamnant fermement une intention de vouloir orienter les conclusions des enquêtes «au seul profit de ceux qui n’ont pas assuré leurs responsabilités, alors que la Justice est en train d’œuvrer à la recherche de la vérité !».
Il y a là matière à réflexion, et bien plus. On retiendra tout d’abord l’emploi du pluriel, «les enquêtes», alors que la recherche et l’établissement des causes de l’accident relève du BEA, et de lui seul. La Justice entrera en scène plus tard quand viendra le moment, dans le cadre d’un procès, d’identifier d’éventuelles responsabilités. Cela étant dit, l’Association fait évidemment fausse route, se trompe de cible, commet une grave erreur d’appréciation et de jugement. Aucun média, chaînes de télévision comprises, ne peut fort heureusement avoir la prétention d’orienter une enquête, de la conduire vers des conclusions qui ne seraient pas entièrement basées par des faits clairement avérés. Et cela quels que soient les mérites de France 3.
En d’autres termes, nous assistons à une nouvelle dérive, qui n’est pas précisément médiatique. Seule la Corée du Nord pourrait se permettre de formuler de telles critiques, de porter l’affaire en Justice, d’imaginer que l’on peut interdire la diffusion d’un reportage parce qu’il risquerait de déplaire à certains. Si nous étions aux Etats-Unis, les avocats de France 3 se contenteraient d’évoquer le premier amendement de la constitution américaine –qui garantit la liberté d’expression- et le débat s’arrêterait avant même d’avoir commencé. Il est décidément grand temps d’en finir avec l’AF447.
Pierre Sparaco-AeroMorning