Parmi les dossiers trop méconnus du grand public, bien que revêtant des aspects scandaleux, celui de la redevance pour copie privée tient une très bonne place. Hypocrisie, déni de démocratie, aberration économique, atteinte aux droits de propriété…Tout y passe !
Mais qu’est-ce donc que la redevance pour copie privée ?
Retour en 1986. Avant cette année, il était interdit à tout individu de copier un média qu’il avait acheté, même pour un usage strictement personnel. Mais avec l’arrivée des antiques VHS, difficile de continuer à interdire à tout un chacun d’enregistrer et de revoir ses films préférés, et d’enregistrer à la radio ses musiques favorites. Jack Lang, Ministre de la Culture devant l’Eternel, fait alors voter une Loi instituant l’exception pour copie privée. Au départ, l’idée est simple mais bonne : autoriser la copie des médias que l’on achète, directement (dans le commerce par exemple), ou indirectement (la télévision est ainsi payée par la redevance audiovisuelle – et la publicité, mais cela relève du libre choix des entreprises). Problème, les ayants-droit (ceux qui perçoivent les droits d’auteur), exigent, en contrepartie de ce nouveau droit des consommateurs, une redevance, la redevance pour copie privée.
Le principe est simple : à chaque fois que vous avez enregistré un film qui, rappelons-le, vous avez « payé » une première fois par votre redevance audiovisuelle, vous avez versé un montant supplémentaire aux ayants-droit. Comment ? En achetant votre VHS vierge. Une taxe (pardon, une redevance), payée par les producteurs et importateurs de supports vierges, a en effet été créée en 1986 en contrepartie de l’exception pour copie privée. Mais comme dit le proverbe, si l’on taxe les vaches, ce ne sont pas les vaches qui paieront… Ainsi, lentement mais sûrement, s’est installé un mécanisme qui revient très simplement à faire payer plusieurs fois le consommateur pour le même média. Et cela ne s’arrête pas aux films et aux musiques, mais s’étend jusqu’aux scans de manuels scolaires et de partitions musicales ! Il faudrait ajouter que certaines des études effectuées par de grands cabinets de sondages sont financées par le Ministère de la Culture. A l’heure de la crise de la dette, ce type de dépenses inutiles financées par le contribuable devrait faire réfléchir…
Très simplement ? Pas si sûr…En effet, pour fixer les montants de la redevance, une commission spécifique a été créée, « afin de garantir l’équité du système pour toutes les parties ». Mais l’équité est décidément un concept à géométrie (très) variable. Ladite commission est en effet constituée de 24 membres (plus le Président) : 12 ayants-droit, 6 représentants de consommateurs, 6 représentants des industriels producteurs et importateurs de supports. Sur le papier, cela fait 12/12. Dans le détail, plusieurs des représentants de consommateurs partagent de nombreux intérêts avec les ayants-droit, et votent systématiquement dans le même sens…Du coup, autant dire que la voix des industriels n’a strictement aucune portée. Ceci explique que, depuis 25 ans, les ayants-droit décident, sans aucune limite ni contre-pouvoir, quels montants vont abonder leur porte-monnaie. Un peu comme si, dans une entreprise, chaque salarié décidait seul de son salaire. Pratique, mais rigoureusement contraire à tous les principes qui fondent notre vie collective. A l’heure où certains conflits d’intérêt, parfois dérisoires, font la Une de la presse, cela devrait faire réfléchir.
Cette absence de limite à la gourmandise des ayants-droit conduit à des résultats parfois aberrants. Ainsi, il faut savoir qu’au-delà des CD, DVD, Disques durs externes et autres, les GPS sont également taxés ! Qui peut en effet douter que les français copient beaucoup de musiques et de films sur leur GPS (Sic) ? Quand on sait que sur un GPS, la redevance est d’environ 20€, soit 15% du prix de vente, cela mène à se poser quelques questions sur le bien-fondé de la méthode…Pour les DVD vierges, l’addition est encore plus salée. Pourquoi acheter 10 DVD en France coûte autant que 100 DVD en Allemagne ? Sur un DVD acheté environ 1.30€ en France, il y a 1€ de RCP (sans compter la TVA)1. En clair, un DVD vierge devrait vous couter 30 centimes et non 1€30. Ceci a conduit purement et simplement à l’asphyxie de ce marché en France. En revanche, nos voisins allemands ont pu se frotter les mains, des camions entiers de CD/DVD franchissant la frontière chaque jour. A l’heure de la crise et de la hausse du chômage, la destruction d’emplois due à cette redevance injuste devrait faire réfléchir.
Est-ce tout ? Non, bien sûr… les décisions prises par la commission (augmentation des barèmes, taxation de nouveaux supports,…) sont si contraires au droit en vigueur qu’elles sont quasi systématiquement abrogées par le Conseil d’Etat2. Un exemple : jusqu’en 2008, les redevances devaient compenser le manque à gagner dû au piratage, qui représente bien souvent l’essentiel des fichiers copiés présents sur un support. Sauf que la redevance pour copie privée n’est censée s’appliquer qu’aux fichiers achetés légalement puis copiés. C’est pourquoi ce dispositif a également été annulé par le Conseil d’Etat3. En toute logique, exclure les fichiers illicites aurait dû conduire à une baisse significative de la redevance. Eh bien non ! C’était sans compter sur les talents d’illusionnistes des ayants-droit qui, en bons plombiers comptables, ont trituré leur mode de calcul pour parvenir, comme par magie, au même résultat, bien qu’ayant dû sortir de leurs calculs jusqu’à 90% des fichiers selon les supports…Fort heureusement, si nous copions nos musiques favorites juste pour les sauvegarder (qui n’a jamais rayé définitivement un CD ?), nous ne payons pas. Si, disent les ayants-droit ! Bien admettons, mais si je rachète juste un disque dur externe pour copier mes contenus et me débarrasser de l’ancien ? Aussi ! affirment sans ciller les ayants-droit.
Notons tout de même que le dossier connait, depuis quelques mois, une (très) relative embellie : certaines associations de consommateurs se sont alliées à des syndicats d’industriels pour sensibiliser le grand public à ce dossier. Ainsi une calculette a été mise en place (www.cherecopieprivee.com), pour que chacun puisse constater les montants parfois élevés (dépasser 100€ est très vite arrivé) de redevance payée. L’une des solutions de bons sens avancée par ces organisations serait de faire reposer la redevance sur le manque à gagner pour les ayants-droit (en clair, ce manque à gagner provient du fait que nous copions au lieu d’acheter une seconde fois le même support). Il est vrai que les dernières évaluations du manque à gagner total conduisent à une fourchette de 50 à 100 millions d’euros par an, contre 200 millions actuellement collectés (chiffre en constante augmentation4).
On comprend que les sociétés de collecte (SACEM et SACD), qui au passage en conservent la moitié pour les « coûts de fonctionnement » (dont les salaires étonnamment hauts de leurs dirigeants5), ne veulent même pas entendre parler d’un calcul fondé sur le manque à gagner.
En attendant, les consommateurs que nous sommes continuent de payer chaque année, sans le savoir, 200 millions d’euros pour des médias que nous avons achetés. Ou comment transformer l’achat en quasi-location. Cela devrait faire réfléchir…
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Notes :
- http://www.copieprivee.org/Les-tarifs-HT-de-la-remuneration.html ↩
- http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/remuneration-pour-copie-privee-.html ↩
- http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/le-conseil-detat-annule-la-decision-du-20.html ↩
- http://www.pcinpact.com/news/66843-remuneration-copie-privee-rcp-loi.htm ↩
- Le Point ↩