Cher Gaspar,
permets-moi de te tutoyer, vu comme tu violes mes yeux dans tes films, tu auras l’obligeance de ne pas te vexer si je laisse le vouvoiement de côté.
Jeudi, j’ai reçu un texto me disant «Faut que tu check le clip de Gaspar Noé pour SebAstian, quand tu peux mon gars. Urgence. C’est chocho la polémique là.» Urgence, me dit-elle. Déjà ça part mal, t’avoueras. Accoler Noé et polémique, c’est pas tout à fait nouveau, tu commences à t’y habituer, avoue. Je me dis « mais c’est pas possible, qu’a-t-il encore fait ? ». Et puis on m’explique le concept du clip. On parle d’une pré-pubère qui danse de manière plutôt sexy. On mentionne aussi vaguement le (génial) morceau de SebastiAn, “Love In Motion”. YouTube censure le clip vite fait, mais à l’heure où j’écris ces lignes DailyMotion l’héberge encore.
Évidemment, ton clip fait parler. Il choque. C’est ce que tu voulais, en même temps… Il fait tellement parler qu’on t’accuse de pédophilie, on s’offusque que de telles images soient diffusées comme de l’art. Sûrement ce genre d’images devrait-elles rester dans les bas-fonds des internets. Mais t’accuser de pédophilie, c’est une critique trop facile. Après tout, tu nous a quand même montré un viol de dix minutes en plan fixe dans un sous-sol de parking dans “Irréversible”; tu nous a montré un fœtus avorté dans “Enter The Void” : on savait à quoi s’attendre. Tu déplaces l’art contemporain dans les salles de cinéma. Ton dernier film, hyper-conceptuel (et assumé comme tel), en a rebuté plus d’un. Alors oui, tu essaies de supprimer les frontières. Bien bien bien. Évidemment, tu n’es pas pédophile. Il est vrai que les réels pédophiles n’ont pas attendu que tu mettes en image “Love In Motion” pour se palucher devant des filles de 14 ans. C’est sûr.
Mais franchement, mec, t’as pas l’impression de tourner en rond ? De provoquer une fois de plus mais de n’avoir pas grand chose à dire ? Ton grand pote Romain Gavras, auto-proclamé révolutionnaire du cinéma français en a eu assez de deux polémiques vaseuses (le provoquant mais intéressant “Stress” et le provoquant mais creux “Born Free”) pour comprendre qu’il se fatiguait, il a réussi à se renouveler avec le clip de “Bad Girls”. Oh c’est sûr, c’est pas exceptionnel, mais le clip est efficace et attire l’oeil sans avoir à buter du banlieusard (“Stress”) ou du roux (“Born Free”). Surtout, il a le mérite de montrer l’évolution de Gavras, qui délaisse sa chère violence gratuite pour s’aseptiser peut-être mais aussi retrouver du sens, (re)devenir intéressant.
Tu n’étais pas sans savoir qu’en faisant trémousser cette minette dans sa chambre aux couleurs chaudes, tu allais une fois de plus perdre tout intérêt. Le corps de cette gamine devient objet de discorde, et tout message disparaît. Enfin, je dis message, mais franchement, tu ne proposes que du vent. Tu veux dire quoi avec ton clip, mec ? Tu veux dénoncer la génération YouTube et les Mini-Miss ? Putain, autant de subversivité, ça m’impressionne…
T’as pas un peu l’impression qu’on savait déjà ce que t’allais nous montrer ? Les bookmakers devraient ouvrir les paris sur ce que tu nous proposeras la prochaine fois pour mieux nous provoquer. Je mise sur une gamine qui viole Vincent Cassel dans un parking japonais, le tout filmé, comme tu s(av)ais si bien le faire, dans un plan-séquence qui donne le tournis.
Alors mon p’tit Gaspar, tu voulais choquer du bourgeois, tu voulais qu’on parle de toi, c’est ça ? Oh, ne dis pas le contraire, on commence à te connaître tu sais. Hé ben ça y est, t’as réussi. Une fois de plus. Tu es ravi : la France bien-pensante s’offusque. Je t’imagine déjà jubiler, champagne dans une main, coke dans l’autre. Et forcément, je tombe dans le panneau. Je parle de toi, je parle du clip, la polémique continue. Mais ne me prends pas pour un réac’, tes clips me choquent pas le moins du monde, le seul scandale qui m’insupporte ici c’est que tu fais sévèrement de la merde. Tu veux foutre une bonne claque au cinéma en France ? Je t’en prie, fais-le. Mais arrête de courir après la controverse, pitié. Tu cours dans le vide et à chaque clip qui se veut provoquant, tu plonges encore plus dans le ridicule et le mauvais goût. On parlera peut-être moins de toi quand tu auras décidé de t’assagir (t’aseptiser, penses-tu), mais tu devras bien plus intéressant.
T’es sûrement pas mon réalisateur préféré mais t’essaies de faire bouger les choses, de faire quelque chose de nouveau ; et c’est quelque chose de respectable. Alors mec, arrête un peu de te caricaturer toi même, arrête d’essayer de nous choquer, de vouloir systématiquement nous en mettre plein les yeux : surprends nous. T’as bientôt 50 ans (ça calme hein), arrête de te la jouer éternel adolescent, et grandis.
Je t’embrasse pas, je suis à peine majeur, on t’accuserait de pédophilie.