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Consommation collaborative : le marché aux frontières de l'intimité

Publié le 18 mars 2012 par Christophe Benavent

Consommation collaborative : le marché aux frontières de l'intimité

Just Hanging

Il y a bien sur le livre de Rachel Bostman – What's mine is yours- avec cet élan enthousiaste qui ne nait qu'aux USA. Avec l'assurance des pionniers ceux qui ne renversent pas le monde mais étendent un peu plus loin l'héritage d'un monde ancien.
L'idée de partager ce que l'on consomme, car partager signifie aussi acquérir à moindre coût un plaisir qu'on convoite, est sans doute une idée aussi vieille que le monde. L'échange de maison pour les vacances n'a pas attendu l'internet pour s'installer. Le nouvel essor de la consommation collaborative y trouve cependant son moteur.
Ce que les technologies de l'information apportent dans des configurations variables : des plateformes d’échanges, des forums, des réseaux sociaux, c'est bien sur cette faculté de coordonner à coût faible une offre et une demande excessivement hétérogène. Nous sommes à l'envers des grands marchés que les économistes et les marketeurs travaillent. Ces marchés du divers depuis longtemps se mettent aux marges des petites annonces. Robes de mariage, matériel de jardin, leçons particulières, Week-end à la capitale, voitures ou vélos, l'étendue des produits que l'on consomment et qu'on partagent ne fait que s’accroître grâce à la réduction des coûts de recherche, de négociation et de contrôle que permettent les TICS. On aura au passage lu une petite référence à Williamson..
Il ne s'agit pas seulement d'acheter ensemble. Les groupes d'achats sont une réalité complémentaire mais distincte qui s'appuient simplement sur un principe d'échelle. Il s'agit surtout de partager l'utilisation quitte à subir des désavantages qui se rapportent le plus souvent à un critère d'intimité. Porter le costume qu'un autre a enfilé, dormir dans le lit conjugal d'un autre couple peut produire une sorte de dégoût. Si les technologies de l'information réduisent les coûts de coordination, renoncer à une propriété pleine et entière et au fétichisme de l'objet peut être rédhibitoire. Il ne s'agit pas seulement d'un trade-off entre la location et la propriété, mais de la charge affective que la propriété supporte. Puisque les objets sont une extension de soi, leur abandon peut revenir à une amputation.
Le cœur de la consommation collaborative est sans doute le foyer. Nombreux sont les biens qu'on partage en famille : le sèche cheveux de la mère et la fille, les vélos, les meubles, les livres et nous partageons parfois avec nos voisins la tondeuse. Même si aujourd'hui la taille des ménages est réduite : près de 34% des foyers ne comprennent qu'une personne et moins du tiers en comprend plus de trois - on en comprend mieux le potentiel de cette forme de consommation.
A considérer cette consommation domestique on comprend que la consommation collaborative trouve son destin entre deux forces. L'une est purement économique. De nombreux biens méritent qu'on en partage l'usage, surtout ceux dont la fréquence d'usage est faible. Mais établir un calendrier de détention qui coïncide avec celui de l'usage est difficile, plus encore est de transférer aux dates et aux lieux nécessaire le bien en question. Réduire ces deux coûts ne peut que faire progresser cette économie. Mais une autre force s'y oppose : celle des frontières de l'intimité, des frontières qui sont celles du foyer, d'autres qui viennent de l'empreinte que l'on peut laisser sur les objets.
La solution digitale joue en grande partie sur le premier facteur, elle est sans doute moins déterminante sur la seconde. D'autres solutions sont nécessaires. Partager sa machine à laver pourrait sembler naturel dans la mesure où nous ne l'employons que quelques heures par semaine. Mais il y a peut de chance que nous transportions d'une maison à l'autre le tambour, encore moins que nous invitions nos voisins à la buanderie car d'ailleurs nous n'en avons généralement pas. Pourtant il existe une ancienne institution qui faisait du linge une activité commune : le lavoir. Aujourd'hui, il y a toujours des lavoirs, ils offrent des machines à laver de différentes tailles, des séchoirs, parfois des machines à laver à sec, mais sont fréquentés par les célibataires et ceux dont le logement est trop petit pour laisser un espace au lavage du linge.Les bibliothèques sont une autre sorte de partage, un autre espace collaboratif de consommation, nous y partageons les tables, les index, les rayonnages. Nous pourrions rêver qu'elles prennent une forme encore plus locale, que nous y remisions les livres que l'on achète contre le droit de lire ceux des autres. Des bibliothèques associatives plus que des bibliothèques communales. Les bibliothèques n'ont pas attendus internet pour organiser le partage, mais c'est en retirant la propriété de l'usage. Le lavoir et la bibliothèque ont cela de commun que le partage de la consommation est possible en retirant aux consommateurs toute propriété, il ne leur reste que la location d'un usage. Dans ce sens Le vélib n'est pas véritablement une forme collaborative de consommation pour la simple raison que ni la plateforme de coordination, ni les bicyclettes n'appartiennent aux consommateurs.
On devine donc dans ces institutions l'enjeu du partage qui est celui de ses institutions. Au-delà des mots : mutualiste, coopératif, associatif, collaboratif, participatif et osons-les socialiste, communiste, collectiviste c'est bien la question du commun qui est en cause et les limites des droits de propriétés qui sont atteintes. Dans cette perspective la consommation collaborative se tient sur la frontière du marché et son originalité serait alors dans la préservation des droits de propriétés contestés. La diminution des coûts de transaction induit par les technologies de l'information en quelque sorte sauverait le marché d'investissement spécifique qui s'accroissent avec la solitude des sociétés libérales, sa seule limite serait alors cette part inaliénable de soi que l'on défini par les frontières de son intimité.


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