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Keynésianisme et Libéralisme : une comparaison

Publié le 19 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

La question du choix d’une politique économique, et même la question centrale de la différence entre les théories économiques, repose sur la question de la dynamique. Quel est le moteur de l’économie ? Seront comparées ici les dynamiques de l’économie telles qu’elles sont vues selon les deux grands courants de la science économie, le libéralisme et le keynésianisme.

Par Vladimir Vodarevski

Les économistes étudient habituellement l’économie dans le but d’avancer des politiques pour en améliorer le fonctionnement. Les propositions qui sont faites peuvent être classées en deux catégories.

Soit, il s’agit de stimuler l’économie par la dépense, par des grands travaux, par des allocations, en favorisant le crédit, etc. Ou encore, en intervenant plus directement, pour construire de nouveaux secteurs économiques, comme la transformation écologique de l’économie.

Soit, ce sont des mesures dites libérales, qui visent à développer un cadre favorisant la liberté de chacun, dans le respect de règles de droit, et de laisser la vie économique se structurer d’elle-même.

Dans le premier cas, il faut stimuler l’économie, ou même construire des secteurs entiers. La dynamique de l’économie est donc externe. Dans le second, la dynamique est interne.

La question du choix d’une politique économique, et même la question centrale de la différence entre les théories économiques, repose donc sur la question de la dynamique. Quel est le moteur de l’économie, qu’est-ce ce qui fait bouger l’économie, qu’est-ce qui la fait évoluer?

Seront comparées ici les dynamiques de l’économie telles qu’elles sont vues selon les deux grands courants de la science économie, le libéralisme et le keynésianisme. Chaque courant sera présenté, d’abord le libéralisme, puis le keynésianisme. Enfin, sera comparée la cohérence de ces deux conceptions de l’économie.

1. Le libéralisme

La théorie libérale moderne est notamment basée sur la théorie subjective de la valeur. Elle a été définie par Carl Menger, en 1871, mais en même temps, et de manière indépendante, par Léon Walras et Stanley Jevons. Cette approche subjective de la valeur représente une évolution par rapport au courant classique, incarné notamment par David Ricardo, qui était fondé sur la valeur travail. À partir de la valeur subjective, les travaux de Carl Menger ont posé les bases de ce qui est aujourd’hui l’école autrichienne, avec un auteur comme Ludwig von Mises qui a perpétué cette approche. Tandis que s’est développé, toujours à partir de l’approche subjective, le courant néoclassique, à travers notamment Alfred Marshall.

Selon la théorie subjective, le prix d’un produit, ou service, dépend de la valeur que lui accorde l’acheteur. Il n’y a pas de valeur objective, mesurée par exemple par une quantité de travail intégré au produit.

Keynésianisme et Libéralisme : une comparaisonSelon Ludwig von Mises, la théorie subjective de la valeur transforme l’étude de l’économie. Il écrit que l’économie subjectiviste moderne « a transformé la théorie des prix de marché en une théorie générale du choix humain. » (L’action humaine) Ainsi, l’économie est intégrée dans un champ plus large, qui est l’étude de l’agir humain, appelée praxéologie. L’économie en elle-même est appelée catallaxie, approximativement la science des échanges.

L’économie dépend donc de l’action de chacun. Les gens agissent, font des choix, en fonction des fins totalement personnelles qu’ils se fixent. Ce qui les conduit à mettre en Å“uvre des moyens. Concrètement, quelqu’un qui veut s’acheter une maison va, par exemple, proposer sur le marché ce qu’il sait faire : une compétence, un service, un produit, etc. Il échangera contre une marchandise intermédiaire, qui permet de conserver la valeur : la monnaie. Au final, il réussira, ou ne réussira pas, à s’acheter une maison.

Le moteur de l’économie, c’est l’initiative de chacun. En fonction de ses buts, chacun échange. Ce qui est appelé production en valeur n’est que la somme des prix de transaction. La croissance est l’augmentation des échanges. La création de valeur est la création de nouveaux produits ou services, inventés dans le but d’échanger, et par des gens motivés par des buts personnels : achat d’une maison, offrir les études aux enfants, réaliser un rêve, etc.

2. Le keynésianisme

Pour être précis, il y a deux types de théories interventionnistes : celles de type communiste, et celles de type keynésien. Cependant, le communisme ne traite pas de la dynamique de l’économie. Il stipule que le profit vient de l’exploitation des travailleurs. Il prévoit l’inéluctabilité de la révolution prolétarienne, sans préciser ce que serait concrètement le monde post-révolutionnaire. Il faut reconnaître que même les propositions proches du communisme sont largement mâtinées de keynésianisme. Par exemple, Europe Écologie est très interventionniste. Mais, lors des élections régionales de 2009, son programme proposait de faire financer par la création monétaire le secteur associatif, pour relancer l’économie. Une politique inspirée du keynésianisme.

Keynésianisme et Libéralisme : une comparaisonLe terme keynésianisme peut prêter à débat. En effet, par rapport à Keynes, ceux qui s’en réclament ont évolué. Est-ce que Keynes aurait approuvé cette évolution ? Nul ne peut le savoir. Mais Keynes a donné son nom à une vision de l’économie, qui a évolué après lui, en prenant pour bases ses écrits.

La base de la théorie de Keynes est la réfutation de la loi des débouchés de Jean-Baptiste Say (Traité d’économie politique, 1841). Dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), Keynes écrit :

Depuis J.B. Say et Ricardo les économistes classiques ont cru que l’offre crée sa propre demande, ce qui veut dire en un certain sens évocateur mais non clairement défini que la totalité des coûts de production doit nécessairement, dans la communauté entière, être dépensée directement ou indirectement pour l’achat de sa production.

(Il est utile de préciser ici que Keynes ne distingue pas les classiques et les néoclassiques. Il englobe les deux courants sous le terme de classiques.)

Dans la Théorie générale, Keynes critique donc cette idée que l’offre crée la demande. Au contraire, c’est, selon lui, la demande qui crée l’offre. Selon Keynes, les économistes classiques et néoclassiques considèrent que l’argent investi fait tourner l’économie, point sur lequel il est en accord, et que tout argent gagné est soit dépensé en consommation, soit investi. Point sur lequel il est en désaccord.

Selon Keynes, c’est le fait de dépenser qui stimule l’activité. Or, plus quelqu’un gagne de l’argent, plus il a tendance à le thésauriser, c’est-à-dire à le garder, sans l’utiliser pour sa consommation, ni l’investir non plus. Par conséquent, il faut stimuler l’économie par la dépense publique. De préférence par l’investissement public. L’argent investi provoquera des achat de biens de production, ce qui encouragera l’investissement dans ce domaine. L’investissement provoque une distribution de revenus, qui provoque une augmentation des investissements, qui provoque une augmentation des revenus, etc. C’est le principe du multiplicateur. L’investissement public provoque d’autres dépenses d’investissement et de consommation. Une aide à la consommation a également un effet multiplicateur, mais moins important.

Il y a une ambiguïté dans les écrits de Keynes. Sa critique de J.B. Say laisse à penser qu’il raisonne uniquement en termes de circulation de monnaie : le stimulus provient de l’injection de monnaie. Une relation donc mécanique, mathématique. Or, Keynes n’était pas favorable à la mathématisation de ses théories. Sa théorie était aussi basée sur des facteurs psychologiques. Le fait que la demande augmente entraîne de l’optimisme chez les producteurs, qui vont investir et donc entraîner l’économie. Les développements de la théorie keynésienne se sont orientés vers une relation mécanique.

3. Cohérence du libéralisme et du keynésianisme

L’explication libérale de l’économie apparaît très cohérente. Elle explique ce qu’est l’économie, et l’intègre dans les actions des gens. Elle donne une vision de la dynamique qui fait évoluer l’économie.

En revanche, la cohérence du keynésianisme est problématique. Selon Keynes, l’analyse du libéralisme est que l’offre crée la demande. Il se place donc dans le même type de raisonnement en déclarant qu’au contraire, c’est la demande qui crée l’offre. Cependant, son interprétation du libéralisme est très personnelle.

En effet, ni Jean-Baptiste Say, ni Ricardo, n’ont considéré que l’offre créait la demande. Dans son Traité d’économie politique, Jean-Baptiste Say écrit que les produits s’échangent contre des produits. De même, Keynes cite John Stuart Mills à l’appui de ses propos, alors que ce dernier, dans la citation reprise par Keynes, écrit que « les moyens de paiement des marchandises sont des marchandises elles-mêmes. »

Ces deux économistes, Jean-Baptiste Say et John Stuart Mills ont vécu avant la définition de la théorie subjective de la valeur. Mais celle-ci ne fait que compléter leurs théories. Leurs propos s’intègrent parfaitement dans les développements du libéralisme qui leur ont succédé. Dire que les produits et services – car Say traitent déjà de ceux-ci – s’échangent contre des produits signifie simplement que chacun propose quelque chose sur un marché pour l’échanger contre autre chose. La monnaie n’est qu’un bien intermédiaire, car celui qui est intéressé par le produit vendu n’a pas forcément le produit que souhaite le vendeur. Il faut donc un produit intermédiaire, accepté par tous, pour fluidifier les échanges.

Contrairement à ce que prétend Keynes, il n’y a pas chez les libéraux l’idée que les dépenses en coût de production stimulent l’économie. Ce ne sont pas les dépenses de production qui stimulent l’économie selon les libéraux. C’est le fait que les gens proposent des produits ou des services en échange d’autres produits ou de services. Ce n’est ni l’offre ni la demande qui stimule l’économie.

Par conséquent, en déclarant que la circulation monétaire stimule l’économie, Keynes rompt complètement avec le libéralisme. De plus, même s’il intègre des facteurs psychologiques, sa description du libéralisme, et de sa théorie, est celle d’un circuit monétaire. En rupture avec le libéralisme.

Cette rupture avec le libéralisme signifie qu’il n’y a plus de fondement à la théorie keynésienne. En effet, Keynes décrit le libéralisme comme un cas particulier de sa théorie. Et il part du libéralisme pour asseoir celle-ci. Cependant, son interprétation du libéralisme est erronée. Donc, sa théorie n’a aucun fondement. De même pour ceux qui ont prolongé ses théories, et qui demandent aujourd’hui une relance par la création monétaire.

Conclusion

Les théories issues du keynésianisme ne s’appuient donc pas sur une base solide, contrairement au libéralisme. Les théories de relance par la dépense n’ont aucune base théorique.

Cependant, les débats en économie ne vont pas jusqu’à ce niveau de réflexion.

Et c’est peut-être là le problème. Les débats portent sur ce qu’il faut faire pour relancer la croissance, sans s’interroger sur ce ce qu’est l’économie. Il faudrait revenir à ce niveau de réflexion pour définir ensuite une politique économique.

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