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Le tao du pseudo - II

Par Alainlasverne @AlainLasverne

 

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on utilisation du pseudo a été absolument inexistante au début de mon parcours d'auteur. Utiliser un pseudo ne me
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serait même pas venu à l'esprit. Je n'étais pas un écrivain, j'étais un lecteur qui s'essayait à l'écriture, un écrivant. Je n'avais pas besoin de pseudo.

Je n'en ai pas plus choisi pour la publication de mon premier roman, une œuvre pour la jeunesse, et j'ai continué ainsi longtemps à écrire sans pseudo.

La question a commencé à se faire jour quand j'ai eu, je crois, suffisamment de textes derrière moi, de persistance évidente dans l'écriture et surtout de travail original à mes yeux, pour me dire que j'étais devenu un écrivain. Comme une sorte de boule de neige, mon activité et ma production avaient grossi et pris forme au point où je pouvais reconnaître sans rougir l'apparence d'un écrivain. Quant à m'affirmer ainsi, il aurait fallu pour cela réunir d’autres conditions, particulièrement l'assentiment de mon milieu.

Aucun écrivain dans ma famille. Pas un parent ou un proche ne s'était hasardé à écrire quelques pages, à ma connaissance. J'étais une sorte de phénomène dans le ciel intime dans lequel j'évoluais. C'est bien après mon entrée dans l'âge adulte que je me suis permis de faire part à mes parents d'une nouvelle écrite et adressée à un éditeur. Il s'agissait avant tout pour eux de s'en sortir dans l'existence, de ne pas manquer, de toujours accrocher ses pas sur le sol chaotique, même si on gagnait sa vie. On ne lisait pas, ou peu, dans la famille. Les quelques amis et connaissances qui fréquentaient le livre étaient regardés avec l'indulgence incrédule, voire un peu inquiète, qu'on accordait aux artistes et aux esprits un peu dérangés.

Ma « carrière » d'écrivain , entamée sérieusement assez tard, demeurait et demeure enclose dans mon for intérieur, ou dans le cercle amical.

Mais elle poussait, s'épanouissait dans ma vie et je voyais l'écrivain prendre place, toute sa place. Jusqu'au moment où, je l'ai dit, je me suis reconnu une voix qui devait continuer dans la voix qu'elle traçait depuis trop longtemps pour qu'il ne s'agisse que d'un hobby.

Le choix d'un pseudo a sanctionné une espèce de réussite et de différence, pour autant que je p uisse l'analyser en étant juge et partie.

Réussite dans l'art de l'écriture, ce qui ne signifie pas vraiment succès éditorial et notoriété, mais accomplissement intérieur. Conscience de faire un travail artisanal où j'étais arrivé à une certaine compétence indéniable à mes yeux, au regard des limites que je savais être les miennes et des espérances que je pouvais raisonnablement, ou pas, m'autoriser. Produire des textes aboutis et dotés d'une singularité perceptible par moi, comme par d'autres.

La différence, dans les milieux populaires – ma mère était ouvrière en usine, et mon père, après avoir commencé au même niveau, était parvenu au rang d'artisan du commerce indépendant – est peu tolérée. On gagne sa vie avec ses mains et sa sueur, la diversité des tâches important peu. Le travail intellectuel relève d'une autre sphère. Il appartient à ceux qui ont le loisir de l'exercer. En ce sens, il participe du monde de l'aisance, de la bourgeoisie, de capacités que les ouvriers et salariés à la peine n'ont pas la possibilité de mettre à jour et d'utiliser. Sans parler du fait que l'univers intellectuel qu'il convoque est peu connu et encore moins apprécié, par manque de connaissance et désarroi devant ce qui suppose, dans la compréhension populaire, une intelligence et un savoir supérieur autant qu'étranger.

Bref, il s'agit au mieux d'une erreur grave, au pire d'une infatuation confinant à la trahison que de se présenter comme écrivain. Même si on lit dans les milieux populaires, la figure de l'écrivain reste étrange autant qu'étrangère, comme l'est quelque part la richesse.

En famille, bien sûr, je n'étais pas rejeté. On ne s'attardait pas, cependant, à discuter de cette fantaisie sauf pour signifier à quelques amis de passage que le fils s'était un tout petit peu élevé au-dessus du monde du simple souci de gagner sa vie et s'octroyait des passe-temps d'un certain standing.

Je ne pouvais nier cet écart entre la conscience familiale et la mienne. Je ne pouvais non plus occulter un certain parcours et un aboutissement personnel sur le chemin de l'écriture. Le pseudo, entre autres raisons, vint tisser un lien, un pont entre deux univers contradictoires que je devais impérativement relier.

Je serais un autre, tout en étant moi-même. Grâce à ce pseudo existerait complètement un être aussi inconsistant qu'une plume et pourtant durable. Le pseudo-être ne heurterait pas le bloc symbolique des croyances parentales si bien chevillées en moi et ferait place à cette personne qui se trouvait être moi aussi, et surtout. Je serais toujours à la tablée familiale, mais sous la table je continuerai sans cesse à écrire.


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