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Pourim - Politique, Action et Judaïsme...

Publié le 12 mars 2008 par Frison
Bient䚈t Pourim !
Selon l'interprétation du Ari Zal (Rabbi Itzhak Louria), un des plus grands kabbalistes de Safed au 16ème siècle, le jour de Kippour est appelé "Yom Hakippourim", littéralement: "le jour qui est comme Pourim".
"Comme" ça dénote quand même une légère infériorité. Quand je lis dans l'Equipe d'hier: "Ribéry c'est comme Zidane", ça veut quand même dire paradoxalement qu'il reste un peu de chemin à parcourir pour y arriver tout à fait.
D'où l'assertion à première vue étrange tendant à prouver que Pourim est une fête plus importante que Kippour et serait alors la fête la plus importante de l'année.
En réalité, c'est bien le cas.
Et ce n'est pas pour rien que de très nombreux sages ont écrit sur Pourim: le Maharal de Prague (Or Hadach), le Rema (Mehir Yaïn), le Malbim, etc, etc... sans compter les textes "officiels": un traité entier dans le Talmud (Meguila) et bien sûr le rouleau d'Esther.
Cette Méguila, lue deux fois à Pourim, est étonnante à plus d'un titre si l'on veut bien se donner la peine de la lire autrement que comme une pièce tragico-comique pour enfants déguisés en Batman.
1) Maïmonide dit dans son code de lois que l'ensemble des textes du Tanakh (Pentateuque, Prophètes, Hagiographes) a vocation à être annulé lors des temps messianiques...sauf la Meguilat Esther...Pourquoi ce statut si particulier ?
2) La Halakha est qu'à Pourim, il faut se saoûler (littéralement) jusqu'à confondre "Béni soit Mordekhaï et Maudit soit Aman" avec "Béni soit Aman et Maudit soit Mordekhaï". Si on prend Pourim au sérieux, c'est-à-dire la fête parlant notamment des tentatives d'extermination physique des Juifs (Hanouka commémorant les tentatives d'annulation spirituelle), imaginerait-on que la Tradition juive nous oblige par la Halakha à dire "Béni soit Hitler et Maudit soit Mordekhai Anielewicz" ?
3) La Tradition juive explique qu'Esther était la femme de Mordekhaï (en plus d'être sa cousine: je ne sais pas d'où vient le mythe selon lequel Esther serait sa nièce). Comment peut-on concevoir qu'un mari envoie sa femme à l'adultère pour plusieurs années et qu'en plus ce couple soit honoré par la Tradition ?
4) Je ne sais pas si vous vous êtes attardés sur la fin de la Meguila, mais les Juifs tuent quand même 75000 personnes en une journée. Même aujourd'hui, on fait pas mieux...Et on a la dignité de ne pas être joyeux, de ne pas se saoûler et de ne pas faire un formidable festin...comme on le fait à Pourim !
Il y aurait énormément de choses à dire sur chacun de ces points.
Mais on va essayer de s'attarder sur le dernier verset de la Meguila.
Il parle de la situation de Mordekhaï:
"Et Mordekhaï le Juif était le 2ème personnage du royaume après le Roi Akhachveroch, était Grand parmi les Juifs, était apprécié par la majorité de ses frères, recherchait le bien pour son peuple, et travaillait à la paix pour toute sa descendance".
Magnifique happy end. Petit bug quand même: pourquoi n'était-il apprécié que par la majorité de son peuple ?
La réponse de Rachi est intéressante. Celui-ci rapporte un passage du Talmud expliquant que Mordekhaï s'était éloigné de la Thora, ce qui lui a valu les reproches d'une partie du peuple.
D'où le sait-on ?
Réponse de la Guemara: Pourim s'est passé à l'époque de l'entre-deux Temples, pendant l'exil de Babylone. Et Mardochée faisait à l'époque partie du Sanhédrin.
Or, dans le livre d'Ezra il est cité "après 4" c'est à dire qu'il était le 5ème membre le plus important du Sanhédrin.
Mais dans le livre de Néhémie (donc après Pourim), il est cité "après 5", c'est à dire qu'il était le 6ème membre le plus important. Dans l'intervalle, il avait donc perdu une place.
Question: qu'y a-t-il de si dramatique dans cette différence ? S'il était devenu impie, à la limite, mais là il n'a fait que descendre d'un grade parmi les Sages les plus éminents de sa génération ! Et puis que veut dire cette tournure de phrase inhabituelle du Talmud: "après 4" ou "après 5". Ne pouvait-il pas dire 5ème et 6ème, comme dans toute compétition sportive qui se respecte ?
Est-ce vraiment cela qui lui a valu la désapprobation d'une partie du peuple ?
Petit détour par Maïmonide pour y répondre.
Allons voir le Michné Thora, le code de lois écrit par Maïmonide.
Chapitre: Les Lois concernant l'étude de la Thora, car c'est de cela dont il s'agit.
"Soit une Mitzva qui se présente à quelqu'un qui étudie la Thora. Si quelqu'un d'autre peut assumer cette Mitzva, il la fait faire par quelqu'un d'autre. S'il ne peut pas, il interrompt son étude, va faire la Mitzva, puis retourne à son étude".
Cas concret: je suis en train d'étudier et mon portable sonne: ce sont mes parents. Ils sont à Roissy et me demandent de venir les chercher. Vu la Mitzva de respect des parents, je suis obligé d'y aller. Mais si j'ai un frère, celui-ci peut aussi la faire. De préférence, j'appelle donc mon frère pour qu'il assume cette Mitzva et que je puisse continuer mon étude. S'il ne peut pas (ou que je n'ai pas de frères et soeurs), je vais les chercher, les dépose, puis je retourne à mon étude.
Bon, mais en quoi cette étude de la Thora est-elle si importante que je puisse faire l'impasse sur certaines Mitzvot ?
Réponse de Rambam: "Parce que l'étude mène à l'acte (Maasseh)".
Alors là attention. Comme à son habitude, Rambam est extrêmement précis dans ses termes. Remarquez qu'il n'a pas dit: "l'étude mène à la pratique des Mitzvot", ce qu'on aurait plutôt compris, c'eût été plus religieusement correct.
Non, là Rambam parle de l'Acte de manière générale. En quoi l'étude peut-il mener à l'acte ? On connaît des gens qui ont étudié toutes leurs vies et qui ne sont jamais sorties de leur Yéchivot.
Le maître dont le cours a inspiré ce billet (cf. ci-dessous) propose la démarche suivante: chacun de nous est plongé dans un rythme effréné de vie, dans laquelle il est confronté à des choix de vie, à des conventions sociales, à des engagements à prendre ou pas. Il est très difficile de faire la part entre ce que l'on fait parce qu'on y est profondément engagé de tout son être, et ce que l'on fait parce qu'on est déterminé par des conventions, des contraintes, des automatismes sociétales...
Ce que dit Maïmonide, c'est que l'étude de la Thora, c'est ce qui permet, par la confrontation au texte et à un compagnon d'étude, de faire accoucher d'un désir précis et personnel, dégagé des contingences environnantes et porteur d'un engagement fort.
Sans cette étude et cette remise en question permanente, le risque est de se laisser emporter par le flot de la vie, de se faire balloter par l'extérieur et d'oublier (ou de ne jamais connaître) ce qui est susceptible de nous parler et de nous faire agir.
Ce que reproche le Talmud à Mardochée, c'est d'avoir oublié Maïmonide: bien sûr qu'il devait sauver le peuple juif et accéder au pouvoir. C'était son rôle et il était le seul à pouvoir le faire, comme d'aller chercher ses parents à l'aéroport. Mais après que le peuple a été sauvé, son obligation était de retourner à l'étude de la Thora, pour éviter d'être prisonnier d'une pratique du pouvoir "automatique", portée par l'orgueil, l'ambition ou le sentiment si commun chez les politiques, d'être irremplaçable.
De se laisser porter par l'extérieur, plutôt que de rechercher au fond de lui via l'étude de la Thora, son avenir existentiel.
On peut maintenant également répondre à l'expression "après 4" ou "après 5". L'étude de la Thora, c'est un combat. Un confrontation. L'étude de la Thora ne se fait jamais tout seul.
La grande différence entre les lieux d'études juifs et non-juifs, c'est le bruit. Dans une maison d'étude, le dialogue est permanent, les arguments fusent dans un brouhaha ininterrompu. Dans une bibliothèque occidentale, c'est le silence absolu qui prévaut. La plupart du temps pour ne pas déranger l'homme qui lit.
Ne pas déranger, c'est justement ce que la Thora refuse. Elle a pour objectif de déranger, voire de bouleverser le train-train dans lequel il est si facile de s'installer.
Ce que veut dire ce décalage de place, c'est que Mordekhaï a laissé quelqu'un d'autre accéder à une interrogation existentielle sur ses actes plus profondes que la sienne, pour céder aux sirènes du pouvoir.
Et c'est bien cela que lui ont reproché un partie des membres du Sanhédrin...
Cette interprétation nous donne une vision très particulière du rôle de la politique. Elle est considérée avec méfiance par la tradition juive. Complètement indispensable pour l'organisation de la cité, elle est néanmoins porteuse de dangers de perdition pour l'homme qui s'y engage au point d'y perdre sa propre individualité.
L'antidote, c'est une occupation intellectuelle, désintéressée, qui ne rapporte ni argent ni pouvoir et qui est parfois susceptible de nous placer en désequilibre.
Autant de spécificités à l'étude de la Thora qui permettent finalement à l'homme d'accéder à une véritable liberté.
Ce billet est librement inspiré d'une série de cours donné par le Rav Gérard Zyzek sur Pourim.

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