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Vaches privées et bisons publics

Publié le 26 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Si on veut bien regarder la question de l’environnement sans idéologie, les solutions ne sont peut-être pas là où nos esprits se porteraient spontanément.

Par Serge Schweitzer.

Vaches privées et bisons publics

Notre dernier billet se terminait après avoir rappelé la solution étatique en matière d’environnement par un regard sur une solution à laquelle on pense peu : la solution propriétariste. On évoquait le sort respectif de notre matou qui du haut de sa fenêtre dans un appartement bien chauffé, à côté de sa gamelle, regardait ses camarades lutter pour leur vie et chercher leur nourriture dans les ordures tout en se méfiant des autres prédateurs. Notre chatte était aussi heureuse de voir sa virginité préservée, ce qui n’est guère le cas de sa copine errante… Ne pas se battre pour obtenir son pain quotidien réjouissait fort aussi le chien à sa mémère qui de son balcon contemplait le spectacle de peu de nourriture pour beaucoup de demandeurs. C’est du reste cette nourriture rare qui en faisait augmenter le prix jusqu’à risquer sa vie pour un reste de côtelette.

Il est vrai que ces problèmes d’environnement ne sont guère aisés. Souvent ils provoquent des externalités difficiles à prendre en compte par un prix de marché. Une externalité est un effet non aisément quantifiable positif ou négatif. Soit un internaute de Contrepoints qui entretient le mieux possible son jardin et engage de fortes dépenses pour l’entretien de son verger. Notre internaute a pour voisin un apiculteur. Chaque matin ses abeilles viennent butiner avec frénésie puis retournent à la ruche dont l’apiculteur fait son miel… Pourtant notre internaute ne peut espérer une compensation monétaire, ni même exiger des remerciements. Une jeune fille consacre chaque jour temps et argent à se préparer, se maquiller, se faire belle. Puis elle sort. Chaque passant tire une utilité lorsqu’il croise cette jeune fille qui respire la beauté et dont émanent des effluves charmants de parfum. Sauf à professionnaliser sa beauté, par exemple en se laissant contempler contre un prix, notre jeune fille ne peut obtenir compensation de toutes les utilités qu’elle procure. Dans le cas de l’environnement c’est la même chose. Que les calanques des Marseille soient gratuites est une aberration au sens d’une gestion minimale ; mais inversement qu’un industriel qui pollue une rivière et oblige la société de pêche en aval à purifier l’eau donc à engager des dépenses, sans que l’on puisse taxer l’industriel, représente une dégradation de l’état de bien-être. C’est pour cette raison que l’idée est apparue évidente que l’on corrige ces externalités par des taxes ou des règlements.

Pourtant, si l’on revient à nos animaux, nous constatons que la solution propriétariste a aussi des vertus. La loi Verdeille de 1964 qui a dépouillé les propriétaires de moins de vingt hectares non clos de leur droit de propriété sur le gibier au profit de tous a engendré un tragique enchaînement, le même que lorsqu’un pâturage est à tous accessible. Chacun alors surexploite la parcelle commune dont la ruine est la conséquence inéluctable. Le pire des services à rendre à l’océan et aux bancs de poissons est de procéder comme l’ONU. Qualifier l’océan d’ « héritage commun de l’humanité » signifie donc que celui-ci appartient à tous. Il n’y a donc rationnellement aucune raison de ne pas allègrement se servir dans les bancs de poissons sans se demander ce qui arrivera ensuite. Mais si un banc de poisson appartenait à quelqu’un, pensez-vous qu’il serait surexploité ? Si tel est le cas de quoi vivrait ensuite notre pêcheur ? Mais dira-t-on : comment des bancs de poissons peuvent-ils être privatisés ? Mais c’est déjà le cas. Cela existe. Aujourd’hui il y a des propriétaires privés de bancs de poissons. Ces derniers sont suivis par des satellites et les autres pêcheurs savent qu’ils ne peuvent y toucher.

Certes on interdit la pêche au thon. Que peut-on attendre comme résultat ? Exactement le même que lors de la prohibition de l’alcool aux États-Unis en 1929. Interdire la pêche au thon, ce n’est pas supprimer l’envie d’en déguster. Le résultat, c’est que la demande est identique pour une offre qui s’effondre. Le prix du thon s’envole. Il devient alors extrêmement lucratif pour des braconniers, malgré les risques, de pêcher du thon. Bien sûr, il reste la solution de mettre un policier derrière chaque assiette. On a connu cela. Cela s’appelait l’Union Soviétique.

Peu d’internautes connaissent sans doute l’histoire de la plus grande forêt anglaise, celle de Sherwood. C’était une forêt réservée exclusivement à l’usage royal pour la chasse et l’exploitation du bois. Les besoins financiers d’Henri III, fils de Jean sans Terre, étaient tels qu’il décima la forêt en question traquant par le fait même la population animale qui perdit nourriture et abri. Édouard III, un siècle plus tard, sauva la même forêt en vendant de larges parcelles. On a donc accusé bien à tort Robin des Bois d’avoir dévasté la forêt en question.

Les éléphants sont victimes presque partout de spectaculaires massacres. Pour les sauver, on nous a expliqué qu’il fallait interdire le commerce de l’ivoire. Mêmes causes, mêmes effets. Le prix de l’ivoire s’est envolé car la demande était toujours là. Devenir contrebandier d’ivoire est un métier extraordinairement lucratif. Comment espérer que les gardes dans des réserves africaines, très mal payés par ailleurs, puissent résister à d’importantes sommes pour ici ou là fermer les yeux. Mais on ne sait pas qu’il y a des éléphants qui ont des protecteurs en la personne de leurs propriétaires. L’éléphant en Thaïlande par exemple rend des services qui font l’objet d’un prix de marché. Les troupeaux en question doivent être bien entretenus pour apporter des flux réguliers de revenus maintenant et demain. Les statistiques des organismes agréés sont formelles. Le seul pays au monde où l’éléphant prospère est la Thaïlande.

Mais pour justifier le titre de notre article, racontons pour terminer l’histoire des vaches et des bisons aux États-Unis au XIXème siècle. C’est la construction du chemin de fer et chaque jour on gagne quelques kilomètres de l’Atlantique au Pacifique pour aller toujours plus loin : « Go far West ». Des dizaines de milliers de travailleurs construisent ce chemin de fer à travers le Middle West. Il faut bien nourrir ces individus. Par chance il y a de la viande sur pattes toute prête à portée de fusil et dans laquelle on peut se servir abondamment et sans risque puisque le cheptel est gratuit, puisque libre de tout droit de propriété. Le massacre des bisons commence. Le cheptel était évalué à plusieurs dizaines de millions de têtes ; aujourd’hui on essaie de sauver les quelques milliers qui restent. Au même moment sont importés d’Europe des animaux qui sont aussi de la viande sur pattes. Mais la différence c’est que ces vaches importées à prix d’or ont un propriétaire. Elles sont alors gardées par des garçons de vaches (les cowboys). On les enclot à l’intérieur de fils de fer barbelé et pour plus de sûreté, pour marquer qu’elles ont un propriétaire, on met une marque au fer rouge. Ainsi quand elles étaient volées et qu’on tentait de les revendre, cette marque permettait immédiatement de savoir qu’il s’agissait de vaches signalées volées antérieurement. Pendant que les bisons publics étaient massacrés à grande échelle, les vaches privées prospéraient dans tout le Middle West.

Si on veut bien regarder la question de l’environnement sans idéologie, les solutions ne sont peut-être pas là où nos esprits se porteraient spontanément.

Mais comment faire comprendre cela, malgré ces incontestables exemples, à des confrères journalistes qui ne se soucient guère de la vérité et qui par idéologie instillent des idées qui nous ferons un jour dire :  »Adieu veaux, vaches, cochons, couvées ».

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Article publié originellement dans News Of Marseille. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.


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