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Etre « raisonnable »

Publié le 28 mars 2012 par Alteroueb

Lettre ouverte au Maire de Lyon

Permettez, Monsieur le Maire, que je réagisse à vos propos parus dans le quotidien « Le Progrès» du mardi 27 mars où vous appelez les éboueurs du Grand-Lyon en grève depuis 3 semaines à «la raison et au bon sens» dans un conflit qui se radicalise, sans aucun commencement de solution, et qui dérive même sur un terrain complètement déraisonnable.

Je m’adresse à vous en tant que simple citoyen, certes un peu plus engagé que la moyenne, qui n’a absolument aucun lien de près ou de loin avec la corporation qui s’oppose à votre projet. Nous nous sommes déjà rencontré plusieurs fois, en tant qu’ancien président d’un club sportif majeur, puis lors de rencontres avec le monde de l’économie numérique et des blogueurs, où je tentais notamment de vous interpeller sur les grands dangers de la remise en cause de la neutralité du net.

En grève...
Mon attitude aujourd’hui émane de mes lectures, de mon vécu, et de la période actuelle particulière. C’est l’objet de ce modeste blog, le titre en est précis. Nous avons en commun, à priori, une sensibilité politique de gauche. Mais votre gestion du conflit actuel, tel que vous le percevez, me questionne à plus d’un titre. Pour tout dire, elle m’agace profondément et d’autant plus qu’elle émane d’un homme, vous, qui se réclame d’une gauche se voulant plus respectueuse et à l’écoute des citoyens, à l’opposé de la manière dont le pays est dirigé depuis une décennie.

Vos propos sont éloquents et sans ambiguïté. Vous ne comprenez pas le mouvement, vous ne trouvez pas d’interlocuteurs, mais vous annoncez d’emblée que le point d’achoppement est non négociable. Vous promettez une remise à plat de la répartition des tournées en 2017, et répondez favorablement à une promesse déjà faite en 2003 à la profession de ne travailler qu’un samedi sur deux. Vous annoncez surtout que le ramassage privé coûte moins cher à la collectivité. Il y a là quelques vérités contestables, et des omissions qui ne vous honorent pas.

Vous le savez bien. Ce nouveau marché, réclamé par Veolia et Suez, a des raisons bien plus obscures. Il doit permettre d’augmenter substantiellement leurs profits, et l’inversion de la répartition des tournées répond à cet objectif : pour le centre de Lyon, c’est 15 tonnes par jour et par secteur pour 15 km parcouru, alors qu’ailleurs, c’est 10 tonnes par jour et par secteur pour 90 km parcourus. Mais on respecte la règle des 50/50 en terme de population couverte. Le service public, au milieu, on s’en fiche bien : plus de tonnage, sur lequel est basé la rétribution, en moins de kilomètres, et le tour est joué. Entrer dans cette combine, pour un homme de gauche, me dérange.

Vous le savez bien, renvoyer l’étude du fond du problème en 2017, c’est dégager grossièrement en touche. Il y aura un autre contexte, vraisemblablement d’autres hommes qui n’auront que faire des promesses de leurs prédécesseurs, d’autres méthodes, d’autres technologies… D’ailleurs, en 11 ans, les promesses de 2003 n’ont toujours pas vu un commencement de mise en place, et on voudrait que les grévistes soient «raisonnables» ? Il y a là une forme à peine voilée de mépris…

Vous le savez bien, la collecte privée ne coûte pas moins cher que celle pratiquée en régie publique. On fait bien dire aux chiffres ce que l’on veut. Vous savez, j’espère, les différences entre les tournées en matière de matériels et d’effectifs utilisés, en matière de services pratiqués, le «service complet», (soit bacs sortis, vidés, rentrés) n’étant pratiqué qu’à Lyon et Villeurbanne, en régie publique, ce qui demande forcément plus d’effectifs… Là, on est dans la manipulation pure est simple.

Vous le savez bien, les entreprises privées possèdent déjà le ramassage des ordures de fin de marchés alimentaires, les corbeilles de rue et une partie du ramassage des feuilles mortes et du tri sélectif. On est loin de la simple redistribution des cartes. En fait, toute cette affaire voit son origine dans des changements plus profonds, comme une contrepartie pour compenser le retour futur en régie publique de l’exploitation de l’eau, donc un gros manque à gagner pour les entreprises concernées… Ce sont donc les éboueurs qui «payeraient» la différence. Et ils devraient se laisser faire «avec bon sens» sans rien dire, pour faire plaisir à des mastodontes déjà riches à millions ?

On ne peut agir ainsi. En tant qu’entrepreneur dans le monde numérique, je ne peux procéder de la sorte quand je perds un client. Je n’ignore rien des enjeux et des pressions émanant de ces grands groupes du CAC40, mais il me semble que ces basses contingences financières, tant à la mode actuellement, sont massivement rejetées par les français, las de faire des sacrifices pendant que l’économie réelle est régulièrement pillée au profit d’une oligarchie égocentrique et hypocrite.

Les Lyonnais ne comprennent pas cette grève. D’une manière générale, le quidam de base ne comprend jamais une grève quelle qu’elle soit, et d’autant plus que l’image qui est modelée par les pouvoirs à destination de l’opinion publique est savamment construite. On a déblatéré sur les salaires des rippeurs pour discréditer. C’est clair, ils sont richissimes. 1.100 euros net primes comprises pour un débutant, c’est un scandale pour une activité si peu importante, tellement gratifiante, par tous les temps, et avec des horaires de rêve… J’ai toujours un peu de mal quand une personnalité politique, dont les revenus mensuels s’expriment au moyen de 5 chiffres devant la virgule, considère comme avantageux les salaires de la base. De surcroît, on a embauché des intérimaires pour casser le mouvement, et vous leur demandez d’être «raisonnables» ? Dans ce contexte, on ne peut guère blâmer les grévistes de bloquer l’outil de travail. En tout état de cause, faire donner la justice à grand frais pour le contribuable n’est pas correct, le tribunal n’étant pas le lieu pour discuter. Ce n’est pas digne.

En tant qu’élu, gestionnaire d’une collectivité de toute première importance, il me semble que votre fonction soit d’abord de protéger l’intérêt public, ce qui ne me semble pas être le cas dans ce dossier précis. On remarque tous les jours les ravages causés par l’«initiative» privée, même en mission de service public : le cas de l’eau, des transports, de la santé, de l’énergie sont emblématiques. Est-il besoin d’y revenir ?

En cette période électorale majeure, pour un membre du parti socialiste, le signal envoyé n’est pas vraiment bon. Cette gestion de crise et de ces salariés, certes fonctionnaires, ce pourrissement du mouvement (et des ordures) n’ont pas grand chose à envier aux modes actuels pratiqués par l’état UMP que le citoyen aujourd’hui dénonce. Il n’en peut plus. Il veut un changement de manière, que cesse ce discours biaisé, tronqué, partiel et partial. Après tant de coups bas dans le fonctionnement de notre société, il exige maintenant la justice sociale, celle notamment de ne plus céder aussi outrageusement aux lobbys des entreprises privées. Mais peut-être, n’avez vous pas perçu cette attente.

Je m’adresse à vous avec mon cœur de citoyen fatigué à la vue d’une société brisée, malade d’un individualisme forcené, rongée par une violence omniprésente, débarrassée des solidarités élémentaires. L’incertitude du lendemain est devenu la règle. L’avenir bascule trop facilement par les décisions que vous prenez au nom de tous. A mon insignifiante place, j’attends un changement de considération envers des gens qui n’en peuvent plus d’être constamment la variable d’ajustement, entre le marteau et l’enclume d’une économie déshumanisée. Comment, dans ces conditions, avancer et faire des projets, être serein et confiant ?

Je compte sur vous.

Veuillez agréer, Monsieur le Maire, ma grande considération.


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