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J'ai testé... Un métier alcoolisé ! : un distillateur ambulant

Par Sophiedestests

blog distillateur alambic ambulant itinérante eau-de-vie

Il y a tout juste 1 an, Bruno avait publié l'article Faire sa gnôle ! sur son blog. Je m'étais dit à l'époque :"Tiens, j'aimerais bien voir cela en direct live". Et il y a quelques jours, mon ami Bob m'a prévenue que le distillateur ambulant était revenu avec tout son attirail. Sans plus tarder, nous y sommes allés ensemble. Et nous avons tapé la discut' pendant pas mal de temps avec un ami du bonhomme. Le métier n'a plus de secret pour nous maintenant !

Faut pas confondre !

"Ah, tu as rencontré un bouilleur de cru, SoSo ?". Oui, mais non, évitons toute confusion ! Petite mise au point nécessaire tant que les vapeurs d'alcool ne vous sont pas encore montées à la tête. J'ai bien rencontré ce jour-là des bouilleurs de cru (oui, plusieurs), mais un seul distillateur (aidé de son ami)... Quoi ????...C'est simple :

alambic bouilleur de cru distillateur ne pas confondre différence eau-de-vie alcool

Le bouilleur de cru est le producteur qui apporte des fruits qu'il a lui-même cultivés (son verger lui appartient ou il le loue) pour les transformer en alcool. Il peut distiller sans payer de taxe jusqu'à 1000° d'alcool pur par an (= 20 litres à 50° ou 22,5 litres à 45° par exemple) et uniquement pour sa consommation personnelle. C'est un privilège qu'il garde à vie. Sa transmission héréditaire en a été supprimée à la fin des années 50. Il peut juste être transmis à son conjoint. Sinon, n'importe qui peut venir apporter ses fruits sans bénéficier de ce privilège, il lui faudra cependant payer des taxes en plus du prix demandé par le distillateur pour son travail et son savoir-faire.

Et le distillateur, c'est le gars qui possède ou loue l'alambic et fait le boulot. Il distille le jus fermenté des fruits apportés par les producteurs. Son matériel est déclaré aux douanes, et lui-même est détenteur d'une licence avec inscription au registre du département. C'est un travailleur indépendant itinérant qui circule sur plusieurs départements. Il reste sur place 2 ou 3 jours pour distiller les fruits, ici dans le hameau de Malhivert (à côté de l'école...!), puis continue sa tournée dans d'autres quartiers ou villages.

Petite piqure de rappel

Le matos s'appelle alambic

C'est un dispositif qui aurait été inventé il y a environ 1000 ans par les Arabes. La pratique de la distillation elle-même date depuis bien plus longtemps, et c'est tout à fait possible que dès 3500 avant JC les Egyptiens s'amusaient avec un joujou approchant. En tout cas, ils savaient déjà distiller.
Pour la petite histoire, c'était utilisé par les Arabes au départ pour fabriquer du fard à paupière. Le khôl, poudre d'antimoine, الكحول en arabe (al khoul). Puis ils ont distillé du vin. Pas la peine d'aller chercher très loin d'où vient le mot alcool, c'est le même mot (prononcé maintenant al kouhoul). L'alambic, lui, vient du mot arabe الإنبيق (al 'inbïq) qui désigne l'appareil en entier, provenant lui-même du terme grec αμβιξ (ambix) qui n'en désigne qu'un élément. Au 13ème siècle, les alchimistes étaient très fan de la distillation. Ils produisaient de l'alcool, 1ère étape vers l'élixir de la vie éternelle, donc vers une... "eau-de-vie"!

Distillation, alambic, vapeur, condensation,... Les cours de sciences physiques ne sont sans doute plus qu'un lointain souvenir pour la plupart d'entre-vous. Oups ! Voici donc une remise à niveau et quelques explications pour mieux comprendre ensuite le job de notre distillateur itinérant :

schéma d'un alambic distillateur eau-de-vie alcool

Le but de la manip' est donc d'extraire des fruits macérés apportés par les producteurs le bon alcool qui fait chanter (l'éthanol), tout en virant ce qui est entrainé avec (eau, et le très toxique méthanol).

Le processus utilisé est celui de la distillation. Celle-ci permet de séparer les différents composants d'un liquide en le chauffant pour qu'ils se transforment d'abord en vapeur (dans le vase) puis de nouveau en liquide par refroidissement (après passage dans le condenseur). Le deal étant de jouer sur la différence de point d'ébullition de chaque composant (64°C pour le méthanol, 78°C pour l'éthanol, 100°C pour l'eau) pour les récupérer en fin de courses l'un après l'autre.

Mais on n'obtient pas au final un fractionnement ultra net entre les différents composants. Pour être sûr de ne récupérer que ce que qu'il faut conserver, une étape intermédiaire vient mettre son grain de sel dans tout ceci : la rectification (passage par les colonnes de rectification). Elle permet de séparer les composants les moins facilement volatils des plus facilement volatils (l'éthanol sous forme de vapeur continue son chemin tandis que eau et méthanol se condensent et retombent).

A la fin, le d° d'alcool est mesuré avec un alcoomètre qui flotte dans le liquide. La graduation correspondant à la ligne de flottaison indique le d° d'alcool obtenu (avec une correction à faire si on n'est pas à une t° de 20°C). Ce d° d'alcool est en fait le volume d'alcool présent dans 1 litre de liquide. Il est rectifié en ajoutant de l'eau pour obtenir le d° souhaité.

Et donc,  comment cela se passe-t-il sur le terrain ?

Notre gars est arrivé cette année en mars. C'est variable selon les années, il vient parfois dès janvier. Il est présent de 6h du mat à environ 20h. De la même façon que son père lui a transmis la machine (elle date de 1936 !), il passera un jour le relais à sa fille. Mais pour le moment, il reste fidèle au poste !

blog distillateur alambic ambulant itinérante eau-de-vie (2)

1/ Après avoir pris RDV avec le distillateur, le producteur apporte ses fruits. Au préalable, le distillateur à fait une déclaration auprès de la douane pour chaque producteur. Histoire d'éviter le triche, celle-ci doit mentionner plein de choses : emplacement de la parcelle des arbres fruitiers, la commune-date-heure de distillation, le type de fruits, le poids des fruits ou le volume d'alcool à obtenir, la date et les heures prévues de distillation. Et en retour la douane envoie une autorisation personnalisée, très détaillée aussi.

2/ Malheureusement sur Claix il ne reste que peu de vignes par rapport à avant. Mais d'autres fruits que le raisin sont distillés pour être transformés en eau-de-vie : prunes, cerises, pomme, prunelle... suivant les régions. Et c'est la poire qui avait la vedette au moment de mon passage. J'ai bien 2kg de kiwis à apporter mais en fait j'ai tout faux. Car il aurait fallu que je possède ou loue le terrain de culture qui les a produit, et que je fasse macérer mes fruits épluchés pendants plusieurs mois (avec si je le souhaite un peu de sucre pour augmenter le d° d'alcool final) dans un récipient très étanche (faudrait pas que ça tourne au vinaigre !). Des fruits de bonne qualité à la base, à maturité et bien épluchés, voilà le secret. Et c'est par bidons de 120 litres que les gars du coin apportent leur mixture à transformer ! A partir de 50 à 60kg de fruits, ça vaut le coup de se déplacer.

3/ Le producteur mélange le gloubiboulga de jus et morceaux de fruits fermentés pour homogénéiser.

4/ Il passe les bidons à l'ami du distillateur qui en verse le contenu dans un des 3 vases. A noter, chaque vase est indépendant : on peut y mettre des fruits différents, ou le jus de différents producteurs, ça ne passera pas d'une cuve à l'autre.

5/ La vapeur qui arrive sous le vase commence à en chauffer le contenu. Oui, je le constate bien, ça fume lorsque le gars ouvre le vase pour y mettre la bouillie, et ça commence à bouillonner dans le vase dès que c'est versé ! Il est temps de refermer le couvercle pour que le tout monte en pression et que de la vapeur d'alcool se forme. Voilà, 20 minutes de patience maintenant...

En attendant, pour vous mettre un peu dans l'ambiance :


distillateur ambulant par testsdesophie


Et de encore plus près (désolée, il n'y a pas la bonne odeur !) :


distillateur ambulant (2) par testsdesophie

Et ensuite...

blog distillateur alambic ambulant itinérante eau-de-vie (3)

6/ Le jus fermenté passe à l'état de vapeur. La vapeur composée d'éthanol, de méthanol et d'eau passe dans les 2 colonnes de rectification pour éliminer de l'eau et le méthanol très toxique. Puis la vapeur d'éthanol passe dans le serpentin du condenseur, refroidit (le serpentin est plongé dans de l'eau froide) et redevient du liquide.

7/ Tout se passe maintenant à l'abri des regards derrière tout le matos, interdiction de filmer ou photographier ! Je suis tout de même allée jeter un coup d'oeil. Le distillateur utilise un alcoomètre pour mesurer le d° d'alcool obtenu. Il rectifie pour obtenir 45°. Le producteur signe les papiers officiels pour la douane, et paie le distillateur pour son travail et éventuellement des taxes (sans privilège de bouilleur de cru : environ 7 euros/litre pour les 1000 1er d°/an et 15 euros/litre ensuite - avec privilège de bouilleur de cru : ne paient qu'environ 15 euros/litre à partir du 1001ème d°/an d'alcool).

8/ Le reliquat est vidé dans le caniveau et le vase est nettoyé. (la petite vignette montre du liquide rejeté des colonnes de rectification).

9/ Et voilà, y'a-plu-ka déguster ! Le producteur repart avec environ  1 litre d'eau-de-vie par 10 litres de jus fermenté apportés à la base, donc de quoi tenir un sacré bout de temps ! Et plus l'eau-de-vie sera conservée longtemps, meilleure elle sera ! Surtout conservée dans des bonbonnes en verre (dans du plastique, c'est dégueu) entourée d'osier pour les protéger de la casse.

J'ai le droit à "la récompense de ceux qui viennent voir" ! :


alambic et eau de vie : le test ! par testsdesophie


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Bonus

Incontournable et d'une simplicité extrême, la recette des "cerises à l’eau de vie, macérées au soleil" de Denise (l'épouse de Bruno dont je vous ai parlé en intro de cet article - comme quoi, ils sont fait pour s'entendre ces deux là !)

A découvrir sur son blog GourmanDenise, même si ce n'est pas encore la saison des cerises !

cerise à l'eau de vie gourmandenise recette de cuisine alcool


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