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André CHÉNIER : L’amour et le berger

Publié le 31 mars 2012 par Unpeudetao

Loin des bords trop fleuris de Gnide et de Paphos,
Effrayé d’un bonheur ennemi du repos,
J’allais, nouveau pasteur, aux champs de Syracuse
Invoquer dans mes vers la nymphe d’Aréthuse,
Lorsque Vénus, du haut des célestes lambris,
Sans armes, sans carquois, vint m’amener son fils.
Tous deux ils souriaient :  » Tiens, berger, me dit-elle,
Je te laisse mon fils, sois son guide fidèle ;
Des champêtres douceurs instruis ses jeunes ans ;
Montre-lui la sagesse, elle habite les champs.  »
Elle fuit. Moi, crédule à cette voix perfide,
J’appelle près de moi l’enfant doux et timide.
Je lui dis nos plaisirs et la paix des hameaux ;
Un dieu même au Pénée abreuvant des troupeaux ;
Bacchus et les moissons ; quel dieu, sur le Ménale,
Forma de neuf roseaux une flûte inégale.
Mais lui, sans écouter mes rustiques leçons,
M’apprenait à son tour d’amoureuses chansons :
La douceur d’un baiser et l’empire des belles ;
Tout l’Olympe soumis à des beautés mortelles ;
Des flammes de Vénus Pluton même animé ;
Et le plaisir divin d’aimer et d’être aimé.
Que ses chants étaient doux ! je m’y laissai surprendre.
Mon âme ne pouvait se lasser de l’entendre.
Tous mes préceptes vains, bannis de mon esprit,
Pour jamais firent place à tout ce qu’il m’apprit.
Il connaît sa victoire, et sa bouche embaumée
Verse un miel amoureux sur ma bouche pâmée.
Il coula dans mon cœur ; et, de cet heureux jour,
Et ma bouche et mon coeur n’ont respiré qu’amour.

André CHÉNIER (1762-1794).
Recueil : Poésies Antiques.

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