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« Nos esprits étaient encore accaparés par cette tragique affairedes tueries de Montauban et de Toulouse, par un « fou d’Allah » quimassacre au hasard des militaires, puis des enfants et un de leurs professeurs,dans des conditions atroces. Mais voilà à présent que, quelques jours plustard, quatre adolescents de notre région, n’appartenant nullement à cesquartiers urbains dont on nous répète qu’ils génèrent la délinquance, exécutentde sang froid et avec préméditation un de leurs camarades de jeux au motifqu’il aurait pu dénoncer à la gendarmerie quelques uns de leurs larcins :de menus cambriolages et autres incivilités du même ordre.
Nous avons le devoir de nous interroger sur laresponsabilité que nous portons toutes et tous dans le phénomène général debanalisation de la violence qui se déroule sous nos yeux depuis troisdécennies. Qu’il s’agisse à la télévision, dans les journaux télévisés, de larelation complaisante quasi directe de scènes de guerre dont on ne prend mêmeplus le soin d’expurger les images les plus atroces ; qu’il s’agisse – àla télévision toujours – de ces séries américaines où l’on assiste audéferlement de la violence par les armes à feu ; qu’il s’agisse au cinéma,ensuite relayé par la télévision, de films où se manifeste d’année en annéecette surenchère dans la mise en scène de la violence sous toutes sesformes ; qu’il s’agisse enfin de certains jeux vidéo où l’interactionamène le joueur à devenir lui-même acteur de cette ultra-violence ;quelles qu’en soient les diverses formes, il n’est plus possible d’affirmerqu’il n’y aurait pas de corrélation entre la banalisation de toute cetteviolence offerte en spectacle à de jeunes esprits, fragiles parce qu’en trainde se construire, et la reproduction à intervalles réguliers de faits divers oùs’y retrouvent les principales caractéristiques. Comment expliquer l’apparenteindifférence à la monstruosité de leur acte, de ces adolescents meurtriers,autrement que par la confusion mentale qui brouille les repères, efface lahiérarchie des valeurs morales, et en arrive à ne plus permettre de faire ladifférence entre le virtuel et le réel ?
Mais il serait beaucoup trop facile de ne rendre que lesmédias responsables de cette escalade. La violence qu’exerce sur chacune etchacun d’entre nous la société individualiste de compétition généralisée danslaquelle nous vivons, et dont on ne cesse de nous vanter la supériorité, ne doitpas davantage être exonérée. C’est la violence qu’exerce sur nous la lenteaccumulation des humiliations produites par le sentiment d’injustice découlantdes inégalités. Violence des rapports sociaux dans l’entreprise, jusqu’àpousser les salariés au suicide ; violence des licenciements ditsboursiers qui sont la négation de la valeur du travail autant que du respect dûaux travailleurs qui investissent le meilleur d’eux-mêmes pour parvenir àl’excellence. Violence à l’égard de ces Français « Musulmans d’apparence » comme dirait le président de laRépublique en exercice, premières victimes du chômage et des inégalités detraitement, systématiquement contrôlés par les forces de l’ordre et parfoisplusieurs fois dans la même journée. Violence faite à ces millions de personnesréduites à la précarité, vivant au jour le jour, sans pouvoir s’imaginerd’avenir. Violence exercée à l’égard de ces parents étrangers, raflés avecleurs enfants à la sortie de l’école, comme en ces temps que nous croyions àjamais révolus. Violence faite à ces femmes étrangères qui accouchent encentres de rétention. Violence que d’expulser d’un train dans une gare perdue,trois enfants mineures non accompagnées, parce que d’origine Rom et n’ayant pasacquitté le prix de leur billet, sans même s’inquiéter de leur sort, qui va lesconduire à une mort tragique. Violence routière qui pousse les plus fortunés à s’offrirdes véhicules toujours plus puissants et plus encombrants pour asseoirl’illusion de leur domination sur les autres conducteurs. Violence de l’argentdépensé sans compter par quelques uns pour satisfaire d’insensés caprices alorsque tant d’autres n’ont même pas de quoi s’acheter à manger ou ne parviennentplus à se loger. On pourrait ainsi multiplier les exemples.
De la violence qui résulte de tout cela, nous sommes enpartie responsables dans la mesure où nous nous résignons à l’accepter ou àtourner la tête pour ne pas la voir. Dans la mesure où nous tolérons cetteinjustice et ces humiliations. Dans la mesure où nous considérons qu’il s’agitd’un fait indépassable, inhérent à la nature de l’homme. Prenons-y garde !Il est encore temps de nous ressaisir et de proclamer les valeurs essentiellesque sont dans toute société humaine le partage et la solidarité. D’affirmerqu’on ne construit pas de société durable basée sur l’injustice et l’inégalité.Qu’il ne suffit pas d’inscrire au fronton de nos mairies, quand elle y figureencore, la devise de notre république : « Liberté, Égalité, Fraternité », pour se donner bonneconscience. Qu’il faut sans cesse s’employer à la promouvoir. Car, si nousbaissons les bras, si nous nous laissons aller à nos égoïsmes et si nous abandonnonsla lutte pour le progrès humain, dès lors, nous ouvrons la porte au retour dela barbarie.
Reynald HarlautFront de Gauche
