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Tacheles, rideau sur Berlin ?

Par Khatmars

    Le Tacheles* n'a pas encore déposé les pinceaux ni décroché ses banderoles. Pas tout à fait, mais la rédition est proche. Ancien grand magasin, puis squat emblématique après la chute du mur, cela fait des années qu'il lutte pour son existence. Nouveau coup de butoir, ses jours sont à présent comptés.

Tacheles, rideau sur Berlin ?

Pignon emblématique du Tacheles

      Dernier concert, dernière biennale, le café a déjà fermé et  a été vidé, seul reste sur le mur quelques lettres rouges comme un vieux palimpseste qui rappelle, pour ceux qui l'ont connu, son nom : ZAPATA. Sur ses vitres, des affichettes officielles annoncent qu'il est strictement interdit d'afficher… L'esprit de Magritte se cache dans cette exhortation contre-révolutionnaire, mais de révolution, il n'est plus question.

Tacheles, rideau sur Berlin ?

Qui se souvient du Zapata ?
      Le jardin de sculptures n'est plus qu'un parterre clôturé, les bancs, le kiosk à bières ont disparu,  les grosses pièces ont été déplacées par leur créateur à Treptow (cf. fin de l'article pour les bonnes nouvelles)… Retour du terrain vague, le même qu'il y a 20 ans, retour du vague à l'âme, la fin sans fin des utopies… Je ne sais pas si c'est par ironie, mais sous la grande arche, les artistes ont installé une petite plateforme et quelques marches qui permettent aux touristes de voir par-dessus un muret et contempler le démantèlement du lieu, ce no mans' land provisoire,  tout comme les Berlinois de l'ouest avaient installé des tourelles pour voir par-dessus le mur les maisons grises, les rues coupées, les ombres des passants au loin.

Tacheles, rideau sur Berlin ?

Devant l'arche du Tacheles


Tacheles, rideau sur Berlin ?

Vue sur le jardin

     La semaine dernière, le bâtiment a été fermé pendant deux jours par la police, vidé et verrouillé pour de bon avec service de sécurité en cerbères, comme une répétition de sa fermeture définitive, quand l'ultime recours sera tombé, quand les derniers soutiens auront abandonné de guerre lasse, quand le propriétaire en aura assez d'avoir été patient, quand Berlin aura laissé derrière elle ce qu'elle a été : "arm aber sexy" pour enfin se choisir un nouveau slogan qu'elle espère "reich und sexy"… Ville qui cherche à s'embourgeoiser (pour réduire sa dette abyssale), à attirer de jeunes actifs aux poches bien pleines, puisque la jeunesse européenne et désargentée est déjà là, mais, même si elle donne son énergie à la ville, elle ne remplit pas ses caisses.

Tacheles, rideau sur Berlin ?

Fenêtre sur le jardin

       Les images (quelques unes sur une centaine faite ce jour-là) sont celles de ma dernière balade dans ses murs, j'ai arpenté chaque étage, chaque couloir, je suis entrée dans tous les ateliers ouverts et j'ai parlé avec des artistes, fatalistes mais pas tristes, conscients de ce qu'ils sont en train de vivre, la fin d'une époque et déjà prêts dans leurs têtes à cette fermeture annoncée…

Tacheles, rideau sur Berlin ?

Souvenirs d'une pièce de Heiner Müller

Tacheles, rideau sur Berlin ?
La cage d'escalier métallique du Tacheles
Tacheles, rideau sur Berlin ?
La cage d'escalier "d'époque" du Tacheles
Tacheles, rideau sur Berlin ?
"Vitrail" du Tacheles
Tacheles, rideau sur Berlin ?
Le coeur verrouillé du Tacheles
Chaque vitre, chaque  carreau, mur a été dessiné, peint, recouvert par une affiche, un dessin, une sérigraphie, un flyer, un spukki… L'un recouvrant l'autre, laissant sa place, disparaissant un jour pour réapparaître plus tard, dans un jeu de réponses, et correspondances.
Tacheles, rideau sur Berlin ?
Peinture dans la salle de concert
Tacheles, rideau sur Berlin ?
La belle salle du Tacheles pour concerts et spectacles
Tacheles, rideau sur Berlin ?
Une clé orange, un clin d'oeil qui m'est destiné ?
Dans les étages, la plupart des ateliers sont ouverts et les visiteurs sont les bienvenus, pour peu de respecter quelques règles de courtoisie, comme celle de respecter les lieux de travail, les artistes, leurs oeuvres, de ne faire de photos qu'après accord ou de  respecter l'interdiction, et pourquoi pas de leur adresser la parole…
Tacheles, rideau sur Berlin ?

Tacheles, rideau sur Berlin ?

Tacheles, rideau sur Berlin ?
Images d'atelier
Les dernières personnes à qui j'ai parlé étaient les les hommes chargés de la sécurité, gardiens privés qui ont remplacé la police à son départ (mais je ne sais pas par qui ils sont payés). Comme ils se sentent mal aimés, ils ont lancé une action : ils ont planté des fleurs dans le parterre de l'arbre devant le Tacheles. Ils jardinent donc bien proprement dans un geste contre-révolutionnaire également puisqu'ils trouvent qu'à l'intérieur, c'est bien dégueulasse. Je me suis  risqué à dire que deux mondes pouvaient bien cohabiter. Pas méchants pour deux sous mais seulement manipulés, ils m'ont laissé les photographier et le panneau tenu par la jeune femme est aussi une forme d'humour reprenant ce qui est écrit devant la plupart des ateliers du Tacheles. La guerre de la communication a aussi commencé…
Tacheles, rideau sur Berlin ?
Le mini jardin des agents de sécurité en mission devant le Tacheles
             La roue dialectique  de l'Histoire roule pourtant sa bosse, du centre à la périphérie de la ville : Le Tacheles était au temps de sa splendeur bourgeoise un grand magasin, les artistes chassés par le grand méchant capital migrent peu à peu à Treptow où ils ont investi un ancien…supermarché de l'est ! A chaque époque son style… Ce nouveau lieu d'artistes s'appellent Treptopolis et dès cet été,  un café ouvrira, une scène est prévue sur le toit… L'initiateur est un des anciens  sculpteurs  du Tacheles qui exposait ses oeuvres à l'extérieur. IL est parti avant d'être expulsé et il relance avec ce nouveau lieu une dynamique similaire, alternative, collective où l'art prend forme dans l'énergie d'un groupe.
En tant qu'envoyée spéciale de moi-même, je retourne au Tacheles à la moindre alerte et j'irai découvrir dès les beaux jours Treptopolis.
A suivre…
* Tacheles est un mot yiddish emprunté à l'expression "tacheles reden", expression toujours utilisée pour dire, "en venir au fait", "s'exprimer enfin clairement"

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