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Où en est la bourse ?

Publié le 13 mars 2008 par Argoul

L’analyse financière ne se réduit pas à l’étude des comptes, encore moins à celle des valeurs. Elle s’intéresse aux secteurs économiques et, notamment, à ce qui peut les faire bouger en bourse.

•    S’agit-il de crainte d’inflation ? Tout ce qui secteur d’« actifs » devrait en profiter : l’immobilier, les mines, les matières premières, y compris les « soft » que sont les céréales. Tout ce qui est secteur d’aval devrait en souffrir : les distributeurs, les fabricants d’automobiles, les compagnies d’aviation. L’aval est en effet coincé entre la hausse des coûts et la non-élasticité des prix, les consommateurs rechignant à payer plus alors qu’ils ne sont pas payés plus.

•    S’agit-il de menace de déflation ?
Tout ce qui garde sa valeur de bien « réel » en profite : la pierre, les mines, les matières premières, l’or… Tout ce qui n’a de valeur que par la demande en souffre : les biens industriels, la technologie, les matériels de télécommunication, les biens de loisirs, les voyages d’agrément… En cas de déflation (qui est la baisse cumulée des prix, des actifs, des investissements, des emplois et de la croissance), chacun se replie sur soi, dépense le moins possible et uniquement pour l’essentiel, le durable.

•    S’agit-il de crédit ? Tout ce qui donne confiance profite aux financières. Tout ce qui effraie fait chuter leur activité, donc leurs résultats, donc leurs cours.

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Or, dans la crise actuelle des marchés financiers, nous avons ces trois mouvements combinés :
1. L’inflation des matières est clairement là, du fait des pays qui émergent à marche forcée ; cette hausse des coûts vient accentuer le ralentissement classique du cycle industriel.
2. La déflation des actifs est enclenchée, la spéculation immobilière aux États-Unis, en Angleterre, en Espagne, à Shanghai, n’a pas tenu après le ralentissement cyclique accompagné de la révélation des crédits hypothécaires à risques (subprimes) ; cette déflation des actifs devrait toucher plus ou moins les actions chinoises, surévaluées, et les titres hier trop à la mode (petites valeurs, technologie de pointe).
3. La perte de confiance dans le crédit, tant de la part des prêteurs que des emprunteurs et que des acheteurs de prêts titrisés englue l’activité ; elle touche de plein fouet ceux qui vivent des flux financiers, les banques et les assurances.

Pour sortir de cette situation compliquée, il faudra du temps. Combien de temps ?
•    Le temps que les politiques mises en place commencent à produire leurs effets ;
•    le temps que les résultats des sociétés reflètent les nouvelles anticipations et que les cours s’y ajustent ;
•    le temps, enfin, que les comptes bancaires apparaissent « purgés » de leurs mauvais virus, dissimulés ici ou là dans les prêtes titrisés.

Durant ce temps, les investisseurs vont être désorientés par les actions des autorités publiques et des Banques centrales, qui donneront l’impression de faire tout et son contraire, comme baisser drastiquement ses taux ici et les maintenir, voire menacer de les remonter là. Mais il faut songer que la BCE n’est pas la Fed, question de statuts, et que l’Euroland n’est pas les États-Unis, question de fédération. LE problème de la Fed est la confiance dans le crédit, donc dans le système bancaire ; la croissance, puis l’inflation, viennent en second même si in fine tout est lié. LE problème de la BCE est la monnaie, puisqu’elle n’a aucune prise sur les politiques budgétaires et fiscales des États, jaloux de leur politicienne indépendance, et que le crédit apparaît moins atteint en Europe qu’aux États-Unis. Chaque Banque centrale fait donc son travail au mieux, compte-tenu des situations différentes des zones économiques. Peut-être y a-t-il même un partage des tâches mondiales : si toutes les Banques centrales lâchaient sur l’inflation, nul doute que cette « prédiction » de fait serait autovalidante, propulsant les prix à des sommets comme durant la fin des années 1970.

Les investisseurs vont être d’autant plus désorientés qu’un bon tiers des indices boursiers sont composés de valeurs financières. Même si tout le reste monte, les indices resteront « plombés » par leur poids relatif. Le secteur financier est au cœur de l’activité économique : quand les banques voient leur Produit Net Bancaire augmenter, c’est le signe que l’activité va bien. Or, qu’est-ce qui permet d’augmenter ce PNB ? Surtout les crédits et l’épargne investie en valeurs mobilières. Donc quand les bancaires ne sont pas soutenues, l’économie reste atone et le marché ne va pas très bien. De là à paniquer sur toute « nouvelle »… il y a un pas qu’un stratège qui en a vu d’autres ne saurait franchir !

Depuis l’été dernier,
•    nous savons que nous sommes en phase de ralentissement cyclique dans les pays développés,
•    nous savons que les pays émergents continuent d’avoir de forts besoins et que leur structure économique peu développée et peu organisée est fort « gaspilleuse » de matières premières et de capitaux, faute de technologie et d’un système bancaire mûr,
•    nous savons que la crise de confiance dans le crédit américain va se développer progressivement, au gré des « découvertes » de virus subprimes (tout à fait analogues aux virus informatiques qui croquent pas à pas et furtivement vos fichiers),
•    nous savons que l’immobilier va accentuer son ralentissement (il a commencé au printemps 2006 aux États-Unis, bien avant la crise des subprimes),
•    nous savons aussi que ralentissement + crise du crédit + chute des actifs = baisse des taux de la Fed, donc chute du dollar,
•    et nous savons que chute du dollar signifie hausse « médiatique » de tout le reste : l’euro, l’or, le pétrole, les métaux… Cette hausse est un artefact : une grande part de la hausse est due à la chute de la référence = le dollar. Ce pourquoi paniquer montre qu’on n’a pas réfléchi au système.

2008_2007_eur_usd_yen

Et tout cela, nous le savons DEJA. Reste à mesurer l’ampleur des dégâts dans les comptes et combien de temps cela prendra pour résorber le tout. Rien d’insurmontable, ni d’inédit. Un « krach » boursier ne se produit que si un événement non prévu, qui n’est dans aucune tête investisseuse, surgit brusquement : une tentative de putsch russe (1991), une faillite de fonds LTCM (1998), un attentat du 11-Septembre (2001), une affaire Enron (décembre 2001), une escroquerie de la taille des subprimes (août 2007). Ce que nous savons déjà ne surprend pas les marchés, seul le jamais vu le fait fuir : les pertes colossales des banques n’ont pas eu le même effet en 2007 que celles du LTCM en 1998, l’attentat de Madrid n’a pas eu le même effet que celui du World Trade Center. Les marchés apprennent.

Le risque, aujourd’hui, réside plus dans l’accentuation et le prolongement dans la durée des tendances que nous connaissons : récession économique  (cyclique), ralentissement du crédit qui dure (financier), perte provisoire du goût de risquer à investir, produire, consommer (psychologique). Bien sûr, on peut tout imaginer : explosion sociale chinoise, guerre Iran-États-Unis, destruction des puits de pétrole vénézuéliens au cours d’un conflit local avec la Colombie, inversion du Gulf Stream et froid sibérien sur l’hémisphère nord, comme dans un film écolo-catastrophe. Mais pourquoi plus aujourd’hui qu’hier ? Restons-en à ce que nous dit le système-monde économique, le reste est extérieur et peut se produire en euphorie comme en dépression.

Pour ce qui est raisonnablement anticipable, notre scénario n’a pas changé :

1.    le creux n’est peut-être pas encore atteint, il devrait l’être soit après les résultats des sociétés (et surtout des banques) au 31 mars, s’ils ne sont pas trop mauvais, soit après ceux de juin ;
2.    ce creux pourra être suivi d’un rebond de soulagement (le ballon sur lequel on cesse d’appuyer), dû aux politiques monétaire et budgétaire de soutien aux États-Unis ;
3.    avant un nouveau creux pour purger les « mains faibles » des marchés, celles qui ont eu très peur et sont tellement soulagées de voir rebondir les cours qu’elles vendent tout et ne veulent plus en entendre parler ;
4.    et enfin le vrai rebond (cyclique, financier, psychologique) – probablement pas avant 2009 au mieux.

Voilà comment l’analyse financière peut aider à comprendre les marchés, via les secteurs économiques.

Alain Sueur, invité de Fugues & Fougue et auteur du livre Les Outils de la Stratégie Boursière, 2007, Eyrolles


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