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L’affaire Merah, cas isolé ou syndrome d’un vieil antisémitisme musulman ? (2ème partie)

Publié le 03 avril 2012 par Copeau @Contrepoints

Pour permettre à nos lecteurs de mieux comprendre le contexte de la tuerie de Toulouse menée par Mohamed Merah, Contrepoints a interviewé Philippe Simonnot, auteur en 2010 d’une « Enquête sur l’antisémitisme musulman. De ses origines à nos jours » (Michalon). Voici la seconde partie de cet entretien.

Propos recueillis par Pierre-Louis Gourdoux  & Benjamin Guyot. (1ère partie en ligne ici).

L’affaire Merah, cas isolé ou syndrome d’un vieil antisémitisme musulman ? (2ème partie)

Philippe Simonnot

CP : Mais comment expliquer que ce type de tuerie ait lieu en France, plutôt que dans des pays ou l’antisémitisme serait plus développé ? Est-ce représentatif, comme certains l’affirment, d’une montée communautariste en France ?

PH S : Parce que d’une part, il n’y a que très peu de Juifs dans les pays arabes, l’Algérie en particulier, qui sont sans pouvoir, sans représentation, et donc ne constituent aucun intérêt pour les terroristes. Inversement en France, la population juive est bien intégrée, donc représente une cible plus « intéressante ». D’autre part, il ne faut pas réduire cette question à la question du communautarisme. Il ne faut pas oublier les causes socio-économiques propres à la France. N’oublions pas que Mohamed Merah a évolué dans un contexte de chômage de masse, de grande précarité. Cette précarité s’accompagne souvent de trafics de drogues, d’armes, et constituent un terreau fertile pour les prêcheurs extrémistes en tous genres…

CP : Tous les pauvres ne finissent pas trafiquants de drogue ou djihadistes…

PH S : Non, bien entendu ! C’est bien pour cela qu’il faut selon moi une sorte « d’exception mentale » pour aboutir à ce genre d’affaire. Le communautarisme n’est pas particulièrement responsable ; c’est le fond culturel qui est en cause, qui rentre en résonance avec la crise économique, facteur de chômage de masse et de non intégration, voire de désintégration sociale. Elle pousse des jeunes à trouver d’autres réponses, même irrationnelles. Pour certains c’est le terrorisme, comme il s’agirait pour d’autres de sectes. En outre, Mohamed Merah a fait 18 mois derrière les barreaux, période durant laquelle il aurait bien pu rentrer en contact avec des extrémistes, ce qui arrive fréquemment en prison. Prison qui est, elle-même, le sous-produit d’une certaine détresse sociale.

CP : Une détresse liée à la nature actuelle des banlieues urbaines ?

Ph S : La misère économique, sociale et intellectuelle est en effet très forte en banlieue. Elles sont le théâtre d’une violence quotidienne permanente, à l’égard des individus, des femmes en particulier, mais aussi de l’ensemble des services publics, représentants indirects de l’État jugé coupable d’abandon. Ces zones de non-droit constituent donc un terreau naturel pour faire émerger les comportements terroristes.

CP : D’après vous ces banlieues connaissent globalement une crise psychologique et identitaire permanente ?

PH S : On peut effectivement dire ça.

CP : Certains décrivent le peuple juif comme le peuple « canari », à l’image des canaris que les mineurs amenaient avec eux aux fonds des mines pour être alertés par la présence de gaz, responsable des coups de grisou meurtriers, et avant cela de la mort des oiseaux en question. Comment expliquer que le peuple juif est, depuis très longtemps, la victime très régulière de massacres, violences physiques et psychologiques, quelles que soient les époques ou les zones géographiques ?

PH S : C’est un sujet que j’ai abordé dans Le marché de Dieu (Denoël, 2008). L’antisémitisme est très ancien. On le trouve dans l’antiquité perse, grecque ou romaine. Dès que le judaïsme a instauré le monopole du culte dans le Temple de Jérusalem, il a obligé les Juifs de la diaspora à respecter deux règles : ne pas sacrifier ailleurs qu’à Jérusalem et acheminer leurs dîmes jusqu’à Jérusalem. Les Juifs étaient donc obligés de demander des privilèges aux pouvoirs en place : ne pas participer aux cultes locaux et outrepasser les interdits sur les mouvements de numéraire. Ces privilèges, une fois accordés, les ont mis en porte-à-faux avec les communautés dans lesquelles ils vivaient.

CP : Ce à quoi vous faites référence est très ancien. Pourquoi ces tensions ont-elles continué alors même que la plupart des gens ont totalement oublié ces épisodes ? En plus, les populations juives ont tendance à constituer la minorité la mieux intégrée, quelle que soit la nature de la population majoritaire…

PH S : Il faut en effet distinguer les périodes de prospérité économique, où les tensions sont assoupies, et les périodes de crise. Ici il faut de nouveau mettre en cause le sionisme, qui  a, de ce point de vue, constitué un facteur aggravant. La déclaration Balfour, en 1917, constitue son acte de naissance. Rappelons que par cette déclaration, « le Gouvernement de Sa Majesté [Britannique] envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif. » Avant cette déclaration, le sionisme est tout à fait minoritaire. La déclaration va donner une légitimité au sionisme.  Londres à l’époque est l’équivalent géopolitique de Washington aujourd’hui. Balfour va mettre, entre autres, les Juifs allemands dans une position intenable, alors même que le siège de l’organisation sioniste est encore à Berlin. Les Juifs allemands  étaient très patriotes et considéraient l’Allemagne comme un nouvel Israël.  La déclaration Balfour et le sionisme légitimé par la Grande-Bretagne, la plus grande puissance ennemie de l’Allemagne, en font des citoyens avec une double allégeance, des traîtres en puissance à leur patrie. Après la défaite allemande, la déclaration de Balfour servira de prétexte pour faire des Juifs des boucs émissaires, et l’on sait où cela a conduit.

CP : Cet antisémitisme n’a pourtant pas dû apparaitre du jour au lendemain en Allemagne ?

PH S : Il faut bien comprendre que l’antisémitisme, avant la seconde guerre mondiale, était en fait une opinion banale, ni plus ni moins répandue que d’autres, mais qui était surtout véhiculée par le « bas peuple », notamment la classe ouvrière, dont les ressentiments étaient plus ou moins maitrisées, ou exploités, par l’élite politique et intellectuelle. C’est d’ailleurs cohérent avec ce qui s’est passé ensuite : Hitler venait du « peuple », et ce « caporal bohémien » était méprisé par une bonne part de l’aristocratie allemande, et qui ne se reconnaissait pas dans ses thèses violemment antisémites. Toute proportion gardée, on peut remarquer la similitude des situations : Hitler comme Merah, demi-fous, ont tenté de rationaliser leur délire avec les moyens intellectuels dont ils disposaient.

CP : Mohamed Merah est mort et enterré. A votre avis, que va-t-il se passer dorénavant ?

PH S : En premier lieu, et c’est déjà en train de se passer, des détraqués de tous bords vont en faire un martyr. L’affaire s’est en effet terminée de la manière la plus « souhaitable » pour lui, tué par la police française. On peut s’étonner d’ailleurs que les conversations entretenues entre le RAID et Mohamed Merah aient été rapportés dans la presse. Notamment, l’un des policiers a dit qu’il comptait mourir « comme un moudjahidine, les armes à la main ». Version en partie confirmée par Claude Guéant lui-même : « A la fin, Mohamed Merah a sauté par la fenêtre avec une arme à la main en continuant à tirer. Il a été retrouvé mort au sol », a déclaré le ministre de l’Intérieur devant les caméras du monde entier, en hâte, quelques minutes après l’ « exécution » du forcené, comme pour la justifier. Pourquoi avoir dit et rapporté cela ? Pour renforcer   l’aura de ce type de personnage ?

CP : On peut noter que le grand quotidien Algérien El-Watan a reçu de très nombreux commentaires de lecteurs algériens refusant catégoriquement de considérer Mohamed Merah comme « l’un des leurs », et encore moins comme un martyr. Cela n’est-il pas le symbole d’une évolution des mentalités ?

PH S : Le contraire aurait été inquiétant. La barbarie la plus cruelle répugne !

CP : Pour finir diriez-vous que l’antisémitisme recule ou progresse, dans le monde et en France en particulier ?

PH S : Sans aucun doute, les Juifs aujourd’hui vivent plus mal en France qu’avant. L’arrivée conjuguée des séfarades en France et des vagues d’immigration musulmanes a renforcé de manière indiscutable les tensions intercommunautaires. Tant que le conflit israélo-palestinien n’aura pas trouvé de solution équitable,  l’on peut craindre, malheureusement, de nouvelles tragédies.

Contrepoints avait publié une critique de l’Enquête sur l’antisémitisme musulman en 2010. À lire en ligne ici.


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