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L’épuisement de l’Humanité

Publié le 04 avril 2012 par Plugingeneration @Plug_Generation

Par Plugger MasterL’épuisement de l’Humanité« Le soleil se lève. Regardez-le : ne dirait-on point qu’il est mort ? Tout est mort, il n’y a partout que des morts. L’homme est seul, autour de lui tout fait silence, voilà ce que c’est que la terre », Nietzsche.
Alors que je découvrais la librairie Mona Lisait dans le 4ème, pleine de bouquins à prix réduit et souvent très peu commercialisés, je suis tombé sur un petit essai complétement improbable, La Fin de l’Humanité de Christian Godin. Le titre assez accrocheur, quoique prétentieux, m’a immédiatement intéressé (5€ au lieu de 19 c'est pas mal non plus). On aurait pu s’attendre à tomber sur un énième bouquin sur la fin du monde où je ne sais trop quoi, surtout que le rayon philo est collé à celui d’ésotérisme… Mais non, pas du tout, à rebours des tendances catastrophistes Christian Godin expose une thèse qui peut paraître simple mais qui est néanmoins intéressante : « La fin de l’humanité montre pourquoi l’apocalypse n’est pas notre destin le plus probable, pourquoi notre destin le plus probable qui pourrait survenir d’ici trois ou quatre siècles est l’extinction pure et simple par désintérêt de soi, par désinvestissement de soi ».
Sa thèse part d’un constat qu’on pourrait dire alarmant, même si ça dépend du point de vue qu’on aborde, la population mondiale décroît considérablement, au point qu’elle s’éteindra si nous poursuivons dans ce sens. A coup de chiffres et de références démographiques, Godin explique donc que l’avenir le plus certain pour nous n’est pas une catastrophe écologique ou nucléaire, mais bien une catastrophe humaine. Il nous faut d’ailleurs citer une de ses références qui nous paraît intéressante et révélatrice de cet état d’esprit, dans un article intitulé « Le tabou démographique » Jacques Bichot et Michel Godet expliquent : « Que diraient les écologistes si depuis vingt ans le taux de fécondité des baleines était divisé par deux pour se situer à la moitié du seuil de renouvellement ? Ils alerteraient l’opinion internationale et les médias. C’est pourtant ce qui se passe pour les Catalans et les Lombards, dont la variété culturelle mérite d’être préservée autant que certains scarabées dans la forêt de Bercé ». Si cette citation peut paraître ambiguë (la comparaison des baleines aux Lombards est douteuse) le futur de l'homme quant à lui ne l'est pas, c'est l'extinction pure et simple de l'humanité qui est en jeu selon ces experts.
Contre l’idée que l’existence de l’humanité irait de soi, Christian Godin va plus loin dans sa démonstration et montre sans ambages que plusieurs signes révélateurs accompagnent cette tendance. Il en cite cinq : 

  • la disparition de la figure humaine dans les arts et les techniques ;
  • la destruction de l’humain à travers l’idéologie antihumaniste et les nouvelles pratiques funéraires ;
  • le narcissisme ;
  • la haine de soi ;
  • la haine de l’enfant. 
Comme l’avait déjà montré Gilles Lipovetsky dans L’Ere du vide, chaque grande période historique est incarnée par un personnage mythologique, et depuis la Renaissance c’est Narcisse qui symbolise l’Homme d’aujourd’hui en tant que représentant du grand mouvement d’individualisation qui s’est fait jour en Europe. « La société qui a induit chez l’individu la haine de soi la plus profonde est aussi celle qui développe le narcissisme le plus violent. La contradiction n’est qu’apparente. Pour se haïr soi-même, il faut bien en arriver à ne plus pouvoir aimer que soi » explique Godin. Et les trois corollaires de ce Narcissisme auto-destructeur sont la consommation croissante des drogues, le désir d’immortalité (car « le désir d’immortalité physique correspond en son fond à celui d’anéantir la procréation ») et enfin la normalisation de trois pratiques sexuelles jusqu’alors rigoureusement condamnées dans la tradition judéo-chrétienne, à savoir la sodomie, la fellation et la masturbation. Les trois pratiques sexuelles qui visent justement à avoir du plaisir sans passer par l’acte de procréation. Trois pratiques narcissiques présentées comme la fameuse révolution et liberté sexuelle (à juste titre), mais néanmoins symboliques de cet Homme narcissique qui ne pense plus qu'à son reflet s'évanouissant peu à peu dans le ruisseau de la modernité.
Et à ce Narcissisme s’est couplé la haine de soi. Le reflet narcissique se transforme peu à peu en portrait monstrueux, Narcisse ne se reconnait plus, il finit par haïr ce qu'il chérissait le plus, son visage. Le visage devient le lieu de la haine de l'homme pour l'homme, il se défigure, se brise, se presse sur les écrans, pour ne plus laisser que des fragments de son humanité passée. Jacques Aumont le montre à travers son histoire du visage au cinéma, le visage moderne c'est le visage défait, c'est le non-visage. Si le visage était le présent de Dieu offert aux Hommes (chez les Chrétiens comme les Musulmans), faisant que l'Homme est Homme, reprendre le visage, le détruire, le haïr, c'est refuser son humanité.
L'extinction démographique n'est donc que le signe alarmant d'une tendance plus fondamentale qui concerne l'avenir de la culture humaine. Comment continuer à croire en l'Homme ? Comment se détourner de la haine de soi et de l'humanité pour imaginer un post-humanisme renaissant ? Les réponses ne sont pas dans le livre, bien entendu.
Mais tout ca pour dire quoi finalement ? La Fin de l’Humanité ne se veut pas moralisateur mais plutôt révélateur. Il n’est pas question de pointer ce qui est bien et mal mais plutôt de prévenir sur une éventuelle fin de l’humanité jusqu’alors impensée par la plupart des philosophes. Prendre un peu de hauteur et se dire que finalement il ne faut jamais considérer comme acquis ce que l’on possède déjà. 
Mis à part sa théorie sur l'extinction de l'humanité, Godin a le mérite d'attirer notre regard sur des choses qui nous paraissent souvent très éloignées de nous et auxquelles on ne préfère généralement pas penser. Il nous rappelle aussi que l'Humanité devrait suivre de plus prêt le fameux principe de responsabilité de Hans Jonas, et que sans celui-ci l'Homme peut décider à tout moment de s'autodétruire...
Il y aurait tant d'autres choses à dire, et je m'excuse d'avance pour la trop courte présentation de la théorie de Godin et surtout de ce que cela implique, mais on va essayer de finir avec une petite touche d'optimisme et une citation de Peter Sloterdilk, qui tente dans son livre Tu dois changer ta vie de montrer qu'une autre voie est possible, je vous laisse juger.
« Pour sortir de la crise, l’homme doit se grandir. Seulement en haut, il n’y a aucun dieu, aucune métaphysique qui peut nous aider. Nous devons nous sauver nous-mêmes en devenant, par des exercices d’ascèse, par l’entraînement assidu des muscles du cerveau et du corps, par des disciplines artistiques que nous nous imposons, davantage maîtres de notre destin. La visée est un développement spirituel et personnel, afin d’inaugurer un nouveau cycle de comportements responsables. Pour survivre dignement, l’élaboration d’un système d’immunologie s’impose de plus en plus : un bouclier de protection pour l’individu, l’humanité, la terre et l’environnement technique. L’être humain est appelé à se débarrasser des fatalités et résignations réductrices, en se formant par lui-même, pour un autre mode d’existence ».

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