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La criminologie est-elle dangereuse ?

Publié le 05 avril 2012 par Copeau @Contrepoints

La mise à l’index de la criminologie est le réflexe revanchard de ceux qui n’ont pas digéré la réforme des universités. Décryptage.

Par Marc Crapez.
 

La criminologie est-elle dangereuse ?
D’aucuns ont minimisé la portée des actes du tueur de Toulouse, en brodant autour du thème de l’enfant perdu, victime de déterminismes sociaux. L’universitaire Tariq Ramadan conjecture un problème d’ « égalité de droit et de chance » en imaginant que Mohamed Merah se serait « senti systématiquement renvoyé à ses origines ».

D’après un professeur de sciences de l’information et de la communication : « Il s’agit donc moins de terrorisme (ses voyages dans les pays musulmans relèvent d’une errance quasi touristique) que de jusqu’au boutisme d’un jeune homme sans avenir ni espoir […] De tels parcours montrent aussi la grande violence symbolique qui s’exerce sur les plus faibles dans une société comme la nôtre ».

On pourrait s’attendre à ce que ces propos aient suscité une levée de boucliers. On pourrait croire qu’au sein de l’Université ils n’ont pas été proférés par des personnes « occupant suffisamment de surface institutionnelle et/ou intellectuelle pour être autre chose que des électrons libres, des seconds couteaux, des hommes plutôt en fin de carrière ».

Las ! Ce dernier propos ne vise pas les universitaires complaisants envers le tueur de Toulouse mais ceux qui auraient été complaisants envers la récente création, en France, d’un département scientifique de criminologie… C’est ainsi que le sociologue Laurent Mucchielli, dans un article intitulé « Criminologie : le monde universitaire face à la ‘bande à Bauer’ », s’en prend à ce dernier comme s’il était une sorte de malfaiteur intellectuel, désavoué par tous les universitaires sérieux.

L’inflation scientifiante rassure le sujet sectaire

Mucchielli est coutumier de ce type de généralisation abusive, consistant à faire passer des supputations pour des lois avalisées par « les universitaires » ou « les sociologues ». Cela lui sert de faire-valoir à des affirmations péremptoires : « Nous, sociologues, quand nous procédons à des enquêtes dans les quartiers, nous constatons que l’islamisme est une menace fantasmée ». Il décline toute une panoplie de stéréotypes rhétoriques de cet acabit. Procédé rhétorique de condescendance scientifique : l’argumentation adverse « appelle de la part des chercheurs un examen attentif ». Procédé rhétorique de supériorité méthodologique : l’argumentation adverse ignore les « analyses contextualisantes ». Procédé rhétorique d’argument d’autorité ou de démagogie du bon sens : l’argumentation adverse ignore des « choses bien connues des spécialistes ». Procédé rhétorique de caricature méprisante : dans tel argument adverse « on reconnaît la vieille peur de la ville encerclée par les barbares ».

Le drame des militants de l’extrême-gauche des années 80 devenus universitaires est qu’ils sont restés d’extrême-gauche (contrairement à la génération de soixante-huit). Mucchielli a même fini par croire que la science est d’extrême-gauche. Émerveillé par le mot « sociologie » et autres tournures doctes, il place ces talismans dans ses titres de livres ou d’articles tels : « Le Scandale des ‘tournantes’. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique », « Délinquance et immigration : le sociologue face au sens commun », « Travailler sur la déviance. Problèmes méthodologiques et déontologiques des recherches en sciences sociales ».

Cette inflation de pseudo-scientificité est la marque du pédant, un personnage dûment répertorié, depuis Erasme, pour son demi-savoir résultant du mépris du sens commun. Contrairement à Mucchielli, sorte de Raymond-la-science de l’extrême-gauche, le savant, lui, à l’instar de Raymond Aron, se « sent très peu universitaire ».

La mise à l’index de la criminologie est le réflexe revanchard de ceux qui n’ont pas digéré la réforme des universités. Ils pétitionnaient hier contre l’autonomie des universités ; ils pétitionnent aujourd’hui contre l’institutionnalisation de la criminologie comme discipline autonome. Pourtant, s’il existe des professeurs de sciences de l’information et de la communication qui disent n’importe quoi, pourquoi des gens intéressants ne pourraient-ils pas être professeurs de criminologie ?

Certains en ont une peur panique car ils perçoivent la criminologie comme un danger personnel. Cela tient aux problèmes existentiels qui hantent les universitaires d’extrême-gauche. Leur attirance pour ce qu’ils appellent « la déviance » les rend vulnérables. Ils redoutent que la criminologie ne serve à « surveiller et punir ». Ils se voient en victimes toutes désignées. Pour ne pas affronter la réalité de leur pouvoir usurpé, ils se recréent des imaginations d’inquiétude. L’inflation scientifiante rassure le sujet sectaire et lui procure la jouissance qu’il est bien en peine d’éprouver à sa propre relecture, car celle-ci ne le place pas en position d’approche du vrai, en digne fils des pères fondateurs de la sociologie.

Il est symptomatique de déprécier les « électrons libres », alors que ceux-ci font la fierté de l’univers littéraire et philosophique, où ils se trouvent toujours menacés par des bataillons de gros bras dogmatiques depuis que le monde est monde. L’Université d’aujourd’hui regorge de ces talibans, prisonniers de leur fanatisme, qui font régner la terreur en se mettant du côté du plus fort pour chasser en meute les individualités qui n’ont que leur seul talent à faire valoir.

Nous manquent déjà cruellement Jacques Ellul, François Furet, Jeanne Hersch, Julien Freund, Annie Kriegel qui sauvèrent l’honneur pendant que les Sorbonnards se couchaient devant la démagogie de soixante-huit. Demain, ce sont Jean Baechler, Pascal Salin ou Pierre-André Taguieff qui risquent de disparaître corps et biens, les médiocres se vengeront en faisant oublier jusqu’à leur souvenir.


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