Qui n’a jamais perdu un être cher et voulu donner tout cequ’il avait pour le ramener à la vie ? Qui ne s’est pas senti anéantidevant la mort de sa mère, de son père, de son enfant, de son ami, et n’a passouhaité remonter le temps ou traverser l’au-delà pour aller chercher l’êtrequi manque ?
C’est un sujet délicat et difficile qu’aborde Laurent Gaudédans La Porte des Enfers : le désespoir d’un couple devant la mort de leurfils unique, tué par une balle perdue dans une fusillade à Naples. Après cettetragédie, Matteo, le père, se plonge dans la solitude et parcours sans raison,toutes les nuits, les rues de la ville dans son taxi vide. Giuliana, la mère,réclame qu’on lui ramène son fils et disparaît dans la douleur. Mais un soir,Matteo laisse monter dans son taxi une cliente qui, en paiement de sa course,lui offre à boire dans un café. Il y fait la connaissance du patron, Garibaldo,du curé don Mazerotti et du professeur Provolone, qui prétend que le monde desvivants et le monde des morts communiquent. Et si l’ont pouvait descendre enEnfer et ramener nos morts ?
J’ai mis beaucoup de temps à me décider à lire ce roman.J’attendais d’être dans un bon état d’esprit, parce que je savais que cettelecture serait difficile, tant elle me rappellerait l’expérience des deuils quej’ai traversés. Et en effet, la lecture est difficile, surtout au début : l’expressionde la douleur et du deuil de Matteo et Giuliana donne lieu à des descriptionslongues et monocordes, très brillamment maîtrisées, mais pesantes pour lelecteur. Ce sont là des descriptions difficiles quand on a déjà été en deuil, parce qu'elles sont très réalistes. Par ailleurs, le lecteur est un peu perdu au début, jusqu’à ce quel’intrigue se mette en place et que l’on comprenne qui est ce Pippo qui éprouvetant ce besoin de vengeance. Mais, une fois l’intrigue bien en place, le romandevient captivant et haletant. L’alternance des récits de Matteo et de Pippoqui luttent, chacun à leur manière, contre la mort, est bien menée, et permetau lecteur de lever, petit à petit, le brouillard de l’intrigue.
J'ai aussi aimé le fait que Laurent Gaudé nous donne une autre explication que la présence de Dieu pour expliquer la mort et, bien que l'un des personnages soit curé, Matteo exprime son incompréhension, voire même parfois sa colère vis-à-vis de Dieu qui a laissé partir son enfant. Qu'on soit croyant ou non, je crois que n'importe qui se pose un jour la question : pourquoi Dieu a-t-il laissé faire ça ?
Mais c’est surtout l’idée que le monde des morts soitaccessible qui m’a interpelée, et que les morts emportent avec eux des lambeauxdes vivants qui restent et qui souffrent de l’absence de leurs proches. J’ainoté cette citation qui m’a sauté aux yeux à la lecture, tant je l’ai trouvéejuste :
Chaque deuil nous tue. Nous en avons tous faitl’expérience. […]
Nous mourons chaque fois un peu plus en perdant ceux qui nousentourent.
(p.141)
Parce qu’au fond, ce roman est un livre puissant et juste, àla fois sombre et plein d’espoir. Un magnifique hommage de Laurent Gaudé auxmorts qui s’accrochent à la vie, et aux vivants qui s’accrochent à leurs morts.
La Porte des Enfers, de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2008, 267pages