C'est la course contre la montre. Nicolas Sarkozy était à la Réunion, chahuté à son arrivée. A Paris, François Hollande avait
dégainé le planning de ses 35 premières mesures. La mort inattendue du directeur de Sciences Po, Richard Descoings, avait aussi troublé l'agenda médiatique.
On oublia presque ces nouvelles arrestations d'islamistes présumés radicaux.
Sarkozy voulait jouer les prolongations de l'affaire Merah.
Après les interpellations de vendredi dernier, les caméras avaient été encore conviées à Roubaix (Nord) et ailleurs. Il y
avait encore une vingtaine de suspects à interpeler. On pouvait filmer des policiers du RAID, masqués et en action, extirper quelques présumés potentiels terroristes. On pouvait entendre les
voisins des suspects, comme toujours surpris d'avoir cottoyé des gens apparemment si dangereux. La présomption d'innocence et le secret de l'instruction étaient largement bafouées dès ces premiers instants de l'enquête.
Une journaliste d'iTélé témoigna ce matin que des confrères avaient été renseignés la veille au soir de l'intervention
policière. « Ce n'est pas moi qui regretterait la liberté de la presse » déclara, non sans malignité, Claude Guéant. La manipulation était évidente: le calendrier de ces arrestations et,
surtout, leur médiatisation à 18 jours du premier tour présidentiel, faisaient débat.
Nicolas Sarkozy pouvait espérer occuper les médias avec de si belles images. Las, il fut mis en échec par deux autres
surprise. D'abord, un autre drame, la disparition de Richard Descoings. Le directeur de
Sciences Po avait été trouvé mort dans une chambre d'hôtel à Manhattan. Puis, vers 8 heures du matin, la publication par l'équipe de François Hollande des 35 premières mesures du candidat
socialiste s'il devenait président. Comme nous le tweetions hier, « Sarko n'a pas de programme. Hollande a déjà un planning. »
La surprise Hollande
Il n'y avait pas de temps à perdre. Fidèle à la stratégie du non-débat, Jean-François Copé fut envoyé au front, vers
9h30. Il rejoua la partition bien connue de la caricature en qualifiant les 35 mesures immédiates de « projet totalement décalé des exigences de notre pays dans cette crise et totalement
irresponsable ». Mais cela ne suffisait pas.
«J'ai vraiment hâte d'être au débat d'entre-deux-tours. Je vais
l'atomiser!» avait-il expliqué à quelques proches lors de l'un de ces « comités stratégiques » qu'il aimait tenir
à l'Elysée ou à son QG de campagne sécurisé de la rue de la Convention. C'était indigne et retranscrit par Nicolas Barotte et Solenn de Royer du Figaro. On ne saurait les soupçonner
d'antisarkozysme.
Un sondage, fuité le soir même mais connus des sphères sarkozyennes dès la matinée, indiquaient un
redressement au premier tour de ... François Hollande. Et encore une aggravation du handicap de Sarkozy au second tour.
Une déconvenue n'arrivant jamais seule, le Monarque apprit que la Cour de Cassation avait enfin autorisé les familles des
victimes de l'attentat de Karachi du 8 mai 2002 à se porter partie civile dans l'autre partie de l'instruction, le volet financier de l'affaire pour les chefs de « corruption d'agent public
français, abus de biens sociaux et recel aggravé ». La Cour précisa: « Il se déduit des plaintes des parties civiles que les faits dénoncés sous les qualifications d'abus de biens sociaux,
corruption d'agent public français, recel aggravé sont susceptibles de se rattacher par un lien d'indivisibilité aux faits d'assassinats ». Pour le clan Sarkozy, secoué à intervalles
réguliers par ce scandale monstrueux, c'est une bien mauvaise nouvelle. Depuis que l'instruction a doublement progressé grâce aux juges Marc Trévidic et Renaud van Ruymbeke, on suffoque devant
l'ampleur des révélations. Un obstiné confrère a même créé un blog sur le sujet voici des années.
Sarkozy, barricadé à la Réunion
Les seules images de Nicolas Sarkozy disponibles en Métropole furent celles de son arrivée chahutée à l'aéroport. On
entendait des «Sarkozy Président!» mêlés à des «Pov'con». Son déplacement était
expresse, 12 heures à peine sur place, l'aller-retour en à peine plus que 24 heures. Les Inrocks avaient recueilli cette confidence curieuse d'un
« cadre de l'UMP »: « On n’était pas là pour le fatiguer ni pour faire le tour de l’île à la manière de Hollande obligé de voir chacun des élus. Notre pari était de faire un
seul gros meeting pour avoir un moment de rassemblement ».
Il y avait surtout beaucoup de CRS, et 73 gendarmes mobiles rameutés pour l'occasion. Le périmètre
avait été sécurisé par les forces de l'ordre pour empêcher d'approcher le candidat sortant. Il fallait montrer patte blanche. Pour preuve, à l'aéroport, même les forces de l'ordre furent mises à
contribution pour faire le ménage, témoigna Marion Mourgue, l'envoyée spéciale des Inrocks. Pire, Sarkozy avait décidé d'improviser et tomba sur des manifestants hostiles, en bordure de son
parcours.
Il n'y avait qu'une centaine de personnes pour accueillir le candidat sortant.
Plus tard, à Saint-Pierre, la ville avait été vidée, bloquée, sécurisée. « Les accès sont bloqués par les gendarmes
mobiles et la circulation limitée. On compte plus de flics et de journalistes que d’habitants… quand on en trouve ! » commente Marion Mourgue.
En meeting, trop tard ou trop tôt, Nicolas Sarkozy scanda de curieuses formules: « Aidez-moi à proposer à la France le
projet qui fera de notre pays l'une des grandes nations dans le monde. » Mais de quel projet parlait-il ? On attendait le programme, prévu pour livraison ce jeudi 5 avril. Pour la première
fois sous la Vème République, un candidat considéré comme « majeur » n'avait toujours pas présenté son programme à trois semaines du scrutin.
Et il réclamait, en plus, qu'on l'aide.
Il nous a répété qu'il avait « donné » au pays « le meilleur » de lui-même. Justement, il fallait arrêter.
Quel pouvait être l'espoir qu'il serait différent, comme il le proclamait à la une de Paris Match ce mercredi 4 avril, puisqu'il avait déjà tout donné depuis 2007 ? A la Réunion, frappée par des
émeutes sociales voici peu, il avait sept promesses. Il fallait rester assis, et calme, pour l'entendre énumérer ses mesures qualifiées de « sans précédent » par le site de la France Forte. Attention au choc: « je garantirai la défiscalisation pour les
projets économiques d’Outre-mer ! » Désespéré, le candidat sortant promettait le doublement du plafond des défiscalisations en faveur de la Réunion, de 1,5 million à 3 millions d'euros. La
dépense, c'est Sarkozy ! Il ajouta d'autres dépenses, puisqu'il fallait être réélu, comme des exonération temporaire de charges sociales pour l'embauche de moins de 25 ans sur le territoire de
l’île, ou pour tout emploi créé dans 5 secteurs « privilégiés ». On se demandait: mais pourquoi il ne l'a
pas fait avant ?
Jeudi 5 avril, le candidat sortant devait faire quelque annonce pour réduire le coût du permis de conduire et faciliter son
obtention. Conduire
plus pour travailler tout court. Des réunions au sommet ont été organisées sur le sujet.
Honnêtement, cela sent la panique.
Ami sarkozyste, reste avec nous.