Un de ces jours, l’écrivain Alexandre Jardin s’est réveillé et s’est dit « tiens, et si je publiais dans Le Monde un point de vue sur l’éducation et la présidentielle ? ». Ni une ni deux, il prend sa plus belle plume et la trempe dans sa rage d’amoureux de l’école. « Je suis en colère : notre école méritait un débat franc que j’espère, depuis que j’ai engagé, il y a dix ans, mon énergie de citoyen dans des programmes associatifs qui dévorent mon temps, parfois mon argent, et toujours mon enthousiasme militant. ». Alexandre s’agace, écrit, décrit l’état épouvantable de notre système éducatif, décrochage scolaire, maîtrise insuffisante de la lecture et de l’écriture, chute au classement PISA, et dénonce …
(C) Nicoloro Giuseppe
François Hollande. Oui, vous avez bien lu, pas le président sortant, ni même la droite au pouvoir depuis 10 ans, mais le candidat socialiste, coupable de vouloir recréer 60 000 emplois dans l’Éducation Nationale. « Difficile de faire plus bête et électoraliste pour résoudre des problèmes complexes », s’époumone notre littérateur révolté.
A partir de là, il se passe quelque chose de prodigieux, le genre de hasard à peu près aussi probable que de tomber sur un trèfle à quatre feuilles en allant chercher son pain : Jardin, troisième du nom, se met à rédiger un texte qui, par une extraordinaire conjonction de circonstances, recoupe à la perfection les éléments de langage du candidat Sarkozy, et les arguments de l’UMP contre François Hollande. Les principaux responsables de la maladie de notre système éducatif ? « Nos élites – enseignantes, médiatiques, économiques et syndicales ». Tiens, c’est incroyable, on croirait entendre Nicolas Sarkozy sur la méprisance !
Mais la ressemblance, totalement fortuite, entre le propos élyséen et la juste colère jardinière ne s’arrête pas là. Il faut aider « les classes populaires », le « peuple » contre le « système » et les « conservatismes syndicaux ». Tout comme le candidat du peuple. Les 60 000 emplois supplémentaires ? Inutiles puisqu’il y a 5 ans, avant leur suppression par Sarkozy, l’école n’allait pas mieux ! Et puis Alexandre Jardin « n’accepte pas l’équation de M. Hollande : plus de profs mais sans augmentation de salaire, donc mal payés. Je préfère moins de profs mieux payés », comme l’UMP. François Hollande, au fait ? Un « conservateur sympa », tandis que voter Sarkozy, c’est voter « pour la réforme ».
Attention : Alexandre Jardin, avec sa « fibre sociale » et son « obsession de l’égalité des chances », n’est pas de droite, à l’instar d’un Claude Allègre ou d’un Bernard Tapie ; il mène même des « combats associatifs » avec ses « amis qui votent pour la plupart à gauche ». Mais bon voilà, incontestablement, il lui faut saluer la belle réussite de Nicolas Sarkozy, sa « réforme sur l’université ; une réussite sur laquelle nul ne songe à revenir, sinon à la marge ». C’est drôle cette identité de vue avec Valérie Pécresse, quand même ! Alors c’est vrai, en 5 ans Nicolas Sarkozy n’a pas eu le temps de réformer le collège (la faute aux syndicats, bien sûr), mais Alexandre Jardin en mettrait sa main au feu : il croit « cet homme énergique capable de faire pour le collège ce qu’il a eu le courage d’accomplir avec l’enseignement supérieur ». C’est vraiment formidable.
C’est dans la conclusion de cette tribune que la proximité intellectuelle totalement involontaire entre Jardin et le camp sarkozyste devient absolument stupéfiante. Dans une ultime inspiration, le poète conjure ses amis « de gauche » de regarder « de près le programme de Jean-Luc Mélenchon. Ce républicain franc du collier a une aptitude à faire bouger autre chose que des symboles. Mais ne votez pas pour le conservatisme du candidat socialiste, pas pour l’inertie ». Mélenchon infiniment plus respectable que Hollande : c’est beau comme du NKM.
Nous pouvons nous le dire entre nous, si une pareille tribune n’était pas publiée dans la rubrique « Idées » d’un journal sérieux comme Le Monde, si elle ne s’intitulait pas « Plus de profs, quelle idée sotte ! » mais « Pourquoi je soutiens Nicolas Sarkozy », nous nous dirions que nous avons affaire à un travail en service commandé, à la mise en forme approximative d’un argumentaire siglé « France Forte » transmis à l’intéressé par l’équipe du candidat-président, peut-être à l’occasion d’une rencontre avec Carla Bruni, auprès de laquelle l’auteur semble très en cour. A une opération de campagne du style « tiens, Hollande est trop populaire sur l’école, alors on va le casser, avec une tribune d’écrivain populaire à notre main, sans couleur politique clairement affichée, histoire de faire croire qu’un lettré s’indigne sincèrement de ce que le socialiste propose, et s’enthousiasme au contraire pour nous, tout en étant quand même un peu critique ».
Personne, je l’espère, ne se mettra dans la tête une hypothèse aussi farfelue.
Romain Pigenel